Les Grands de ce monde s'expriment dans

Kinshasa : le passage de témoin

Entretien avec Joseph Kabila, Président de la République démocratique du Congo depuis janvier 2001, par Colette Braeckman, Journaliste

n° 163 - Printemps 2019

Joseph Kabila


Colette Braeckman - Monsieur le Président, comment résumeriez-vous les dix-huit années que vous venez de passer à la tête de la République démocratique du Congo ?
Joseph Kabila - Cette histoire pourrait faire l'objet de plusieurs livres, et elle n'est pas terminée. Ce fut un long voyage. Lorsque je suis arrivé au pouvoir à la mort de mon père, la République démocratique du Congo était un pays occupé, divisé, en guerre. La patrie était en danger, dans une situation d'urgence absolue. J'ai dû agir comme un militaire en mission, sans trop me poser de questions. La priorité des priorités, c'était la stabilisation du pays. Lors de mon premier discours, en janvier 2001, j'ai été clair : il fallait réunifier le Congo, mettre en place un nouveau cadre macro-économique et organiser des élections. Ce fut chose faite en 2006, même si mon adversaire Jean-Pierre Bemba a violemment contesté le verdict des urnes. Ensuite, j'ai voulu aller de l'avant. Mon ambition était d'amorcer la reconstruction du pays. J'ai lancé la politique dite des cinq chantiers, ce qui m'a amené à nouer des relations avec la Chine.
C. B. - Votre présidence est alors entrée dans une deuxième phase...
J. K. - C'est exact. L'équation des contrats chinois était simple : en échange de l'exploitation en commun de trois concessions minières, la Chine nous accordait un prêt de 9 milliards de dollars. Mais il s'agissait d'un prêt en nature, non en capital : les Chinois ne nous avançaient pas d'argent, ils réalisaient des grands travaux. La plupart des infrastructures que l'on voit aujourd'hui ont été construites à ce moment-là. Mais, sous la pression du FMI et de la Banque mondiale, ce prêt chinois a été ramené à 6 milliards de dollars. Cette période fut loin d'être calme. Nous avons été confrontés à plusieurs défis d'ordre sécuritaire : des rébellions ont éclaté dans l'Est et dans la province de l'Équateur, tandis que plusieurs guerres faisaient rage dans le Kivu.
Une troisième séquence s'est ouverte en 2011 : nous avons tenté de poursuivre la stabilisation et d'engager le pays dans des réformes. L'une des plus importantes a consisté à revoir l'organisation territoriale, en particulier le découpage des provinces, qui sont passées de 11 à 26. Durant cette période, nous avons aussi dû faire face à une résurgence de la guerre dans l'Est. Il nous a fallu deux ans pour vaincre définitivement le mouvement rebelle du M23 (1), au prix d'efforts financiers considérables. Cette guerre, qui nous a été imposée, a retardé de deux ans l'échéance électorale.
C. B. - La tenue même de ce scrutin a longtemps été mise en doute. Vous aviez promis de ne pas vous représenter mais, jusqu'au dernier moment, bien peu ont cru que vous tiendriez parole. N'a-t-il pas été difficile, pour vous, de céder la place ?
J. K. - Ce qui m'étonne, c'est que ma décision ait pu étonner. J'ai fait ce que j'avais toujours dit. Jamais, ni en privé ni en public, ni lors de mes discussions avec d'autres chefs d'État je n'ai exprimé autre chose. À aucun moment je n'ai eu l'idée ni même la tentation de modifier la Constitution et de revenir sur la limitation du nombre de mandats présidentiels. Y compris lorsque, en 2011, nous avons adopté un mode de scrutin à un tour. J'ai toujours dit que j'étais au service de mon pays et que j'allais le rester, car je considère que l'oeuvre de reconstruction du Congo est un travail de longue haleine. C'est le défi qui est proposé à 80 millions de citoyens congolais et pas au seul Joseph Kabila. Il y a tellement à faire ! Même si Dieu devait me donner deux ou trois vies, elles ne suffiraient pas...
C. B. - Vous mériteriez pourtant des vacances...
J. K. - Ce qui est certain, c'est que je ne partirai pas en vacances aux Bahamas, ni même à Dubai ou en Espagne ! Je resterai certainement au Congo et, croyez-moi, j'aurai de quoi m'occuper (2) ! Mon père me le répétait sans cesse : « Ce qui compte, c'est l'amour de son pays. »
C. B. - Vos proches voient en vous un futur gentleman farmer : dans le Bas Congo, au Katanga, vous possédez d'immenses fermes où vous vous occupez d'élevage et, ici même, à Kinshasa, on entend des chimpanzés s'ébattre dans le jardin... Le contact avec la nature est-il important pour vous ?
J. K. - J'aime la nature, mais je suis encore plus passionné par la protection de l'environnement. En tant que citoyen, je vais poursuivre dans cette direction ; il y a tant à faire en ce domaine ! Vous parlez de mes fermes... Elles sont vastes, c'est vrai, mais au début elles se limitaient à quelques paillotes. Je les ai construites petit à petit et j'aimerais que tous les Congolais en fassent autant : il faut qu'ils investissent dans leur propre pays, c'est un devoir patriotique. À mes compatriotes de la diaspora, je voudrais dire qu'ils sont les bienvenus ici ; ils doivent revenir au Congo et y créer des entreprises. Je tiens d'ailleurs le même discours aux membres de ma famille : investissez au Congo ! Aucun des miens n'est employé dans la fonction publique ; aucun ne bénéficie d'une sinécure. Tous doivent travailler dans le pays ; c'est l'exemple que je voudrais qu'ils donnent.
C. B. - Durant votre mandat, il vous a été reproché de ne pas avoir libéré les prisonniers politiques, de ne pas avoir tenu les promesses de « décrispation » qui avaient été faites fin 2016 en échange de votre maintien au pouvoir pour deux ans supplémentaires...
J. K. - À ma connaissance, il n'y a pas au Congo de détenu « politique » au sens strict du terme. Si des problèmes se posent au niveau de la justice, c'est là qu'il faut intervenir : nous avons un ex-gouverneur qui a été arrêté pour viol, et des généraux sont en prison pour la même raison. Ce n'est pas parce qu'on se …