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La France au cœur de l’épopée des Jeux

Politique Internationale — Pour la première fois, les Jeux olympiques et paralympiques 2024 sont directement rattachés au ministère. Qu’est-ce que cela signifie exactement ?

Amélie Oudéa-Castéra — En ouvrant son second mandat, le président de la République a choisi, avec la première ministre, non seulement de redonner au ministère des Sports une autorité et des attributions de plein exercice, mais aussi d’ajouter à ses priorités la réussite des Jeux. Alors que notre pays accueille les Jeux d’été pour la première fois depuis un siècle, et les Jeux paralympiques d’été pour la première fois de son histoire, il était essentiel de renforcer encore le portage politique de l’événement, avec un ministère « meneur de jeu » auprès de l’ensemble de l’« équipe de France » des Jeux.

P. I. — Ce lien établi entre les JOP et le ministère donne-t-il encore plus de poids à votre action en général ?

A. O.-C. — Il lui donne en tout état de cause davantage de responsabilités. Et c’est une très bonne chose ! Car cela découle d’une conviction : celle que les Jeux, précisément parce qu’il s’agit du premier événement sportif planétaire, ont une force de transformation à nulle autre pareille, et qu’ils doivent permettre de faire de la France une grande nation sportive, conformément à la volonté affichée par le président de la République et la première ministre. Cette idée est d’ailleurs au cœur de l’héritage des Jeux que nous bâtissons dès aujourd’hui, par exemple avec la généralisation des 30 minutes d’activité physique quotidienne pour les 6,5 millions d’élèves dans les près de 50 000 écoles primaires depuis la rentrée 2022, portée évidemment en lien étroit avec mon collègue Pap Ndiaye.

P. I. — Vis-à-vis des JOP, comment s’organise votre travail ? Quels sont les axes principaux ?

A. O.-C. — Les Jeux ont une magnitude hors du commun. Pour ma part, j’ai l’habitude de dire que réussir les Jeux, c’est réussir un quatuor d’exigences, un carré magique d’objectifs. D’abord, une organisation irréprochable, notamment en termes de maîtrise des budgets, de sécurité, de transport et de respect des engagements pris sur le plan écologique. C’est aussi, évidemment, des athlètes au meilleur de leur performance, puisque nous ne vibrerons pleinement que si nos sportifs gagnent des médailles. L’or serait encore mieux. Pour que ces Jeux soient les Jeux de tous les Français, ils doivent également être une vraie fête populaire, et c’est ce à quoi s’emploie notamment Paris 2024 à travers plusieurs temps forts, comme le Relais de la flamme, qui embarquera tout le pays autour de l’élan olympique et paralympique. Enfin, je l’ai dit, ces Jeux doivent laisser un héritage utile et durable : matériel, avec les grands projets d’aménagement conçus en Seine-Saint-Denis, mais aussi immatériel, en donnant enfin au sport la place qu’il mérite dans notre pays. Les chantiers sont nombreux pour offrir dans un peu plus d’un an la plus belle fête du sport jamais organisée en France. Tout cela, je vous le garantis, avance avec une mobilisation de chaque instant de l’ensemble des acteurs, avec un ministère particulièrement actif et un gouvernement vigilant et en soutien.

P. I. — Ce lien ministère-JOP a-t-il conduit à une refonte du ministère par rapport à ses schémas classiques d’organisation et/ou de fonctionnement ?

A. O.-C. — En 2019, du fait de la perspective des Jeux, le ministère a déjà connu une réorganisation avec la création de l’Agence nationale du sport, qui a la belle — et lourde ! — responsabilité de mener nos sportives et nos sportifs vers les cimes olympiques et paralympiques. Par ailleurs, cela fait déjà plusieurs années que Paris 2024 et la Solideo, créés à l’occasion de l’accueil des Jeux, font un travail remarquable sous l’égide de la délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques, dont le rôle est de coordonner les acteurs des Jeux. À mon sens, plus que d’une réorganisation, ce nouveau lien ministère-JOP est surtout le signe que nous entrons désormais dans la dernière ligne droite et que nous avions besoin d’un ministère fort, capable de multiplier les synergies, dans les territoires et auprès des sportifs, au service de la réussite des Jeux. C’est ce à quoi je m’emploie chaque jour, avec notamment une direction des sports repositionnée comme direction d’état-major du ministère, qui a étoffé son équipe consacrée aux Jeux. Le ministère s’est aussi réorganisé territorialement à travers le rapprochement avec l’Éducation nationale.

P. I. — On note un grand nombre de parties prenantes autour des JO : comité d’organisation, mairie de Paris, pouvoirs publics, ministère. Comment fonctionner dans l’harmonie ?

A. O.-C. — Il y a d’abord un facteur essentiel à prendre en compte : c’est que l’ensemble de ces acteurs et, plus largement, l’immense majorité de nos compatriotes attendent les Jeux avec impatience, et même souvent avec passion. Nous mesurons toutes et tous la chance que nous avons de travailler à l’organisation d’un événement dont les retombées et la charge émotionnelle sont, à tous points de vue, extraordinaires. C’est en étant conscients de cette part de rêve, mais aussi évidemment avec beaucoup de sérieux et d’exigence, que nous avançons méthodiquement, pas à pas, vers le 26 juillet 2024, date à laquelle la Seine s’illuminera pour faire place aux quelque 10 000 athlètes venus du monde entier. La mobilisation, avec pour seul cap la réussite de ces Jeux, est totale. Nous sommes de nombreux acteurs investis et engagés : le plus haut niveau de l’État, avec l’implication précieuse d’Emmanuel Macron et d’Élisabeth Borne ; la Ville de Paris et la région Île-de-France, qui ont depuis le premier jour un rôle pivot ; la métropole du Grand Paris ; près de 70 collectivités hôtes qui œuvrent à nos côtés, jusqu’aux quelque 3 000 collectivités locales qui ont fait le choix de « rejoindre le mouvement » et de devenir des « Terres de Jeux » ou des Centres de préparation aux Jeux. Il faut aussi saluer un engagement qui va au-delà des seules collectivités publiques : de nombreuses entreprises soutiennent un comité d’organisation financé à 97 % par de l’argent privé, et les millions de bénévoles qui font le sport sont déjà des acteurs clés de Paris 2024.

P. I. — La conjoncture économique difficile s’est invitée depuis quelques mois dans la réflexion olympique, notamment sur le plan budgétaire. Au point d’obscurcir l’horizon de Paris 2024 ?

A. O.-C. — Les Jeux financent les Jeux. Cela reste notre objectif, et c’est la feuille de route qui guide le travail de Tony Estanguet et de ses équipes ainsi que de la Solideo. Évidemment, le contexte actuel constitue un défi supplémentaire. Le comité d’organisation, financé, je l’ai dit, à plus de 97 % par des ressources privées, n’échappe pas aux aléas économiques. Nous devons prendre en compte le passage d’une hypothèse de départ d’inflation à 1,4 % à celle que nous connaissons aujourd’hui, autour de 6 %. C’est la raison pour laquelle un travail est actuellement mené avec Paris 2024 pour identifier l’ensemble des pistes d’économies et de rationalisation possibles, avec l’objectif très clair de ne rien dégrader de l’ambition du projet ou de l’expérience des athlètes et des spectateurs. La promesse de Jeux sobres doit être tenue également sur le plan financier. En ce qui concerne les infrastructures, qui sont traditionnellement la source principale de dépassement budgétaire dans les projets de Jeux olympiques, nous n’avons pas, à ce stade, d’inquiétude particulière. C’est d’autant plus important que c’est sur ce poste que se concentrent la très grande majorité des financements publics. Ils contribuent ainsi à la construction d’ouvrages pérennes qui constitueront l’héritage que j’évoquais précédemment, pour les territoires concernés et leurs habitants. Je pense, par exemple, à la contribution au financement, en lien avec des promoteurs privés, du village olympique et du village des médias, qui deviendront, demain, plus de 4 000 logements aux meilleurs standards de la vie inclusive et durable, dont 40 % de logements sociaux. Aujourd’hui, que ce soit sur les ouvrages, les délais ou les coûts, les engagements sont tenus. Les effets de l’inflation seront pris en compte, dans un cadre qui était anticipé et de manière concertée avec les différents financeurs de la Solideo, comme cela a été le cas par le passé. Je veux saluer la rigueur et le professionnalisme de Nicolas Ferrand et des équipes de la Solideo, en charge de la construction des ouvrages olympiques et paralympiques. Pour eux, comme pour les équipes du comité d’organisation de Paris 2024, mon rôle est d’être une coéquipière — et une facilitatrice — à la fois bienveillante et exigeante.

P. I. — Et que dire des tensions géopolitiques ? Avez-vous des échanges avec vos homologues étrangers ?

A. O.-C. — Les stades, qu’on le veuille ou non, sont le réceptacle des tensions du monde. À l’heure actuelle, ces tensions sont fortes, notamment du fait de la guerre en Ukraine. Dans ce cadre, la France est très claire sur sa réponse : respect absolu de la souveraineté des États, réaction construite et mise en œuvre dans un cadre multilatéral. Dans les semaines qui ont suivi l’invasion, la France, aux côtés de 36 ministres des Sports de l’UE et des pays associés, a ainsi relayé la position du CIO qui envisageait d’exclure les sélections officielles russes de toutes les compétitions internationales. Puis, le 4 juillet dernier, nous avons adopté une déclaration exigeant que les représentants russes et biélorusses soient également suspendus des instances dirigeantes des fédérations sportives internationales. La solidarité de la France avec l’Ukraine se traduit, aussi, dans le domaine sportif. Nous avons accueilli 91 athlètes ukrainiens sur notre sol, qui peuvent ainsi continuer à s’entraîner, avec un accompagnement fédéral. Nous veillons en effet à ce que les Ukrainiens bénéficient de bonnes conditions de préparation, notamment à travers des financements solidaires qui permettent la prise en charge des frais de séjour, du transport et du matériel à l’occasion de compétitions sportives ou de stages de préparation organisés en France. Dans ce cadre, je veux saluer la mobilisation de l’Agence nationale du sport, des fédérations sportives, ainsi que de certains clubs associatifs. Le MSJOP demande aux fédérations d’exercer leurs prérogatives pour ne pas sélectionner les athlètes français qui signent de nouveaux contrats avec des clubs russes ou biélorusses.

P. I. — On parle beaucoup de l’héritage des Jeux. Comment voyez- vous cet héritage ?

A. O.-C. — Jean Castex, qui connaît parfaitement ce projet pour l’avoir accompagné d’abord en tant que délégué interministériel puis en qualité de premier ministre, avait coutume de dire que la spécificité de l’héritage d’un grand événement sportif comme les Jeux olympiques et paralympiques est qu’il se construit avant l’événement. Je crois que les Français peuvent être fiers que Paris 2024 porte dans son ADN cette vision durable, et cela depuis 2015, alors que l’accueil des Jeux en France n’en était encore qu’à ses prémices. La réalité du legs à notre pays d’un projet unique en son genre s’apprécie à plusieurs niveaux. Ces Jeux seront notamment un « laboratoire » à grande échelle de la transition écologique des événements sportifs. Avec 95 % d’équipements éphémères ou déjà existants, Paris 2024 divise par deux l’empreinte carbone des Jeux. Pas de crainte, donc, de voir dépérir ces « éléphants blancs » qui hantent encore Rio ou Athènes. Plus largement, les ouvrages olympiques et paralympiques sont des exemples pour la ville de demain, avec la conversion des villages des athlètes et des médias en éco-quartiers au cœur de la Seine-Saint-Denis. Cet héritage « matériel » des Jeux, c’est aussi une opportunité historique d’aménagement pour le département le plus jeune de France, qui concentre plus de 80 % des investissements publics du projet, et pour les Franciliens qui pourront après 2024 se baigner dans la Seine et dans la Marne.

P. I. — Cela veut dire des Jeux pour tous…

A. O.-C. — Accueillir les Jeux, c’est aussi initier un gigantesque élan pour faire de la France une « nation sportive », pour reprendre les mots du président de la République. En portant le plan 5 000 équipements sportifs de proximité, en permettant à plus de 6 millions de bénéficiaires d’avoir accès au Pass’Sport ou en développant l’activité physique à tous les moments de la vie, le gouvernement en a fait un point cardinal de son action. J’ai beaucoup de chance d’appartenir à l’équipe d’Élisabeth Borne, où pour la première fois un ministre de l’Éducation nationale parle de sport dans chacun de ses discours et où un ministre de la Santé s’est vu confier le sujet de la prévention, dans laquelle le sport joue un rôle capital. Pour faire « Jeux de tout bois » et mettre du sport dans tous les champs ministériels, le président de la République a également déclaré l’activité sportive grande cause nationale de l’année 2024. Bien sûr, l’État ne se mobilise pas seul aux côtés du comité d’organisation. Les collectivités locales, au premier rang desquelles les collectivités hôtes des épreuves, le mouvement sportif et les entreprises sont autant d’acteurs clés pour que la flamme olympique et paralympique ne s’éteigne pas au soir du 8 septembre 2024.

P. I. — À titre personnel, quels souvenirs ou quelles émotions liées aux Jeux avez-vous en tête ?

A. O.-C. — C’est une question difficile ! Les Jeux ont été le cadre de tant de moments et de performances exceptionnels qu’ils sont désormais inscrits dans notre mémoire à tous, et dans le monde entier. On peut même dire qu’ils font l’Histoire, comme l’ont montré ces dernières années les deux Corées unies dans une même délégation aux Jeux de Pyeongchang ou encore le sourire d’Hassiba Boulmerka, première femme algérienne médaillée d’or aux Jeux. Quant aux performances sportives, je dirais, comme Roland Barthes à propos du Tour de France dans ses Mythologies, qu’il y a une « onomastique » des Jeux, qui dit à elle seule qu’ils sont une « grande épopée » et même, à mon sens, la plus grande épopée de notre époque. Bob Beamon, que nous avons eu récemment le plaisir de recevoir, Usain Bolt, Michael Phelps et, côté français, Marie- José Pérec, Renaud Lavillenie, Laure Manaudou, Teddy Riner, Marie-Amélie Le Fur, Alexis Hanquinquant et évidemment Tony Estanguet, sont autant de noms qu’il suffit d’évoquer pour ouvrir un monde de performances et d’émotions que seuls les Jeux peuvent nous donner ! Vivement Paris 2024 !

P. I. — En tant qu’ancienne sportive de haut niveau, les JOP vous parlent-ils différemment ?

A. O.-C. — Je crois que, pour tout sportif, les Jeux sont un graal indépassable ! Qui n’a pas rêvé, au sein d’un stade olympique en fusion, de voir hisser le drapeau de la France et d’entendre retentir la Marseillaise ? Et cela vaut pour les sportifs du monde entier. En 2021, pour les Jeux de Tokyo, même avec une fête à huis clos, qui n’a pas eu un enfant, un adolescent, un oncle, un cousin qui s’est levé en pleine nuit pour voir nos équipes de hand, de basket, de volley ou de judo aller décrocher l’or olympique, au bout de leurs forces et de leur rêve d’une vie ? C’est cela, la magie des Jeux : la compétition des meilleurs sportifs dans chaque discipline dans le cadre de l’événement populaire et démocratique par excellence, capable de rassembler 4 milliards de téléspectateurs. Pour nos sportifs dont en effet j’ai fait partie, c’est une motivation considérable, et, comme je le disais, nous faisons tout notre possible pour les amener dans les meilleures dispositions le jour J. Comme ministre, je suis pleinement mobilisée aux côtés de « l’équipe derrière l’équipe », c’est-à-dire de tous ceux qui, que ce soit au sein de l’Agence nationale du sport, des fédérations ou des établissements, accompagnent chaque jour les entraîneurs et les sportifs, pour leur permettre de gagner en France, chez eux, devant leur public.

P. I. — À l’heure d’aujourd’hui, vous projetez-vous déjà en 2024 ?

A. O.-C. — Bien sûr, et, pour être honnête, cela ne date pas d’hier. Voilà de longues années que la France attend d’accueillir les Jeux, et je pense que beaucoup de nos concitoyens se rappellent comme moi avec un pincement au cœur la tristement célèbre « déception de Singapour » qui a marqué la fin du rêve Paris 2012. Mais, depuis plusieurs années, c’est désormais l’« esprit de Lima » qui nous anime, c’est-à-dire cette « union sacrée » qui fait que la France sera, dans un peu plus d’un an, au rendez-vous des Jeux — des semaines de joie et de fierté pour nos concitoyens. Pour l’ensemble de la nation, j’ai l’intime conviction que Paris 2024 sera de ces événements qui contribuent à exprimer ce que la France a de plus beau : la générosité et l’universalisme.