Les Grands de ce monde s'expriment dans

Italie : un professeur à la manœuvre

Entretien avec Giuseppe Conte, Président du Conseil italien depuis 2018 par Richard Heuzé, correspondant de Politique Internationale en Italie

n° 169 - Automne 2020

Quel chemin parcouru par cet avocat de droit privé, totalement étranger au monde politique, depuis son arrivée au palais Chigi (le Matignon italien) en juin 2018 ! Giuseppe Conte a vécu comme un cauchemar sa première année de gouvernement, dans le carcan étouffant des deux ténors de sa coalition, Matteo Salvini, leader de la Ligue (souverainiste), et Luigi Di Maio, chef de file des Cinq Étoiles (antisystèmes), tous deux vice-présidents du Conseil. « Conte ? Un inconnu qui n’est bon qu’à exécuter les ordres de ses vice-présidents », raillait à l’époque le New York Times.

Les Italiens ont été les témoins de sa métamorphose le 20 août 2019, lors d’un discours au Sénat en réponse à la motion de censure déposée contre lui par Matteo Salvini. Debout au banc du gouvernement, une main posée sur l’épaule de celui qui était aussi son ministre de l’Intérieur, assis à sa droite, Giuseppe Conte a dressé un réquisitoire féroce contre ses intempérances de langage, la brutalité de sa politique migratoire et son « insensibilité » au bon fonctionnement des institutions. Avec cette leçon de style et de courage politique, Giuseppe Conte a endossé ce jour-là les habits d’homme d’État. Il ne s’en départira plus. 

Né le 8 août 1964 à Volturara Appula, un village de cent habitants près de Foggia, sur l’Adriatique, Giuseppe Conte est issu d’une famille de catholiques pratiquants. Il fréquente le collège de San Giovanni Rotondo, patrie du moine capucin Padre Pio vénéré dans toute l’Italie méridionale. Il obtient en 1988 sa licence en droit à l’Université La Sapienza de Rome. Vingt ans plus tard, c’est à l’Université de Florence, où il enseigne le droit privé, que les Cinq Étoiles viennent le chercher après leur succès aux élections de mars 2018 pour le présenter comme candidat à la présidence du Conseil. Le chef de l’État Sergio Mattarella le charge, le 31 mai 2018, de former le premier gouvernement populiste d’Occident.

Giuseppe Conte ne fait pourtant pas partie des Cinq Étoiles, même s’il en est proche et partage certaines de leurs convictions. « Si populisme veut dire être proche du peuple, je suis populiste », a-t-il déclaré au Parlement, en se présentant comme « l’avocat du peuple ».

Mesuré dans ses propos, équilibré, précis dans ses analyses, maniant une rhétorique imparable dans un italien châtié et ne cédant jamais à la facilité, Giuseppe Conte ne laisse pas indifférent. En costume bien coupé et pochette blanche, il incarne l’élégance classique de l’Italien raffiné. Pragmatique, il évite soigneusement toute prise de position idéologique. Technicien hors pair, il s’est révélé d’une grande habileté pour esquiver les conflits, tant à l’intérieur de sa tumultueuse coalition que sur la scène internationale. C’est un bon stratège qui sait attendre le moment opportun pour imposer ses choix, laissant passer le vent du souverainisme avant de prendre l’initiative. Premier leader européen confronté à la crise du Covid-19, il a eu le courage de décréter très rapidement un confinement impopulaire afin d’enrayer la pandémie. Il reste néanmoins très vigilant, n’hésitant pas, début octobre, à prolonger l’état d’urgence sanitaire jusqu’à la fin janvier 2021 à la suite d’une reprise des contagions sur tout le territoire. Une reprise inquiétante, mais sans commune mesure, toutefois, avec la situation française ou espagnole.

À Bruxelles, il a impressionné ses pairs par sa ténacité et sa détermination, ne cédant sur rien dans la négociation. Il a réussi à transmettre des valeurs de cohésion, de courage et de discipline à ses concitoyens. Ce qui lui a valu de devenir le leader italien le plus populaire du moment, après le chef de l’État Sergio Mattarella.

C’est avec soulagement qu’il a pris connaissance du résultat des élections partielles du 21 septembre. Majorité de gauche et opposition de droite se sont partagé à égalité six régions tandis que les électeurs ont approuvé un référendum constitutionnel amputant le Parlement d’un tiers de ses élus. Le président du Conseil s’était bien gardé de faire campagne. Ce vote lui accorde, sauf accident, une stabilité certaine jusqu’à la fin de la législature, en 2023.

R. H.

Richard Heuzé — Commençons par l’Europe. Vous avez obtenu le 21 juillet un accord historique pour l’Italie. Trois mois auparavant, en pleine crise du Covid-19, vous disiez dans une interview à un journal allemand que l’Italie s’était trouvée bien seule. Comment êtes-vous parvenu à convaincre vos partenaires européens ?

Giuseppe Conte — Le 21 juillet au soir (1), j’ai déclaré que j’étais « fier » de l’accord durement négocié au Conseil européen extraordinaire de Bruxelles et « fier d’être italien ». Rien n’était gagné d’avance. Je crois que cet accord est le reflet de la crédibilité internationale que mon pays a acquise à travers la gestion de cette pandémie. L’Italie a, en effet, pris la vague de plein fouet. Au départ, vous le rappeliez, elle était seule. Les autres pays européens ont été touchés plus tard. J’ai tout de suite réalisé qu’il n’était pas possible d’affronter une urgence sanitaire, économique et sociale d’une telle ampleur sans coordonner nos efforts au niveau européen et sans élaborer une réponse commune extrêmement ambitieuse. 

Le président Emmanuel Macron a été le premier à comprendre cette nécessité et à se rallier à mes vues. Je veux ici l’en remercier. Dès le 25 mars, neuf pays européens, dont la France, l’Espagne et la Belgique (2), ont appelé à unir leurs forces. Affronter seul un tel défi, c’était se condamner sinon à l’impuissance, du moins à l’inefficacité. Ensuite, j’ai dû convaincre les Européens les uns après les autres ! On m’a qualifié de « visionnaire » mais, en réalité, je n’ai jamais perdu confiance parce que j’étais persuadé que, tôt ou tard, tout le monde se rendrait compte qu’une réaction coordonnée était la seule solution pour préserver le tissu productif de l’UE et créer les conditions d’une reprise économique rapide. 

R. H. — Quels arguments avez-vous mis en avant auprès d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel ? 

G. C. — Je leur ai parlé à de nombreuses reprises par téléphone et je les ai rencontrés en tête à tête. J’ai souligné combien il était important de réagir ensemble et de manière immédiate parce que le moindre retard se serait soldé par un immense gaspillage de …