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Australie : un passé qui ne passe toujours pas

Le 14 octobre 2023, les Australiens étaient appelés à se prononcer par référendum sur l’inscription dans la Constitution d’une instance dénommée « Voix au Parlement », qui devait permettre aux Aborigènes de mieux faire entendre leur point de vue sur tous sujets les concernant. La proposition qu’on leur demandait de soutenir ou de rejeter était rédigée de la façon suivante : « En reconnaissance des peuples aborigènes et insulaires du détroit de Torres comme Premières Nations d’Australie : sera créé un organe appelé Voix des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres ; la Voix (…) pourra faire des représentations au Parlement et au gouvernement exécutif du Commonwealth sur des questions relatives aux peuples aborigènes et insulaires du détroit de Torres ; 3- le Parlement aura, en conformité avec la Constitution, le pouvoir de faire des lois sur des sujets relatifs à la Voix (…), y compris sa composition, ses fonctions, ses pouvoirs et ses procédures. »

À une ample majorité (61 % de « non », et pas un seul État en faveur du « oui »), les électeurs ont rejeté le projet. Pour comprendre la signification de ce vote, il convient de revenir un peu en arrière.

Le contexte historique

L’histoire commence en 1788 avec l’arrivée des premiers colons britanniques en Australie. S’ouvre alors pour les Aborigènes, qui habitaient le pays depuis 65 000 ans, une nuit interminable qui les voit spoliés et décimés au point de frôler l’extinction. Comme le formulait succinctement Peter Garrett, le chanteur de Midnight Oil, « les Blancs sont venus, et ils ont tout pris » (1). Dans son discours de Redfern, le 10 décembre 1992, le premier ministre d’alors, Paul Keating, entrait un peu plus dans les détails : « C’est nous qui les avons dépouillés. Nous avons volé les terres traditionnelles et détruit le mode de vie traditionnel. Nous avons apporté les maladies et l’alcool. Nous avons perpétré les assassinats. Nous avons volé les enfants à leurs mères. Nous avons pratiqué la discrimination et l’exclusion » (2).

Confrontés à cette calamité, les Aborigènes n’ont cessé de lutter tant pour leur survie et celle de leur culture que pour la reconnaissance de leurs droits bafoués par l’envahisseur. Si aujourd’hui leur survie n’est plus en danger, les inégalités et les discriminations qui les frappent n’ont que peu reculé : ils sont indiscutablement des Australiens au rabais (3).

L’histoire continue avec la résistance aborigène, qui n’a pas été tout à fait vaine. Ce n’est pas ici le lieu de retracer tous les combats menés par les Aborigènes, mais on peut rappeler quelques moments d’importance, comme le Jour de deuil décrété par deux associations le 26 janvier 1938 — le jour de la fête nationale — lors du 150e anniversaire de l’arrivée des premiers colons pour faire connaître leurs souffrances aux Australiens blancs, ou le référendum du 27 mai 1967, à la portée surtout symbolique (4). Plus près de nous, il faudrait mentionner la loi sur le Titre de propriété indigène (Native Title Act) …