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Le renseignement, clé de voûte de la sécurité d'Israël

par Éric Denécé

Le renseignement, clé de voûte de la sécurité d'Israël

À l'occasion de la guerre Israël/Iran, nous republions ce texte initialement paru dans le n°146, hiver 2015.

 

Au milieu des années 1970, à l'occasion d'une émission de radio, un journaliste israélien recevant le général Mordechai, chef d'état-major de l'armée israélienne, lui posa la question suivante : « Si vous deviez débarquer sur une île déserte, de quoi ne pourriez-vous pas vous passer ? » Réponse spontanée de Mordechai : « D'un officier de renseignement ! » Et d'expliquer qu'en tant que commandant en chef il était incapable de conduire ses forces à la bataille s'il ne disposait pas de renseignements adéquats. Plus de quarante ans plus tard, les choses n'ont pas changé, bien au contraire.
La situation d'Israël est, en effet, pour le moins particulière. Petit État - sa superficie équivaut à deux départements français - adossé à la mer Méditerranée, peuplé seulement de 8 millions d'habitants, il ne dispose d'aucune profondeur stratégique en cas d'invasion. Or il est isolé au milieu de 300 millions de voisins majoritairement hostiles, qui se sont opposés à sa création et dont certains continuent de contester son existence.
Ses dirigeants savent pertinemment qu'il pourrait être rayé de la carte à l'occasion d'une invasion militaire. En effet, de l'issue de la bataille ne dépend pas seulement l'intégrité territoriale mais la survie même d'Israël. La seule façon pour l'État hébreu d'éviter un sort que lui ont longtemps promis ses ennemis, c'est de savoir le plus tôt possible ce qu'ils préparent, voire de réduire à néant le développement de leurs forces armées afin que la menace ne prenne jamais forme.
C'est pourquoi Israël a mis l'accent, plus que n'importe quel autre pays au monde, sur le renseignement et les opérations clandestines, sans lesquels sa sécurité est impossible à assurer. Les services secrets se trouvent au coeur de la stratégie de sécurité de l'État hébreu depuis ses origines et aucun des gouvernements qui se sont succédé n'a remis en cause cette place centrale.


L'évolution des menaces


Les différentes guerres israélo-arabes ont démontré la supériorité écrasante de l'armée israélienne sur celles de ses voisins. Aucune ne prétend plus, depuis plusieurs années, rivaliser avec elle. Surtout, Tel-Aviv dispose de l'arme nucléaire, bien qu'elle ne l'ait jamais reconnu officiellement. Cette supériorité conventionnelle et nucléaire de l'État hébreu limite les risques d'un affrontement militaire classique, sans les faire disparaître complètement.
Mais cela ne veut évidemment pas dire qu'Israël ne risque rien, bien au contraire. Si l'époque où il devait livrer des guerres conventionnelles contre ses voisins semble révolue, l'État hébreu est désormais confronté à des menaces asymétriques accrues, sur son propre territoire, sur ses frontières et à l'étranger. Israël doit faire face, aujourd'hui, à cinq menaces.
- La première est représentée par les organisations terroristes palestiniennes (Hamas, Djihad islamique, etc.) dont la grande majorité prônent toujours la destruction de l'État juif.
- La deuxième provient du Hezbollah, mouvement chiite libanais qui bénéficie du soutien de la Syrie et de l'Iran. La guerre de 2006 qui s'est déroulée au Liban démontre que ce mouvement dispose d'une excellente organisation militaire, qu'il est très discipliné, bien équipé, capable d'infliger des pertes significatives à l'armée israélienne et même de frapper le territoire hébreu.
- Troisième menace : Israël est depuis une décennie la cible des nouveaux djihadistes d'Al-Qaïda et de l'État islamique. La lutte contre l'État hébreu tient une place de choix dans la rhétorique du djihad. Ainsi, Al-Qaïda a multiplié les tentatives visant à s'implanter dans les pays voisins d'Israël, à la faveur du chaos consécutif aux « révolutions arabes ». Les renversements des régimes autoritaires en Tunisie, en Libye, en Égypte, ainsi que la guerre civile en Syrie ont entraîné la multiplication des territoires incontrôlés où prospèrent de nombreux groupes islamistes qui rêvent de frapper Israël.
- La quatrième menace provient du programme nucléaire iranien. Elle est considérée comme la plus préoccupante, avant même le Hezbollah ou le Hamas.
- La dernière menace est d'une autre nature : en Israël, comme dans toutes les démocraties, des organisations radicales contestent les fondements de l'État de droit. Il s'agit, en l'occurrence, de mouvements extrémistes religieux, souvent ouvertement racistes tel le Kach, qui considèrent que les frontières légitimes de l'État hébreu sont celles de l'Israël biblique au faîte de sa puissance, c'est-à-dire l'ensemble de la Palestine mandataire mais également la Jordanie actuelle, ainsi que les territoires situés aujourd'hui au Liban et en Syrie. Ces groupes jugent donc « sacrilège » toute idée de rétrocession de territoires aux Palestiniens, notamment en Cisjordanie. Ils ont montré qu'ils étaient capables de perpétrer des attaques de type terroriste et se livrent encore de façon régulière à des exactions à l'encontre de Palestiniens. L'assassin du premier ministre Ytzhak Rabin, en 1995, faisait partie de cette mouvance. Les individus susceptibles de mener des actions violentes ne sont que quelques centaines, mais cette menace n'en est pas moins réelle.
On le constate : la situation s'assombrit pour l'État hébreu. Certes, il n'est pas confronté à une menace d'attaque militaire classique comme ce fut le cas dans le passé ; mais il n'en doit pas moins faire face à un environnement de plus en plus agressif. Les dirigeants israéliens ont pleinement conscience qu'il ne leur est pas possible de baisser la garde. Et leur principal bouclier face à ces menaces, leur véritable assurance-vie, c'est le renseignement.


La communauté israélienne du renseignement


La communauté israélienne du renseignement s'organise autour de trois services principaux, aux missions précises et distinctes :
- Le Shin Beth (également dénommé Shabak), qui dépend du premier ministre, est en charge de la sécurité intérieure.
- Aman, la direction du renseignement militaire, est rattaché au chef de l'état-major général de Tsahal.
- Le Mossad, qui dépend également du premier ministre, est le service de renseignement et d'action à l'étranger.
Shin Beth
Les missions du Shin Beth couvrent un large spectre : contre-terrorisme intérieur et extérieur ; contre-espionnage et sécurité militaire ; protection rapprochée des hautes autorités ; protection des représentations diplomatiques israéliennes ; sécurité des aéroports et des appareils de la compagnie aérienne nationale El-Al, etc. Depuis la guerre des Six Jours (1967), ce service est également en charge de la sécurité dans les territoires occupés : en Cisjordanie et, jusqu'au départ de l'armée israélienne en septembre 2005, à Gaza.
Après les accords d'Oslo de 1993, le Shin Beth a connu un nouveau changement complet de ses méthodes de travail et une petite révolution technique. Il a pris en charge la recherche de renseignements dans les secteurs d'où l'armée israélienne se retirait, en développant ses moyens technologiques de surveillance et de recueil d'informations.
Ainsi, en quelques décennies, ce service est devenu un acteur de premier plan dans la guerre qu'Israël livre au terrorisme palestinien. Il fournit des renseignements qui permettent à Tsahal d'arrêter certains des kamikazes avant qu'ils ne passent à l'action. En outre, le Shin Beth coopère étroitement avec l'armée de l'air pour guider ses frappes, en désignant les lieux où se cachent les dirigeants du Hamas, du Djihad islamique et des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa. Le Shin Beth a réussi à identifier et à neutraliser des dizaines de groupes terroristes. Il a connu des succès remarquables grâce à ses informateurs infiltrés dans ces organisations. Les éliminations du cheikh Ahmed Yassine - le chef spirituel du Hamas -, le 22 mars 2004, et d'Abd al-Aziz Rantissi - le fondateur de sa branche militaire -, le 17 avril 2004 ; et, surtout, l'alerte lancée, dès le mois de janvier 2014 - grâce à l'interception des ordres envoyés par la direction du Hamas à ses unités militaires sur le terrain -, sur l'offensive que l'organisation terroriste s'apprêtait à déclencher contre Israël, au plus tard en juillet, montrent à quel point ce service a pénétré les milieux palestiniens.
Aman
Aman est le plus important service de renseignement d'Israël. Ses effectifs (9 000 hommes) sont supérieurs à ceux du Shin Beth et du Mossad réunis, mais aussi à ceux des plus grands services européens (1). Il a pour mission la collecte et l'exploitation du renseignement militaire. Le service dirige également les opérations des forces spéciales en territoire ennemi, coordonne le renseignement des trois armées et est responsable du programme national de renseignement spatial. Enfin, Aman a la charge de la censure de la presse et de la sécurité de l'information, actions ayant pour but de prévenir les divulgations d'informations relatives aux armées.
Son rôle est essentiel. En effet, la majorité des troupes de Tsahal étant constituées d'unités de réserve qui ne peuvent pas être mobilisées pendant de longues périodes sans nuire à l'économie du pays, les dirigeants de l'État hébreu ont à l'égard de leur service des exigences inconnues des autres agences de renseignement dans le monde : fournir un avertissement précoce si les armées arabes massées le long des frontières israéliennes constituent un danger. L'avertissement doit être livré au moins 48 à 72 heures avant une attaque militaire contre Israël afin de permettre à l'état-major de mobiliser ses réserves.
Ce service transmet à l'état-major et au premier ministre des rapports quotidiens concernant les risques de guerre, les cibles ennemies potentielles, ainsi qu'une synthèse des interceptions des communications adverses. Car c'est Aman qui est en charge du renseignement électromagnétique, domaine de l'Unité 8200. Celle-ci, qui comprend plusieurs milliers de femmes et d'hommes, regroupe les meilleurs spécialistes du pays en matière d'interception, d'enregistrement et de décodage des signaux (cryptographie). Ses membres sont formés à détecter, écouter, scanner et brouiller les communications adverses. Ils recueillent également des renseignements en se branchant sur les systèmes téléphoniques des pays arabes afin d'intercepter et d'enregistrer les conversations. L'Unité 8200 s'apparente donc à la National Security Agency (NSA) américaine, bien que ses moyens ne soient pas comparables. Elle est considérée comme l'une des meilleures agences SIGINT (Signals Intelligence) au monde.
Depuis le milieu des années 1990, l'Unité 8200 a développé une expertise de très haut niveau en matière de cyber-attaques et compte plusieurs centaines de hackers chargés d'opérer sur le front cybernétique afin d'infiltrer les réseaux informatiques ennemis. Parmi les citoyens en âge d'effectuer leur service national, Aman cible en priorité ceux qui présentent de fortes aptitudes en informatique ; ils intègrent alors l'Unité 8200 au sein de laquelle ils vont poursuivre leur spécialisation et développer leurs qualités créatives dans le secteur du numérique militaire. Cette unité réunit les jeunes Israéliens les plus brillants et les plus créatifs.
De retour à la vie civile, il est fréquent que ces génies de l'informatique créent des start-up, souvent liées aux domaines de la sécurité (reconnaissance biométrique, collecte et traitement automatisés d'informations, etc.). Les compétences acquises au sein de l'Unité 8200 donnent naissance à de nombreux produits innovants. Ce passage sous les drapeaux et dans des conditions opérationnelles réelles joue un rôle important dans la mesure où il facilite la prise de responsabilités dès la fleur de l'âge, renforce la capacité des individus à encadrer des équipes et permet d'assurer une forte cohésion aux jeunes entreprises. La réputation des ingénieurs ou techniciens ayant servi au sein de l'Unité 8200 surpasse souvent celle qu'ils auraient pu se forger en obtenant des diplômes dans les universités ou les instituts les plus prestigieux.
Par ailleurs, depuis le début des années 2000, l'Unité 8200 coopère étroitement avec la NSA pour développer des cyber-attaques contre le programme nucléaire iranien. Israéliens et Américains ont lancé diverses opérations de sabotage industriel : les experts des deux services ont mis au point Stuxnet, un ver informatique ultra-sophistiqué destiné à prendre pour cibles les ordinateurs de contrôle des installations industrielles iraniennes d'enrichissement de l'uranium (opération Olympic Games). Il y a eu, en fait, deux opérations distinctes. Stuxnet 1 (2005) visait à provoquer une pression excessive dans les centrifugeuses servant à l'enrichissement de l'uranium en sabotant leur système de contrôle et de sécurité. Cette action, discrète, a porté ses fruits et n'a pas été détectée par Téhéran. Stuxnet 2 (2009) répondait à un objectif différent : détruire rapidement un grand nombre de centrifugeuses. L'opération a consisté à accroître les vitesses des rotors des centrifugeuses et a été découverte assez rapidement par les Iraniens en raison des effets qu'elle a provoqués.
Mossad
Le Mossad est le service israélien chargé du renseignement et des opérations clandestines à l'étranger. Il a également pour mission d'établir ou d'entretenir les contacts avec les pays qui n'ont pas de relations diplomatiques officielles avec Israël et de protéger les intérêts juifs à travers le monde. Il a donc la planète entière pour terrain de jeu, mais il n'intervient pas sur le sol hébreu ni dans les territoires occupés. Ses priorités sont les pays arabes hostiles à Israël et les mouvements terroristes proche-orientaux.
Le Mossad fonctionne comme une organisation-cadre qui exploite largement les possibilités que lui procure la diaspora juive. À titre d'exemple, au Royaume-Uni, le Mossad disposerait de 7 000 coopérants potentiels, appelés sayanim, « ceux qui aident ». Cette structure de collecte unique fait la force du service. Il serait toutefois faux d'en déduire que tous les Juifs du monde coopèrent avec le Mossad. D'autant qu'il est officiellement interdit au Mossad de recruter des Juifs pour espionner le pays dont ils sont ressortissants. En revanche, ils peuvent surveiller des cibles ou assurer la logistique de certaines opérations (2). Ce service posséderait près de 35 000 agents dans le monde. 20 000 seraient opérationnels et 15 000 « dormants ».
Depuis sa création, l'État hébreu a fréquemment eu recours aux assassinats ciblés - pudiquement appelés « traitements négatifs » - en dehors de ses frontières. Il a utilisé cette forme d'action clandestine plus que n'importe quel autre pays. Ces pratiques ont connu un fort développement suite à l'assassinat des onze athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich (1972) par un commando de Septembre noir, une branche de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Suite à cet acte sanglant, Golda Meir, alors à la tête du gouvernement israélien, décréta que, dorénavant, Israël exécuterait les terroristes où qu'ils se trouvent. Les assassinats ciblés en dehors des frontières de l'État hébreu se multiplièrent.
Ce fut longtemps la sayeret Matkal - l'unité spéciale rattachée à l'état-major des armées - qui eut la charge de ces opérations d'élimination, jusqu'à ce que le Mossad reprenne cette mission au début des années 1970, via son unité spécialisée : le Kidon (« La baïonnette »). Le Kidon ne compte qu'une soixantaine de « combattants », dont une dizaine de femmes. La majorité d'entre eux provient des forces spéciales. Leur identité est soumise au secret le plus strict, si bien que les kidonim demeurent inconnus du reste du Mossad.
À partir du milieu des années 1970 - une fois la vengeance de Munich terminée -, le Kidon mena à bien de nombreuses opérations visant à contrer les attentats que planifiaient les organisations terroristes palestiniennes et libanaises. Il se consacra spécialement à l'élimination des dirigeants palestiniens : Wadih Haddad, ancien responsable des opérations du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) en 1978 ; Abou Jihad, l'un des fondateurs du Fatah, en 1988 ; Salah Khalaf, chef du renseignement de l'OLP et commandant en second du Fatah, en 1991 ; Fathi Shiqaqi, un chef du Djihad islamique palestinien, en 1995 ; Ahmed Jibril, chef de l'aile militaire du FPLP-CG en 2002 ; Izz Al-Din Sheikh Khalil, membre de la branche militaire du Hamas, en 2004, etc. Le seul échec notable fut l'assassinat raté de Khaled Mechaal (1997) dans la capitale jordanienne. Mais l'opération la plus emblématique - et la plus médiatisée - du Kidon eut lieu le 19 janvier 2010, à Dubaï : Mahmoud al-Mabhouh, responsable du Hamas chargé de l'approvisionnement en armes du mouvement, fut retrouvé mort dans sa chambre d'hôtel, mais l'essentiel de l'opération fut filmé par des caméras de surveillance - ce qui ne permit toutefois pas de présenter la moindre preuve de la responsabilité du Mossad.
À partir du début des années 1990, le Kidon vise de plus en plus un nouvel adversaire : le Hezbollah. Après avoir éliminé en février 1992, le cheikh Abbas al-Moussaoui (le chef du parti chiite libanais), puis en 2004 Ghaleb Awwali (un haut cadre du mouvement), le Mossad parvient à neutraliser l'une des cibles les plus difficiles qu'il ait eu à traiter : Imad Mughniyeh, le chef des opérations clandestines du « Parti de Dieu » (2008).
Mais les dirigeants de divers groupes qualifiés de terroristes ne sont pas les seules cibles de ces « traitements négatifs ». Le Kidon a également pour fonction d'éliminer des responsables des programmes d'armement des pays ennemis d'Israël (Syrie et Iran principalement), des scientifiques à leur service et des vendeurs d'armes internationaux, dès lors qu'ils aident les adversaires de l'État hébreu à fabriquer ou à acquérir des armes nucléaires ou chimiques ou des missiles à longue portée. Ce type de menaces revêt une signification psychologique particulière en Israël : celle d'un risque d'élimination du peuple juif et d'un « nouvel Holocauste ».


Les nouvelles attributions des services israéliens

La proximité entre les services et l'exécutif
Confrontées aux nouveaux dangers qui pèsent sur le pays, les autorités politiques d'Israël ont décidé d'accroître les responsabilités confiées aux services. Cette foi dans le renseignement s'explique par une particularité qui distingue l'État hébreu des autres acteurs internationaux : la majorité de ses dirigeants, ainsi qu'une part non négligeable de sa classe politique, toutes tendances politiques confondues, est issue des services de renseignement ou des unités spéciales, ou y a fait un passage.
- Chaïm Herzog, sixième président d'Israël (1983-1993) a été directeur d'Aman à deux reprises (1949-1950 et 1959-1962).
- Ytzhak Shamir, qui fut premier ministre à deux reprises (1983-1984 et 1986-1992), a appartenu au Mossad pendant dix-sept ans.
- Ariel Sharon, ancien premier ministre (2001-2006), a dirigé l'Unité 101, une formation spéciale impliquée dans les opérations d'« élimination physique » des ennemis d'Israël.
- Tzipi Livni, ex-ministre des Affaires étrangères (2006-2009) et de la Justice (2013-2014), a appartenu au Mossad entre 1980 et 1984.
- Ehud Barak, ancien ministre (Défense et Affaires étrangères) et ancien premier ministre (1999-2001), a commandé la sayeret Matkal et le renseignement militaire (Aman) avant d'entrer en politique.
- Benyamin Netanyahou, l'actuel premier ministre, est un ancien officier de Matka.
Par ailleurs, l'antagonisme latent qui oppose souvent officiers de renseignement et diplomates dans la plupart des pays occidentaux n'existe pas en Israël. Au contraire, la synergie étroite entre les services secrets et le ministère des Affaires étrangères contribue à favoriser l'essor du renseignement. Les passerelles entre ces deux univers sont, d'ailleurs, fréquentes.
L'émergence du théâtre cybernétique
Un nouveau « front » s'est ouvert dans le conflit israélo-arabe : celui des réseaux. Le monde « virtuel » est devenu, en quelques années, un véritable champ de bataille. Les adversaires d'Israël (Hamas, Hezbollah, Iran, etc.) sont particulièrement actifs en ce domaine.
Les réseaux numériques israéliens sont parmi les plus attaqués au monde : ils subissent plusieurs dizaines de milliers d'agressions quotidiennes d'après un récent rapport du Groupe Soufan, une entreprise new-yorkaise spécialisée dans la sécurité informatique. Durant l'été 2013, Moshé Yaalon, qui a occupé par le passé les postes de chef d'état-major de Tsahal et de ministre de la Défense, a eu ces mots : « La guerre cybernétique constitue une cinquième dimension, parallèle aux dimensions terrestre, aérienne, maritime et à celle du front intérieur (...). Le but, en diffusant des virus et des vers informatiques, consiste à causer autant de dommages à l'ennemi, sinon plus, que le ferait une bombe conventionnelle. »
Benny Gantz, chef d'état-major de Tsahal jusqu'à l'automne 2014, a confirmé, en octobre 2013, que les forces de défense israéliennes considéraient le sabotage informatique comme l'une des plus grandes menaces pour le pays : une cyber-attaque sophistiquée pourrait un jour mettre la nation à l'arrêt. L'importance de la cyber-sécurité a été avalisée par les autorités politiques. Le premier ministre Benyamin Netanyahou a déclaré en juin 2013 : « Chaque domaine de la vie économique civile est une cible potentielle ou réelle pour une cyber-attaque. »
Aussi, sous la pression constante d'une menace qui ne cesse de croître, Israël a-t-il développé au cours de ces dernières années ses capacités cybernétiques offensives et défensives. À la tête d'Aman depuis le 22 septembre 2014, le général Herzl Halevi redouble d'efforts pour développer les capacités de cyber-défense du service. Il a décidé d'augmenter fortement les effectifs de l'Unité 8200 qui, depuis plus d'une décennie, est la composante d'Aman qui dispose des budgets les plus importants. L'homme à l'origine de la montée en puissance de l'appareil israélien de cyber-guerre est le général Amos Yadlin, qui a dirigé Aman entre 2005 et 2010. Selon lui, il n'y a aucun doute : « Les combats dans la dimension cybernétique sont aussi importants que l'introduction de l'arme aérienne au début du XXe siècle. »
Tsahal s'est également lancée dans l'utilisation offensive des médias sociaux, comme il a été possible de l'observer lors de l'opération Pilier de défense (2012). Les Israéliens ont diffusé, quasiment en direct sur le réseau YouTube, l'élimination d'Ahmad Jaabari, chef de la branche militaire du Hamas (novembre 2012). Cette publicité répondait à un double objectif : envoyer un message dissuasif aux combattants palestiniens en leur montrant que les capacités offensives de Tsahal ne leur laisseraient aucun répit ; et ôter au Hamas la possibilité de nier l'élimination de son chef militaire.
Parallèlement, en 2010, Tsahal a créé la Division des technologies de l'information. Pendant défensif de l'Unité 8200, elle est spécialisée dans la sécurisation des communications et des systèmes informatiques. Les militaires de cette unité sont responsables de la lutte contre les agressions cybernétiques. Pour les responsables de Tsahal, la principale priorité est d'éviter qu'un pays ennemi, tel l'Iran, parvienne à brouiller les communications militaires en temps de guerre. Au sein de cette division, une unité dénommée Matzov est responsable de la protection des réseaux de l'armée israélienne, du Shin Beth et du Mossad ainsi que de la sécurité des grands opérateurs nationaux d'énergie.
Aujourd'hui, les capacités israéliennes figurent parmi les plus avancées au monde, à l'égal de celles des États-Unis, de la Chine et de la Russie. En cas de guerre, Israël serait capable de neutraliser les moyens de communication et de commandement de l'ennemi ou de paralyser des pans entiers de son économie, tout en protégeant efficacement ses propres systèmes d'information.
Les responsabilités accrues du Shin Beth et du Mossad
En évolution constante depuis sa création, le Shin Beth est aujourd'hui confronté à cinq nouveaux défis qu'il va lui falloir relever dans la décennie à venir :
1) Depuis 2005, le Shin Beth a été chargé par le gouvernement d'évaluer les possibilités de dialogue avec l'Autorité palestinienne dans la perspective d'éventuelles négociations, et non plus seulement de réprimer le terrorisme. Il doit également coopérer avec les services de sécurité de l'AP. Cette collaboration, qui vise à empêcher des attentats suicides en Cisjordanie, n'a pas été affectée par les tensions survenues dernièrement à Jérusalem-Est. Depuis juillet, les violences ont repris, culminant, le 18 novembre 2014, avec l'attaque de la synagogue de Kehilat-Yaakob. Pourtant, en dépit des pressions croissantes d'une bonne partie de l'opinion publique palestinienne et des différentes factions de l'OLP, Mahmoud Abbas se refuse à remettre en cause sa coopération avec le Shin Beth.
2) Une autre mission s'est trouvée relancée ces dernières années : la surveillance des diverses formes d'extrémisme intérieur, en particulier la prévention du « terrorisme juif » (responsable, on l'a dit, de l'assassinat d'Ytzhak Rabin ainsi que de l'exécution de plusieurs civils palestiniens), mais aussi le suivi de la communauté arabe d'Israël, dont certains membres ne sont pas insensibles aux sirènes des radicaux.
3) Le service a aussi pour préoccupation majeure de renforcer la protection des infrastructures sensibles (bâtiments gouvernementaux, installations énergétiques...). Depuis plusieurs décennies, comme chacun sait, l'État hébreu est confronté sur son sol à de fréquents attentats, contre ses citoyens et ses installations, qui ont fait de très nombreuses victimes et dégâts.
4) En 2013, le service a formé une nouvelle section chargée de couvrir la région du Sinaï. Son but est de collecter des renseignements sur les lieux de concentration des terroristes. Cette nouvelle mission étend donc la zone de responsabilité du service de sécurité intérieure au-delà des frontières d'Israël.
5) Enfin, le Shin Beth doit remettre l'accent sur le contre-espionnage, quelque peu délaissé depuis trois décennies au profit de la lutte antiterroriste. En effet, la guerre secrète entre Israël et l'Iran s'intensifie d'année en année : Tel-Aviv cherche par tous les moyens à ralentir le développement du programme nucléaire de son adversaire tandis que Téhéran riposte à ces attaques en soutenant tous les mouvements armés en lutte contre l'État hébreu. Les services iraniens, avec l'aide de leurs alliés du Hezbollah, font preuve de plus en plus d'agressivité et de professionnalisme, n'hésitant pas à multiplier les tentatives de recrutement d'agents en Israël même.
Le Mossad, pour sa part, poursuit sa mission de lutte contre l'effort militaire nucléaire de Téhéran (renseignement, sabotage des approvisionnements et des installations, assassinats de scientifiques, etc.) - approche certes critiquable mais bien moins dangereuse pour l'équilibre régional qu'une action militaire directe visant les installations atomiques de la République islamique. Au sein du Mossad, c'est le département Nabak, spécialisé dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive qui suit le dossier iranien.
Les opérations clandestines conduites contre l'Iran semblent avoir été payantes. L'efficacité des actions secrètes s'observe à de nombreux niveaux. Des scientifiques civils et militaires iraniens ont été éliminés les uns après les autres (3) ; une partie de l'équipement utile à l'Iran pour son programme nucléaire s'est fréquemment révélé défectueux - car piégé - ou est parti en fumée avant de lui être livré ; une grande quantité d'incidents et d'accidents, dus à des sabotages, se sont produits, détruisant les chaînes de production de missiles (4) ou les infrastructures destinées à l'enrichissement de l'uranium, etc. Tout cela a indéniablement contribué à retarder le programme nucléaire de Téhéran. Pourtant, en 2010, les Iraniens sont parvenus à maîtriser la technologie nécessaire pour fabriquer une bombe...


En guise de conclusion...


Aujourd'hui, les responsables de l'État hébreu sont préoccupés par les bouleversements récemment intervenus dans leur environnement proche. S'il est impossible de prédire dans quelle direction le Moyen-Orient évoluera, une chose est sûre : les menaces du XXe siècle ont disparu et la nature de la guerre a changé. Pour l'ancien chef d'état-major de Tsahal Benny Gantz, à court terme, les menaces les plus probables sont les attaques terroristes, les tirs de roquettes ou de missiles, les cyber-attaques et le danger nucléaire.
Ces menaces nécessitent des réponses innovantes car les futurs champs de bataille seront robotiques et technologiques, largement fondés sur le renseignement et les systèmes d'information et de contrôle. Les héros des guerres futures d'Israël ne seront pas des équipages de chars Merkava, des fantassins mécanisés ou des pilotes survolant le Proche-Orient à Mach 2. Ce seront d'abord les geeks technophiles et les pirates informatiques de l'Unité 8200 qui opèrent derrière des écrans d'ordinateur et développent de nouveaux logiciels et de nouveaux systèmes électroniques, mais aussi les femmes et les hommes du Shin Beth et du Mossad.
Les dirigeants israéliens ont toujours accordé une place privilégiée à leurs services de renseignement et de sécurité, civils et militaires. Ils sont conscients - nous l'avons dit - que le rôle du renseignement sera encore plus déterminant dans les années à venir que par le passé car, pour faire face efficacement aux menaces, « le travail de renseignement doit continuer 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an », comme l'explique le général Amir Eshel, commandant de l'armée de l'air israélienne.
À l'avenir, les services de renseignement israéliens devront être encore plus attentifs à la situation des pays voisins, aux humeurs de leurs dirigeants, à leurs intentions et à leurs projets, tout particulièrement en ce qui concerne l'Iran et son programme nucléaire. Ils devront poursuivre leurs efforts pour détecter le plus en amont possible la préparation d'attaques terroristes et les infiltrations de combattants adverses contre leur territoire. Ils devront, également, surveiller avec vigilance les tendances subversives chez les Arabes israéliens comme chez les Juifs ultra-orthodoxes.
Ces évolutions « révolutionnaires » suscitent parfois des angoisses au sein même de la société israélienne. En effet, les citoyens de l'État hébreu sont tétanisés lorsque leurs dirigeants parlent de réduire le volume des forces armées qui ont assuré, jusqu'à aujourd'hui, leur sécurité. Leurs craintes concernent notamment l'aviation (IAF), considérée comme la « police d'assurance du peuple juif » et qui compte actuellement plusieurs centaines d'appareils. Or lorsque les nouveaux chasseurs furtifs américains F-35 seront livrés, un grand nombre d'appareils d'ancienne génération seront retirés du service. L'IAF disposera donc d'un nombre sensiblement inférieur d'avions. Toutefois, il n'existe pas dans la région, aujourd'hui comme à moyen terme, de forces aériennes capables de représenter une menace aérienne significative contre Israël. La réattribution des moyens envisagée par Benny Gantz et son état-major semble donc cohérente, car il existe des dizaines de milliers de roquettes et de missiles braqués sur l'État hébreu contre lesquels l'aviation est d'une utilité très relative. Ainsi, les économies réalisées sur les avions de combat - mais aussi sur les forces mécanisées terrestres - permettront de dégager des moyens financiers pour la défense antimissile et la lutte informatique. C'est donc une nouvelle ère qui s'ouvre pour la défense et la sécurité de l'État hébreu.

(1) Le BND (Allemagne) compte 7 000 employés, la DGSE (France) et le GCHQ (Royaume-Uni) près de 6 000.
(2) Cette interdiction a été réaffirmée après l'affaire Pollard, au cours de laquelle ce Juif américain avait espionné les États-Unis pour le compte du Lekem. Découvert par le FBI, il purge une très longue peine de prison dans un pénitencier.
(3) En janvier 2007, le physicien atomiste Ardeshir Hassanpour décède mystérieusement suite à une « intoxication due au gaz » dans une usine de conversion d'uranium à Ispahan. Le 12 janvier 2010, Massoud Ali Mohammadi est assassiné devant son domicile par l'explosion d'une moto piégée. Physicien à l'université de Téhéran, il travaillait au profit des Pasdaran. Le 29 novembre 2010, c'est au tour de deux scientifiques, Majid Shahriari et Fereidoun Abassi-Davani, appartenant à l'élite de la recherche nucléaire en Iran, d'être pris pour cible alors qu'ils se rendent à l'université pour y donner leurs cours. Seul le second échappe à la mort.
(4) Le 12 novembre 2011, une explosion de très forte puissance se produit sur la base militaire Al-Ghadil qui abrite le Commandement des missiles des forces aériennes des Gardiens de la révolution. Il s'agit de l'un des sites les plus sécurisés d'Iran, situé à 45 kilomètres à l'ouest de Téhéran, où sont stockés des missiles à longue portée Shahab 3 et Sajil 2 - des engins capables, à terme, d'emporter des armes nucléaires. Le même jour, une autre explosion, encore plus importante, suivie d'incendies, survient dans des conditions analogues sur la base de missiles Amir al-Momein à Khorramabad, à 500 kilomètres au sud-ouest de Téhéran.