Cet entretien, conduit par Richard Heuzé, a été publié dans le n° 168, été 2020
« Je suis Giorgia Meloni. Je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne. » Lors du grand meeting des forces de droite qui s’est tenu le 19 octobre 2019 sur la place Saint-Jean-de-Latran, devant la basilique, Giorgia Meloni a enflammé les 100 000 militants venus proclamer à Rome leur défiance à l’égard du second gouvernement Conte en s’engageant à « défendre Dieu, notre patrie et nos familles de l’islamisation ». Cette figure marquante de l’opposition fait entendre sa voix à un moment où le gouvernement de centre gauche constitué en septembre 2019 par Giuseppe Conte, proche des Cinq Étoiles (1), est de plus en plus critiqué pour sa gestion de la crise sanitaire et économique. Quelle est donc cette pasionaria blonde de 43 ans, très photogénique, qui préside depuis 2014 Fratelli d’Italia, la formation la plus à droite de la coalition d’opposition comprenant la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi ?
Née en janvier 1977 à Rome dans une famille relativement aisée, Giorgia a été élevée par sa mère, une femme de droite, son père d’origine sarde, expert-comptable, ayant quitté le domicile conjugal. Elle lui en voudra toute sa vie et ne cherchera jamais à le revoir. La famille s’est installée à la Garbatella, quartier périphérique de Rome à l’élégante architecture rationaliste des années 1930. Dès l’âge de 15 ans, elle s’engage dans le mouvement de jeunesse du parti néo-fasciste, le Mouvement social italien (MSI). À 29 ans, elle est élue député du Latium et décroche la vice-présidence de la Chambre des députés. À 31 ans, elle devient la plus jeune ministre de l’histoire de la République italienne (pour la Jeunesse) au sein du quatrième gouvernement Berlusconi (2008-2011). En décembre 2012, elle fonde Fratelli d’Italia avec la fraction nationale-conservatrice de l’Alliance nationale, le parti qui a succédé au MSI. Quinze mois plus tard, elle en prend la présidence. Elle est, à ce jour, la seule femme à diriger une formation politique en Italie.
Son parcours est balisé de succès. En témoignent ses résultats électoraux. À sa création, FDI comptait onze députés et onze sénateurs. Il en a aujourd’hui respectivement trente-trois et dix-huit. En termes de voix, l’ascension est tout aussi frappante : 3,66 % aux européennes de 2014 ; 4,4 % (avec 1,4 million de suffrages) aux législatives de mars 2018 ; 6,5 % aux dernières européennes de mai 2019. Fin mai 2020, les sondages lui attribuaient 15,4 % des intentions de vote.
En six ans, Giorgia Meloni est devenue incontournable. Formidable oratrice sur les places publiques autant qu’au Parlement, critique véhémente de la gauche, liée à l’ultra-droite américaine et à son gourou Steve Bannon qu’elle a fait venir à Rome en septembre 2018 et qui la considère comme « le visage rationnel du populisme de droite », proche du premier ministre hongrois Viktor Orban tenu à l’écart par le reste de l’Europe, elle saisit toutes les occasions pour défendre ses idées et dénoncer les « erreurs » du gouvernement Conte. Elle a présenté quatre propositions de référendum : élection directe du chef de l’État ou du chef du gouvernement ; « suprématie » des lois italiennes sur les traités européens (« comme en Allemagne », dit-elle) ; inscription dans la Constitution d’un taux maximal de prélèvements fiscaux (pour que les impôts ne soient plus calculés sur la base de la dépense publique) ; et suppression des sièges des cinq sénateurs à vie, une institution anachronique, selon elle. Giorgia Meloni fustige la prolifération des camps de « Roms » et veut interdire les débarquements d’immigrés clandestins sur les côtes italiennes. Sur sa vie privée, elle reste très réservée. On sait juste qu’elle a eu une fille, Ginevra (trois ans et demi), avec son compagnon Andrea Giambruno, producteur de Mediaset. Elle a fait des études de langues et parle couramment anglais, français et espagnol. Giorgia Meloni se trouvait à Paris au soir de l’attentat du Bataclan, le 13 novembre 2015, et a raconté en direct son émotion dans une vidéo tournée au pied de la Tour Eiffel qui a été vue par quatorze millions d’internautes.
R. H.
Richard Heuzé — Depuis six ans, votre parti Fratelli d’Italia (FDI) connaît une forte progression. À quoi l’attribuez-vous ?
Giorgia Meloni — Les Italiens apprécient la cohérence. Avant les législatives de 2018, nous avions promis de ne participer à aucun gouvernement (2). Et nous avons tenu parole, y compris lorsque le « gouvernement du changement » (3) a été formé par la Ligue et les Cinq Étoiles (M5S). Nous sommes restés dans l’opposition tout en soutenant les décisions qui ont été prises pour renforcer la sécurité publique et contenir l’immigration incontrôlée. Ce qui ne nous a pas empêchés de nous opposer avec force aux mesures économiques de gauche imposées par les Cinq Étoiles. Quand, à la suite d’un renversement d’alliances, le Parti démocrate (4) est entré au gouvernement, nous avons été les premiers à descendre dans la rue pour dénoncer cette confiscation de la démocratie. C’est à ce moment-là que notre audience s’est envolée. Et je constate avec plaisir que, loin de diminuer, elle s’est même renforcée durant cette crise du coronavirus.
D’ordinaire, ce sont les dirigeants au pouvoir qui tirent parti des périodes de crise parce qu’ils distribuent des aides à ceux qui en ont besoin et qu’ils offrent des points de repère auxquels les gens peuvent se raccrocher. Nous, au contraire, nous gagnons du terrain parce que nous ne faisons aucun cadeau à ce gouvernement dont les carences sont flagrantes et que chacune de nos critiques est assortie de contre-propositions constructives. Les Italiens ont compris que nous sommes sérieux, que nous sommes prêts à gouverner, que nous ne le ferons qu’en notre nom et pour le compte de notre nation.
R. H. — Aux dernières élections européennes, le centre droit composé de FDI, de la Ligue de Matteo Salvini et de Forza Italia de Silvio Berlusconi (5) représentait plus de 45 % du corps électoral. Mais, depuis, vous vous êtes démarquée à la fois de Silvio Berlusconi et de Matteo Salvini dont la Ligue a reculé à votre profit, passant de 34 % des voix en mai 2019 à 28,2 % dans les intentions de vote aujourd’hui. Le centre droit existe-t-il encore ?
G. M. — Il existe dans la tête et le cœur de millions d’Italiens qui constituent une majorité, mais qui n’ont pas toujours trouvé dans les partis de centre droit la capacité de les représenter au mieux. Nous avons fondé Fratelli d’Italia pour cette raison (6). Au sein de la coalition, les rapports sont bons. Nous gouvernons ensemble un grand nombre de communes ainsi que des régions importantes (7). Nos programmes sont assez similaires ; ils sont en tout cas compatibles. Nous portons, en particulier, le même jugement sur le gouvernement Conte et sur les mesures qu’il faudrait prendre pour relancer l’économie. Mais nous sommes une coalition de partis différents. Il est naturel, par conséquent, que nous ayons des positions contrastées sur certains grands dossiers. Cela fait partie de l’histoire et de la sensibilité de chacune de nos formations. Nous sommes, par exemple, en désaccord avec Forza Italia sur l’Europe et le Mécanisme européen de stabilité (MES) (8). Nous estimons qu’accéder au MES serait pour l’Italie une erreur fatale alors que Forza Italia vit d’illusions et pense qu’il pourrait exister une version « light » du MES qui ne comporterait aucune conditionnalité. Malheureusement, nous savons bien que cela n’est prévu ni par les traités ni par les statuts…
R. H. — Dans le monde de l’après-Covid, quels choix l’Italie devra-t-elle faire pour défendre ses intérêts nationaux ?
G. M. — Il ne fait aucun doute que l’Union européenne doit entièrement revoir son rôle et ses objectifs. Dans la crise actuelle, en tardant à manifester sa solidarité envers les pays les plus touchés, elle a montré une fois de plus qu’elle était trop éloignée des citoyens. Elle est devenue une sorte de mont-de-piété. Le maximum qu’un État membre peut faire, c’est s’endetter en espérant que ses créanciers lui consentiront de quoi survivre sans trop serrer la corde qu’ils lui ont passée autour du cou. Je vous rappelle que l’Italie est la troisième économie et la deuxième industrie manufacturière du continent européen. Elle est un contributeur net au budget communautaire auquel elle verse chaque année en moyenne plus de trois milliards d’euros. C’est vrai que notre endettement public est élevé, mais il est parfaitement soutenable, et nous pouvons compter sur une extraordinaire réserve d’épargne privée.
Au cours des dernières années, les Italiens ont accepté un plan très douloureux de réduction de leur déficit public qui a provoqué d’énormes dégâts. Nous avons mis à la disposition de la communauté internationale des milliers de soldats italiens pour maintenir la paix dans le monde. Nous détenons le record des sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco et de dénominations d’appellation d’origine pour nos produits alimentaires. Je pourrais continuer l’énumération. Ce que je veux dire, c’est que l’Italie est une grande nation et qu’elle ne demande aucune aumône. Elle veut simplement obtenir la part qui lui revient et pouvoir s’appuyer sur des règles communautaires qui lui permettent de faire valoir au mieux ses potentialités.
R. H. — Devra-t-elle rester dans l’Union européenne ou en sortir, renforcer ses alliances traditionnelles avec le monde Atlantique ou se rapprocher de la Russie et de la Chine ?
G. M. — Dans le contexte actuel, à plus forte raison après le Brexit, le lien transatlantique est d’une importance fondamentale et nous entendons le développer. Je constate avec satisfaction qu’au Département d’État américain on commence à penser qu’il serait contre-productif de pousser la Russie dans les bras de la Chine et qu’il serait utile de renforcer la collaboration avec Moscou. Ce qui naturellement dépend aussi des Russes. L’Italie a accueilli en 2002 le sommet Otan-Russie (9) qui a été l’un des moments les plus forts de nos relations avec Moscou avant qu’elles ne commencent à se détériorer. Je souhaite qu’on en revienne à cet esprit. Cela permettrait, en outre, d’atténuer les sanctions économiques décrétées contre la Russie qui handicapent lourdement les entreprises italiennes.
En revanche, nous considérons que la Chine représente aujourd’hui une menace considérable. La responsabilité de ce qui s’est passé à Wuhan, le manque de transparence de l’OMS, les retards et les dissimulations dans la divulgation de la vérité ont gravement entaché son image. L’objectif du régime communiste chinois est clair : il profite de la faiblesse de certains gouvernements occidentaux pour poursuivre sa stratégie de pénétration économique. Nous avons malheureusement en Italie le gouvernement le plus sinophile d’Europe : en quelques mois, il a signé le mémorandum sur les nouvelles « routes de la soie » (il est le seul à l’avoir fait), ouvert les portes à la technologie chinoise de la 5G et proposé de céder une partie de notre dette souveraine à Pékin. Alors qu’il faudrait, au contraire, protéger nos entreprises et nos infrastructures stratégiques contre les menées agressives des grands groupes et des fonds chinois.
R. H. — Comment définiriez-vous Fratelli d’Italia ? S’agit-il d’un parti souverainiste, comme vous l’avez déclaré en octobre 2018 en accueillant Steve Bannon à Rome ? D’une formation nationaliste, conservatrice, patriotique, voire d’extrême droite ou post-fasciste comme l’affirme la presse italienne et comme sa filiation avec l’Alliance nationale pourrait le laisser penser ?
G. M. — Permettez-moi une remarque préliminaire. L’Alliance nationale avait hérité de l’histoire glorieuse du Mouvement social italien (MSI) qui a permis à des millions d’Italiens sortis vaincus de la guerre civile de rejoindre notre démocratie (10). Après guerre, des dizaines de jeunes de droite ont payé de leur vie leur amour pour la patrie, tués par des extrémistes de gauche. C’est pour cette raison que nous avons décidé de conserver la flamme tricolore dans notre logo. La parenthèse du fascisme s’est refermée il y a 75 ans et ne survit que dans la mémoire de ceux qui ont besoin d’agiter un épouvantail à la face de leurs adversaires politiques. Le communisme, lui, faisait des ravages en Europe il y a encore trente ans et subsiste en de nombreux endroits du monde. Mais vous ne direz jamais à des membres du Parti démocrate ou d’autres partis socialistes européens qu’ils sont des « post-communistes » !
Aujourd’hui, en Italie, c’est la gauche qui restreint le champ des libertés individuelles et la droite qui défend la démocratie. Fratelli d’Italia est une formation moderne de droite. Elle compte dans ses rangs trois anciens ministres, parmi les plus éminents, issus d’un gouvernement de centre droit, un gouverneur de région et de nombreux maires de grandes villes. Elle est également présente dans l’exécutif de onze régions. Aux dernières élections européennes, nous avons choisi de faire figurer la mention « souverainiste » sur nos documents parce que nous protégeons les intérêts et l’indépendance de notre nation. Ainsi que le mot « conservateur » parce que nous sommes attachés à notre identité culturelle. En résumé, nous sommes un parti patriotique qui défend l’Italie, son histoire, sa culture, ses frontières, ses domaines d’excellence et le travail de son peuple. Je crois que tout cela nous définit mieux que ces références au passé qui n’ont plus de raison d’être.
R. H. — De quels personnages de l’Histoire, italienne et européenne, vous sentez-vous proche ?
G. M. — Ma formation va de la tradition classique et de la Rome antique à Dante Alighieri (dont nous célébrerons en 2021 le 700e anniversaire de la mort). Je me sens des affinités, aussi, avec les patriotes qui ont forgé l’Unité de l’Italie lors du Risorgimento et avec certains intellectuels du XXe siècle comme Gabriele D’Annunzio et Filippo Tommaso Marinetti, que vous connaissez bien en France.
Pour en venir à des personnages plus récents, je citerai Jean-Paul II, le pape polonais qui a contribué plus que tout autre à abattre le totalitarisme soviétique et à élaborer une doctrine sociale qui met au centre la personne, en réaction contre les errements du communisme et les excès du capitalisme hédoniste. Son magistère et son exemple resteront éternels.
Je mentionnerai aussi Roger Scruton (11), un géant de la pensée conservatrice contemporaine. Dans ses écrits, il analyse la crise de l’Occident et le mal qui le frappe : l’« oikophobie », autrement dit la haine de la maison natale et la volonté de se défaire de tout ce qu’elle représente. Je pense également à une autre personnalité, un héros de la société civile dont l’assassinat (NDLR : le 19 juillet 1992 à Palerme) m’a poussée à m’engager en politique : le magistrat anti-mafia Paolo Borsellino qui, avec son collègue Giovanni Falcone, a infligé des coups très durs à Cosa Nostra. Un homme de droite qui avait servi l’État et non ses propres amis politiques.
Si vous me demandez des noms de Français, j’en citerai deux : Charles de Gaulle, parce que j’apprécie son idée de démocratie directe et sa vision de l’Europe des nations qui a hélas été supplantée par une Europe financière et bureaucratique. Et Michel Houellebecq qui, avec son livre Soumission, a déchiré le voile du politiquement correct en nous mettant en garde contre l’islamisation rampante de l’Europe.
R. H. — Que faudrait-il faire pour endiguer la crise sociale qui se profile ?
G. M. — Les Italiens ont été très courageux. Ils ont résisté avec une patience extrême. Mais aujourd’hui, après des mois d’urgence, il n’y a plus de temps à perdre. Ils sont des millions à attendre des réponses, des mesures de soutien pour leurs entreprises, des garanties sur leur avenir. Si rien n’arrive, la situation risque d’exploser. Pendant ce temps, le gouvernement repousse les décisions nécessaires et l’Union européenne tergiverse. Il faut accorder aux entreprises des aides non remboursables qui seraient financées par l’émission de titres d’État garantis par la Banque centrale européenne (BCE).
R. H. — Pour l’après-crise, vous appelez de vos vœux un gouvernement fort, capable d’imposer ses choix à l’Europe. Quel président du Conseil voyez-vous pour incarner ce nouvel élan ? Accepteriez-vous de participer à un gouvernement d’union nationale ?
G. M. — Depuis sa création, Fratelli d’Italia s’est toujours opposé à la formation de gouvernements qui ne refléteraient pas la volonté des électeurs. Cela semblera sans doute étrange à vos lecteurs mais, depuis neuf ans, aucun gouvernement n’a été le fruit d’un verdict des urnes clair et net. Les derniers gouvernements italiens ont été créés en laboratoire avec la bénédiction de Bruxelles et des principales chancelleries européennes. Le second cabinet Conte en est un parfait exemple. Alors oui, nous voulons nous débarrasser de ce gouvernement que nous considérons comme très mauvais, mais nous ne voulons pas de « combinazioni » de palais. Lorsqu’on sera retourné à une vie démocratique normale, on doit pouvoir voter à nouveau. Ce sont les Italiens qui désigneront ceux qu’ils souhaitent voir diriger le pays. Si, en revanche, on assiste à de nouvelles manœuvres politiciennes, nous n’entrerons pas au gouvernement. Nous œuvrerons au bien de l’Italie, mais d’une autre manière.
R. H. — L’Italie, la France, l’Espagne et quatre autres pays méditerranéens ont fait bloc pour exiger plus de solidarité de la part de l’Union européenne. Diriez-vous qu’ils sont parvenus à contrer l’Europe du Nord et à faire reculer les Pays-Bas, un pays que vous avez qualifié de « paradis fiscal » ?
G. M. — Aux Conseils européens, il y a deux choses qui ne changent jamais. La première, ce sont les Hollandais qui jouent les méchants policiers au service des Allemands. La seconde, ce sont les Français qui se présentent systématiquement comme les chefs de file d’un « front du Sud » avant de conclure un accord à deux avec l’Allemagne. Nous l’avons vu une fois de plus sur le paquet de mesures d’aides européennes. Macron lui-même n’en a pas fait mystère lorsqu’il a déclaré qu’il « ne peut y avoir d’accord européen s’il n’y a pas d’abord un accord franco-allemand ». Autre exemple : le traité de coopération signé en janvier 2019 à Aix-la-Chapelle (12) par Paris et Berlin, qui a relancé la coopération bilatérale entre les deux pays. Je crains que le MES, s’il voit le jour, n’aille dans le même sens. D’ailleurs, côté italien, personne ne se bouscule pour l’adopter. Quant au plan de relance européen dont on parle tant, il ne me paraît pas tellement percutant : on était parti d’un plan ambitieux de 1 500 milliards d’euros et, après les déclarations d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron, il n’en restait plus que 500 milliards. La Commission européenne l’a élevé à 750 milliards le 27 mai. Mais on est toujours loin du compte. On ne sait pas encore quand ces sommes seront débloquées et quelles formes elles prendront — subventions ou nouvelles lignes de crédit sur des prêts déjà concédés. Franchement, je n’ai pas l’impression que les tenants de la rigueur budgétaire aient perdu la main, au contraire. L’Allemagne a même été autorisée à toucher 52 % du total des aides d’État consenties par l’Union européenne pendant le lockdown (13). Elle sortira de la crise avec un avantage compétitif encore plus grand. Et personne n’a remis en cause ni son excédent commercial ni les politiques fiscales agressives des Pays-Bas qui ont privé les autres États européens de plusieurs milliards d’euros au cours des dernières années.
R. H. — Quels enseignements faut-il tirer du Brexit ? Est-ce une source d’inspiration pour les partisans d’un « Italexit » ?
G. M. — En remportant les élections, Boris Johnson s’est vu confier un mandat pour sortir le Royaume-Uni de l’UE — ce qu’il a fait. Je ne m’étendrai pas sur ses qualités personnelles. En politique, la moralité consiste surtout à tenir les engagements que l’on prend vis-à-vis des électeurs. Lorsqu’il est tombé malade et qu’une certaine partie de la gauche s’est déchaînée sur les réseaux sociaux pour souhaiter sa mort, je lui ai exprimé ma solidarité. J’ai été soulagée de le voir regagner le 10 Downing Street plein d’énergie, de combativité et entouré de l’affection de son peuple. Mais que les choses soient claires : dans la difficile négociation qui s’annonce, l’Europe doit défendre ses intérêts. Nous devons empêcher le Royaume-Uni de se transformer en une plateforme commerciale qui inonderait le marché unique de produits de faible qualité à vils prix. Nous en sortirions tous affaiblis. À commencer par l’Italie qui se distingue par l’excellence de ses productions.
R. H. — Vous avez été la plus jeune ministre de la République italienne au sein du quatrième gouvernement Berlusconi, entre 2008 et 2011. Comment réagiriez-vous si, demain, Forza Italia entrait dans un gouvernement d’union nationale ? Où en sont vos relations avec Silvio Berlusconi ?
G. M. — Nos relations sont bonnes. Avec Forza Italia, nous gouvernons de nombreuses régions et grandes villes, et nous espérons pouvoir former un gouvernement d’union nationale dès que les électeurs seront de nouveau appelés aux urnes. Tout le monde sait que, sur l’Europe et sur la composition d’une éventuelle coalition, nous avons des idées divergentes. Nous autres Conservateurs européens croyons qu’une Europe ainsi faite ne marche pas. Ce qui manque aujourd’hui et qu’il faut réaffirmer, c’est la souveraineté nationale et la primauté des peuples que défendait Robert Schuman, dont on a célébré en grande pompe le 70e anniversaire de la déclaration, sans toutefois rappeler son véritable message.
Quant à un gouvernement d’union nationale, l’expérience récente ne plaide pas en faveur d’une très large coalition : nous sortons de deux gouvernements composés de forces politiques très différentes les unes des autres et les résultats ont été désastreux. Je ne vois pas en quoi multiplier les participants permettrait au système de mieux fonctionner. La phase de reconstruction économique durera des années. Pour relancer l’activité, nous avons besoin d’idées claires et d’un gouvernement cohérent. Le redressement passera-t-il par une baisse des impôts et une réduction drastique de la bureaucratie ? Ou bien faudra-t-il augmenter les taxes et les subventions ? Vous aurez compris que nous sommes favorables à la première solution. Gouverner avec ceux qui sont partisans de la seconde conduirait à la paralysie. Et cela, nous ne pouvons pas nous le permettre.
R. H. — Au Parlement européen, FDI fait partie du groupe des « Conservateurs et des Réformistes » (14) et non de celui qu’ont constitué la Ligue et le Rassemblement national de Marine Le Pen (15). Il semble que le leader hongrois Viktor Orban soit tenté d’adhérer à votre groupe s’il était expulsé du Parti populaire européen (PPE). Partagez-vous la vision politique d’Orban, en particulier sur l’immigration ?
G. M. — Je suis liée à Viktor Orban par une profonde amitié. Nos groupes parlementaires collaborent depuis longtemps sur de nombreux sujets et s’il souhaitait rejoindre notre famille conservatrice, j’en serais ravie. Mieux : je considérerais son adhésion comme naturelle. Sur l’immigration, il a été très attaqué par la gauche, mais les Européens devraient en réalité le remercier parce qu’il n’a rien fait d’autre que de défendre les frontières extérieures de l’UE comme le prévoit le traité de Schengen. Quant à la polémique sur la répartition des migrants, elle est instrumentalisée : pourquoi un État souverain devrait-il accepter d’accueillir des dizaines de milliers de clandestins que l’on a laissés venir sans même essayer de les dissuader ? Nous avons toujours été prêts à donner un coup de main à Orban pour faire en sorte que n’entrent dans l’Union européenne que ceux qui ont le droit de le faire, qu’ils soient immigrés réguliers ou réfugiés.
R. H. — Vous avez développé des liens étroits avec Marine Le Pen dans les années 2012-2013, mais vous semblez aujourd’hui plus proche de Marion Maréchal-Le Pen qui était présente à votre Forum des Conservateurs en février 2020 à Rome. Une alliance avec l’extrême droite française est-elle à l’ordre du jour ?
G. M. — Je me méfie des étiquettes, pour moi et encore plus pour les autres. Avec Marine Le Pen, c’est vrai, nous avons eu par le passé des relations cordiales. Elle aime la France comme j’aime l’Italie, et je la respecte. Par la suite, comme je l’ai dit, Fratelli d’Italia a décidé de siéger à Strasbourg au sein du groupe Conservateurs et nous sommes fiers de ce choix. J’ai le sentiment que Marion se consacre à un projet plus culturel qui reste indispensable dans le camp de la « droite » (16). Former de nouvelles générations de patriotes est important si l’on veut gouverner.
R. H. — En février 2020, vous avez été la seule représentante italienne conviée au « National Prayer Breakfast » des Conservateurs à Washington. Une « internationale conservatrice » est-elle possible ?
G. M. — Les Conservateurs sont attachés à l’idée de nation et chacun d’entre eux se plaît à défendre la sienne. Mais il y a des valeurs et des thèmes sur lesquels nous pouvons et nous devons travailler ensemble. D’abord, parce que la gauche poursuit un agenda destructeur que certains grands lobbys ont décidé de mettre en œuvre sur toute la planète : l’immigration incontrôlée qui vise à affaiblir l’identité des peuples ; le discours sur les LGBT qui tend à déconstruire la famille comme cellule de base de la société ; le laïcisme exacerbé qui cherche à expulser la religion de la sphère publique et à renvoyer les chrétiens dans les catacombes ; la mondialisation débridée qui détruit les liens traditionnels ; et la finance spéculative qui tue les petits producteurs. À cette offensive des nouvelles gauches, la droite doit répondre en défendant les valeurs de l’identité, de l’appartenance, de la famille, du travail et de la nation.
R. H. — Votre parcours est celui d’une « battante » dotée d’une formidable capacité à débattre aussi bien à la télévision qu’au Parlement. Comment faites-vous pour être si bien préparée sur tous les sujets ? Travaillez-vous beaucoup ou avez-vous de bons collaborateurs ?
G. M. — J’étudie et j’approfondis les dossiers le plus possible. C’est une habitude que j’ai prise depuis que je suis toute jeune fille. Souvent mes collègues me disent que j’exagère, que je suis maniaque. Mais le devoir d’un homme ou d’une femme politique est de ne pas raconter des sottises à ceux qui veulent bien l’écouter. A fortiori s’il est de droite car la machine à broyer de la communication de gauche n’en ferait qu’une bouchée. Des millions d’électeurs croient en moi et en Fratelli d’Italia. Ils sont des millions à nous observer, y compris à l’étranger. Vous savez, la politique est un parcours long et difficile. Il faut parler à la tête et au cœur et pas seulement au ventre. Ce qui implique de donner des réponses simples à des questions complexes. De trouver les mots justes pour faire comprendre aux gens ce que l’on veut dire. En coulisses, évidemment, je peux compter sur toute une équipe d’experts : nous avons un centre d’études et des cadres expérimentés qui m’aident à me tenir à jour sur tous les dossiers.
R. H. — Que signifie être de droite pour une femme politique italienne ? Quelles sont les valeurs auxquelles vous tenez le plus ?
G. M. — Contrairement à ce que pense la gauche, la droite italienne n’est absolument pas machiste. J’ai pu affirmer mes idées et je peux aujourd’hui diriger l’un des partis les plus importants du pays sans rien sacrifier. Certes, en général, on attend toujours d’une femme bien plus que ce qu’on attend d’un homme. Et elle doit faire une double journée si elle ne veut pas renoncer à être mère. La première des valeurs auxquelles je crois est la cohérence. Si un matin, en me regardant dans la glace, je devais baisser les yeux, je cesserais de faire de la politique.
R. H. — En tant que catholique, pensez-vous que Matteo Salvini a eu raison d’exhiber sa foi avec tant d’ostentation (17) ?
G. M. — C’est exact, je suis catholique. Vous savez que sur ce thème on a fait un « jingle ». Quand Matteo montre son rosaire, je n’ai pas à le juger. Personnellement, j’ai une sensibilité différente et il ne me viendrait pas à l’idée de le faire. Le temps de l’unité politique des catholiques en Italie s’est terminé avec la fin de la Démocratie chrétienne (18) et ne reviendra plus. Notre parti n’est pas confessionnel, mais les Italiens savent que Fratelli d’Italia défend le caractère sacré de la vie, la famille naturelle, la liberté religieuse, le libre choix de l’éducation et la subsidiarité — autant de principes qui sont à la base de la doctrine sociale de l’Église.
R. H. — De récents sondages vous classent en deuxième position, derrière Giuseppe Conte mais devant Matteo Salvini. Vous sentez-vous un destin national ?
G. M. — Lorsqu’on dirige un parti crédité de 14 à 15 % d’intentions de vote, le destin national est celui que les Italiens vous désignent par leur confiance. La période que nous vivons est trop difficile pour que je puisse me réjouir des bons scores de Fratelli d’Italia. Nous avons le sentiment qu’après cette crise beaucoup de choses changeront dans la perception que les citoyens auront de la politique. Cela vaut pour le gouvernement, mais aussi pour les partis d’opposition. L’essentiel est de préserver notre crédibilité. Au cours des derniers mois, nous avons toujours accompagné nos critiques de propositions concrètes et réalistes. Nous nous sommes rangés dans une opposition patriotique à un gouvernement qui s’est malheureusement révélé à des années-lumière des besoins des Italiens.
R. H. — Matteo Salvini reste-t-il votre partenaire ?
G. M. — Bien sûr. Souvent la presse de gauche joue à nous mettre en porte-à-faux, mais je ne tomberai pas dans le traquenard ! Je sens beaucoup d’affection de la part des électeurs et des militants de la Ligue. Ils savent parfaitement que, même lorsque nous exprimons des désaccords, nous le faisons parce que ces nuances enrichissent notre coalition.
(1) Parfait inconnu du paysage politique, Giuseppe Conte a été présenté par le leader des Cinq Étoiles Luigi Di Maio, dans la foulée des élections du 4 mars 2018, à Matteo Salvini qui deviendra son allié en juin. Avocat de droit privé, chargé d’enseignement à l’Université de Florence, Conte se présentait en homme « de gauche » et s’est ouvertement revendiqué des Cinq Étoiles. Il a rappelé cette proximité politique lorsqu’il a constitué son second gouvernement, en septembre 2019. Il n’est pas strictement inféodé aux directives du mouvement et a cherché à plusieurs reprises à se démarquer de l’emprise de Luigi Di Maio en se rapprochant du Parti démocrate, par souci d’équilibre et afin de continuer à gouverner.
(2) Les élections du 4 mars 2018 ont donné les résultats suivants :
- Cinq Étoiles (M5S) : 32,64 % (229 députés, 114 sénateurs)
- Ligue : 17,39 % (124 députés, 57 sénateurs)
- Parti démocrate (PD) : 18,71 % (111 députés, 52 sénateurs)
- Forza Italia : 14,03 % (104 députés, 57 sénateurs)
- Fratelli d’Italia (FDI) : 4,35 % (33 députés, 17 sénateurs).
(3) Le « gouvernement du changement », premier gouvernement populiste du monde occidental, a prêté serment le 1er juin 2018. Il comprenait la Ligue, les Cinq Étoiles, Forza Italia, quelques partis mineurs et des « techniciens ». Fratelli d’Italia n’en faisait pas partie. Pas plus qu’il n’a rejoint le 5 septembre 2019 le second gouvernement Conte.
(4) Officiellement fondé en octobre 2007, le Parti démocrate (PD), qui a repris l’héritage politique de Romano Prodi, a connu une série de revers électoraux avant que le Florentin Matteo Renzi n’en prenne la direction et réalise un score de 40,8 % aux élections européennes de 2014. Il a été président du Conseil jusqu’au rejet de son référendum constitutionnel le 6 décembre 2016. Le démocrate Paolo Gentiloni, aujourd’hui commissaire européen, lui a succédé jusqu’aux élections du 4 mars 2018, remportées par deux partis populistes, la Ligue et le Mouvement Cinq Étoiles. Écarté du pouvoir dans le premier gouvernement Conte, le PD entre dans son second gouvernement, le 5 septembre 2019.
(5) Le centre droit, constitué de la Ligue, de Forza Italia et de Fratelli d’Italia, a obtenu 37 % aux élections du 4 juin 2018 et comptait alors 260 députés (sur 630) et 135 sénateurs (sur 315).
(6) Fratelli d’Italia (FDI) est né le 17 décembre 2012 d’une scission du Peuple de la Liberté (PDL), la coalition dirigée par Silvio Berlusconi. Il comprenait à l’origine des cadres de l’ex-Alliance nationale (post-fasciste) — absorbée en 2009 par le PDL — qui étaient en désaccord avec la politique européenne de leur ancien leader Gianfranco Fini (et ministre des Affaires étrangères de Silvio Berlusconi). Le courant national-conservateur de l’AN, animé par les anciens ministres Maurizio Gasparri et Ignazio La Russa, a fait défection pour former FDI. Lors de sa création, le nouveau parti comptait 11 députés et 11 sénateurs. Giorgia Meloni en est devenue présidente en 2014.
(7) Après les élections locales partielles de la fin 2019, le centre droit (Ligue, FI et FDI) gouverne quatorze régions d’Italie et la gauche, six. De nouvelles élections locales auront lieu à l’automne 2020 et devraient permettre à la droite d’améliorer son score.
(8) Entré en vigueur le 27 septembre 2012 en vertu d’un accord intergouvernemental au sein de l’Eurogroupe, le Mécanisme européen de stabilité (MES) a été doté par l’Union européenne d’une enveloppe de 500 milliards d’euros pour distribuer une aide financière aux États membres en difficulté. L’Italie refuse ce mécanisme par peur d’être obligée de mettre ses comptes sous la dépendance de Bruxelles, accusant le MES d’être assorti de « conditions inacceptables ».
(9) À l’initiative de Silvio Berlusconi, alors président du Conseil, les pays de l’Otan et la Russie ont tenu le 28 mai 2002 un sommet sur la base militaire de Pratica di Mare (sud de Rome) au milieu d’une débauche de mesures de sécurité. C’était le premier sommet de l’Otan auquel participait Vladimir Poutine. La déclaration finale a entériné la fin de la guerre froide et jeté les bases d’une coopération étendue contre le terrorisme.
(10) Fondé le 26 décembre 1946 après la chute de la République de Salò et l’interdiction du Parti national fasciste (PNF), le Mouvement social italien-Droite nationale (qui deviendra par la suite MSI-DN) a obtenu 2 % des voix aux élections de 1948, se situant au septième rang des forces politiques. Son audience s’accroîtra progressivement jusqu’à atteindre 6,5 %. Dès ses débuts, le MSI-DN a été exclu de l’« arc constitutionnel » formé par les autres partis (Démocratie chrétienne, socialistes, libéraux, communistes et petites formations de centre gauche). Cet ostracisme prendra fin en 1994 avec l’entrée de l’Alliance nationale (AN), qui avait succédé au MSI, dans le premier gouvernement de Silvio Berlusconi.
(11) Roger Scruton (1944-2020) : philosophe britannique auteur d’une trentaine d’ouvrages. Il débute comme professeur associé d’esthétique à l’Université de Cambridge, puis enseigne dans diverses universités américaines et à Oxford. En mai 1968 il réside à Paris dans le quartier Latin et adhère au mouvement conservateur. Scruton défend une vision hégélienne de l’homme et affirme que l’attachement au territoire est la racine de toutes les formes de gouvernement dans lesquelles prévalent le droit et la liberté.
(12) Le 22 janvier 2019, Angela Merkel et Emmanuel Macron signent le traité d’Aix-la-Chapelle avec l’objectif de relancer la coopération franco-allemande déjà prévue par le traité de l’Élysée, conclu en 1963 par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer. Ce nouveau traité doit également servir de cadre au projet d’accord en cours de négociation depuis septembre 2017 entre la France et l’Italie et qui prendra le nom de traité du Quirinal.
(13) Le 19 mars 2020, l’UE a modifié les règlements en cours afin de permettre aux pays membres d’intervenir en soutien à leurs propres entreprises frappées par la crise. Le montant de ces aides était proportionnel aux économies de ces pays. Ainsi l’Allemagne a reçu 52 % du total, la France 17 %, l’Italie 15 %, la Belgique 3 % et la Pologne 2,5 %.
(14) Formé le 22 juin 2009 au Parlement européen, le groupe des « Conservateurs et des Réformistes européens » (ECR) comprend vingt-trois membres de seize pays différents. Il se décrit comme « une famille se situant à droite sur l’échiquier politique européen ». Depuis le 1er juillet 2019, il est présidé par l’Italien Raffaele Fitto (FDI). Avec 54 députés, c’est le sixième groupe du Parlement. En font notamment partie, outre FDI, l’Alternative pour l’Allemage (AfD), le Parti populaire danois, le parti polonais Droit et Justice, les Vrais Finlandais et les Démocrates de Suède.
(15) Le 13 juin 2019, Marine Le Pen et la Ligue ont constitué un nouveau groupe à Strasbourg : Identité et Démocratie (ID). Il comprend 73 députés (dont 28 de la Ligue et 22 du Rassemblement national), ce qui en fait le cinquième groupe du Parlement européen.
(16) Marion Maréchal-Le Pen a obtenu en février 2019 pour son Institut de sciences sociales, économiques et politiques (ISSEP) le statut officiel d’école de la part du ministère. Faute d’avoir en main un dossier complet, le rectorat avait fait traîner en longueur son agrément. Les quinze étudiants qui paient 5 500 euros par an pour leur scolarité sur trois ans ne pourront se prévaloir de diplômes reconnus par l’État.
(17) Le 19 mai 2019, sur le parvis de la cathédrale de Milan, devant plusieurs milliers de supporters réunis pour le dernier meeting de la Ligue avant les élections européennes, Matteo Salvini a tiré un crucifix et un rosaire de sa poche et les a tenus à bout de bras en direction de la Madonnina dorée qui surplombe l’édifice, priant « la Sainte Vierge de nous donner la victoire ». Il n’y a pas de rassemblement public, de meeting ou même d’interview télévisée, sans que le leader de la Ligue ne ressente le besoin d’exhiber des insignes religieux — crucifix, rosaire, bible, chapelet, image bénie de la Sainte Vierge, etc. — comme gage de sa foi catholique. Le clergé et les évêques protestent régulièrement.
(18) Le 26 juin 1993 s’est joué le dernier acte de la Démocratie chrétienne (DC), le parti catholique dit « de majorité relative » qui constituait l’épine dorsale des catholiques en politique. Fondé en 1942 dans la clandestinité par Alcide De Gasperi, la DC avait gouverné l’Italie de manière ininterrompue depuis la Libération. La lutte souterraine entre ses courants, l’hémorragie de ses cadres et les scandales de corruption qui ont entaché sa réputation en ont eu raison. Deux petits mouvements centristes, le Parti populaire italien et le Centre Chrétien-démocrate, se disputeront l’héritage de la DC, sans parvenir toutefois à s’imposer dans la durée.