World leaders speak out in

Littérature et pouvoir : un écrivain contre la dictature

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Isabelle LasserrePourquoi n’y a-t-il plus de grands hommes à la tête des États ?

Kamel Daoud — Très belle question ! Je pense qu’il y a partout une crise des institutions qui fabriquent les leaders, qu’il s’agisse de Sciences Po, des grandes écoles ou même de l’armée. Ces institutions subissent la concurrence des plateformes de communication qui nous échappent — les réseaux sociaux — et qui induisent des changements politiques immédiats. Nous avons changé de façon de communiquer et donc d’influer.

I. L.Vous ne croyez pas à l’émergence d’une personnalité hors du commun capable de tirer un pays vers le haut ?

K. D. — Le mythe du sauveur est une constante de l’histoire de l’humanité. Le mythe de la France, c’est de Gaulle. Le mythe de l’Algérie, c’est la conviction qu’il faut gagner des guerres pour être légitime. Le grand cauchemar de l’Amérique, au contraire, c’est de refaire la guerre de sécession. Nous espérons un leadership fort qui incarnerait des valeurs. Mais, en réalité, nous éprouvons aujourd’hui l’angoisse des copistes à l’ère de l’invention de l’imprimerie. Nous conservons nos valeurs, mais nous sommes dépassés par des gens qui ne produisent aucune valeur correspondante et qui sont écoutés, dont le meilleur exemple est celui des influenceurs de mode. Il existe aujourd’hui des gens qui influencent une majorité sans être porteurs ni de rationalité politique ni de discours de civilisation ou de rationalité. En face d’eux se trouvent des gens qui portent ces valeurs, mais qui n’ont aucun moyen d’action, d’influence, et qui rêvent d’un monde où les influenceurs seraient intelligents.

I. L.D’une manière générale, ne trouvez-vous pas que les démocraties sont trop complaisantes envers les régimes autoritaires ? Est-ce parce qu’elles préfèrent la stabilité à la justice ?

K. D. — Si je me réfère à l’histoire algérienne, je suis malheureusement parvenu à la conclusion qu’entre la sécurité, c’est-à-dire la stabilité, et la démocratie, c’est-à-dire la liberté, on choisit toujours la stabilité. Nous vivons à une époque où les gens applaudissent à une forme d’autoritarisme prétendument éclairé. Même aux États-Unis, nous sommes dans cette phase-là. Les démocraties sont des systèmes qui ne savent pas se défendre, dont les valeurs sont à la fois leur force et leur faiblesse. Elles ont besoin de stabilité autour d’elles. Regardez ce qui s’est passé au Moyen-Orient en l’espace de vingt ans. On est passé de l’Irak, où l’Occident croyait pouvoir exporter la démocratie, à la Syrie, où tout le monde s’accommode de l’émergence d’un régime islamiste. Il y a là un renoncement extraordinaire dans la vocation de l’Occident. Nous avons renoncé au rêve de la démocratie universaliste, nous avons renoncé à ce modèle ainsi qu’à la volonté de le proposer aux autres. À la place, nous nous contentons d’une sorte de territoire un peu flou et affirmons que, finalement, la démocratie est une valeur plus culturelle qu’historique. Le cas de la Syrie est particulièrement frappant. Qui, en effet, s’est élevé ou a protesté contre la prise en main du pouvoir par les islamistes ? …