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Le recyclage, partie prenante de la mobilité

Politique InternationaleDepuis quand l’économie circulaire est-elle un domaine porteur pour l’industrie automobile ?

Yves Rannou — Les pratiques de recyclage ont toujours existé dans l’industrie automobile. Dans les années 1970, un mouvement environnemental a conduit les fabricants à explorer de nouvelles solutions de récupération des matériaux sur des véhicules en fin de vie. Deux décennies plus tard, l’adoption de réglementations comme la directive européenne sur les véhicules hors d’usage a contraint les acteurs du secteur à réduire la quantité de déchets générés par les véhicules. C’est là que sont apparues des initiatives de recyclage plus structurées.

Aujourd’hui, les voitures modernes contiennent une grande variété de matériaux valorisables tels que l’acier, l’aluminium, les plastiques et même les composants électroniques. Entre 85 % et 90 % d’un véhicule pourraient être recyclés. Pour réduire leur impact, les constructeurs agissent à chaque étape du cycle de vie du véhicule en favorisant l’économie circulaire : moins de matières vierges utilisées, davantage de matières recyclées et un développement du réemploi des pièces automobiles avant leur recyclage en boucle fermée, c’est-à-dire pour les réintégrer dans la production de véhicules neufs. Cet engagement est, me semble-t-il, porté par trois lames de fond : l’ambition environnementale croissante du secteur ; la nécessité économique de réduire les coûts dans un contexte de volatilité des prix des matières premières ; et l’enjeu crucial de la sécurisation des approvisionnements en matériaux stratégiques.

En Europe, avec l’entrée en vigueur de la norme CAFE en 2025 (qui abaisse les seuils d’émission de CO2, ndlr), l’interdiction de vente de véhicules neufs essence et diesel à partir de 2035 et le passage progressif à l’électrique favorisent cette transition. La législation prévoit également de renforcer les mesures sur la réutilisation des ressources — plastiques ou métaux rares. Même si, actuellement, ces dates d’application sont en discussion, il y a autour de la circularité une effervescence sans précédent dans l’automobile, mais pas uniquement ; certaines initiatives doivent désormais se déployer à grande échelle. La circularité ne se limite pas seulement au recyclage des matériaux, elle passe aussi par le remanufacturing des pièces. En récupérant et en injectant des pièces usagées dans un réseau de réparation pour les remettre à neuf en atelier, leur durée de vie est prolongée. Le rôle d’un groupe comme SUEZ est de mettre à disposition toute son expertise et ses solutions innovantes en matière de recyclage et de valorisation des déchets pour accompagner la transformation du secteur vers plus de circularité et ainsi préserver les ressources de notre planète.

P. I.Peut-on donner quelques exemples concrets de recyclage ?

Y. R. — Très concrètement, 11 millions de véhicules arrivent en fin de vie chaque année en Europe. Depuis 2015, les objectifs européens imposent la valorisation de 95 % de leur masse. Indra, spécialisée dans le démantèlement et le recyclage automobile et intégrée au sein de The Future Is NEUTRAL — dont nous sommes actionnaires avec Renault Group — constitue un exemple concret de ce que nous pouvons faire dans le recyclage automobile. Depuis sa création, le réseau Indra a traité près de 9 millions de véhicules. En 2023, 400 000 véhicules en fin de vie ont permis la réutilisation et le recyclage de plus de 440 000 tonnes de matière. C’est colossal ! Sur un véhicule récent, les métaux — l’acier et l’aluminium en particulier — représentent 75 % du poids, et le plastique, environ 15 %. Pour ces deux catégories de matériaux, nous avons développé une expertise avancée en matière de recyclage. Dans le cas d’Indra, cela correspond chaque année à 295 000 tonnes d’acier, 17 000 tonnes d’aluminium, 4 250 tonnes de cuivre et 8 500 tonnes de plastique (polypropylène, ndlr).

P. I.Comment se déroulent les opérations de recyclage ?

Y. R. — Lorsqu’un véhicule est considéré comme « hors d’usage », il entre dans la catégorie des déchets et doit être traité dans un centre agréé. Chez SUEZ, avec nos partenaires, nous avons mis au point des processus poussés pour récupérer un maximum de matériaux et pour les réintégrer efficacement dans la production de nouveaux véhicules. Le traitement commence par la dépollution (extraction des fluides, batteries, pots catalytiques et filtres à particules, ndlr) et le démontage des pièces. Les pièces destinées au réemploi sont mises de côté, tout comme les éléments destinés au recyclage et à la valorisation énergétique. Les pièces d’occasion sont revendues sur le marché national (professionnels de l’automobile ou particuliers, ndlr), notamment au travers de marketplaces. Les carcasses de voitures sont ensuite broyées, puis on opère un tri afin de séparer les métaux ferreux et non ferreux d’un côté, et les plastiques de l’autre. Dans une logique d’économie circulaire et de souveraineté industrielle, ces matières premières secondaires sont ensuite traitées et réintroduites dans la chaîne de production automobile, réduisant ainsi notre dépendance aux matières vierges et aux importations. Cette approche s’inscrit pleinement dans la dynamique des « mines urbaines », qui permettent d’exploiter les ressources déjà présentes sur le territoire plutôt que de recourir à l’extraction minière et au transport.

Ce modèle vertueux repose également sur des partenariats stratégiques entre acteurs du recyclage, constructeurs automobiles et pouvoirs publics. Grâce à ces synergies, nous développons des technologies innovantes qui optimisent la valorisation des véhicules en fin de vie et renforcent la résilience du secteur face aux tensions sur les matières premières. En réinventant la gestion des déchets automobiles, nous contribuons ainsi à la transition vers une mobilité plus durable, plus circulaire et plus souveraine.

P. I.Les réglementations en vigueur dans l’automobile, avec l’urgence climatique en toile de fond, sont-elles des accélérateurs au service du recyclage ?

Y. R. — C’est indéniable. L’Union européenne (UE) est un moteur puissant avec des ambitions fortes en matière de recyclage et de circularité. La réglementation européenne impose des obligations strictes de recyclage des matériaux contenus dans les véhicules automobiles et leurs batteries, et l’incorporation de contenus recyclés dans leur production. Ces réglementations transforment profondément l’industrie automobile en créant pour les constructeurs un besoin stratégique d’intégrer davantage de matières recyclées et d’accélérer le développement de boucles fermées au sein de la filière. À titre d’exemple, l’UE vise à imposer l’incorporation des matières recyclées, notamment 25 % de plastique recyclé, dans la production de véhicules neufs à partir de 2030. Un quart de ce plastique recyclé devra l’être en boucle fermée à partir de véhicules hors d’usage, contribuant à un cycle de réutilisation au sein du secteur. Concernant les batteries, l’UE imposera dès 2027 un objectif de valorisation du lithium à partir des déchets de batteries de 50 % d’ici à la fin de 2027 et de 80 % d’ici à la fin de 2031. Enfin, des niveaux minimaux obligatoires de contenu recyclé pour les batteries sont également prévus : 16 % pour le cobalt, 85 % pour le plomb, 6 % pour le lithium et 6 % pour le nickel. À noter qu’une augmentation de ces seuils est prévue en 2036.

Toutes ces mesures contribuent à la transition vers une économie circulaire et renforcent la souveraineté industrielle européenne en réduisant la dépendance aux matières premières vierges et en abaissant l’empreinte carbone de l’industrie automobile. Pour y répondre, c’est l’ensemble de la filière automobile qui doit se transformer, innover et trouver des solutions adaptées. Enfin, bien que nécessaires, les objectifs réglementaires ne sont pas suffisants pour garantir le résultat. La contribution des pouvoirs publics ne s’arrête pas là. La création de l’économie circulaire implique de débattre du « comment » nous atteignons ces objectifs — tout en s’assurant que la matière recyclée reste compétitive. Cela ne pourra se faire qu’en s’assurant que toutes les parties prenantes (secteur public, législateur, clients, fournisseurs, ndlr) tendent vers ce même objectif.

P. I.Ces problématiques de recyclage prennent-elles un tour particulier avec la voiture électrique ?

Y. R. — L’industrie automobile traverse l’une des mutations les plus profondes depuis son origine : le passage à l’électrique. Cette nouvelle technologie de propulsion exerce une pression supplémentaire sur l’approvisionnement en matières premières, faisant du recyclage un enjeu crucial dans un contexte planétaire de ressources limitées et de plus en plus convoitées. On parle beaucoup à cet égard du lithium, du cobalt ou du nickel qui sont essentiels à la batterie électrique, mais cela s’applique également aux autres métaux comme l’acier, le cuivre ou encore l’aluminium. Or ces métaux ne sont pas présents en Europe en quantité suffisante. Nous dépendons de nos importations, sur fond de tensions accrues sur l’approvisionnement en matières premières — à la fois en quantité et en prix. La gestion de la fin de vie des batteries devient un enjeu stratégique pour toute la filière automobile. Leur recyclage et la réintégration des matériaux dans la production permettront non seulement de réduire cette dépendance, mais aussi de renforcer la souveraineté industrielle et la contribution environnementale du secteur.

P. I.Le recyclage des batteries précisément : que prévoit un groupe comme SUEZ pour se développer sur ce segment ?

Y. R. — Les voitures électriques sont l’une des solutions pour décarboner la mobilité en Europe, et nous sommes convaincus chez SUEZ que le recyclage des batteries électriques est un enjeu majeur du secteur, à fort potentiel sur le long terme. Aujourd’hui, le nombre de batteries et de véhicules électriques arrivant en fin de vie reste limité, ce qui signifie que le marché du recyclage des batteries en Europe est encore en phase de structuration. Nous anticipons cependant une transition très forte et très rapide de ce marché, favorisée par l’engagement croissant de la filière automobile dans la décarbonation ainsi que par les diverses réglementations qui accélèrent l’arrivée de nouveaux véhicules électriques : on estime ainsi qu’il y aurait entre 300 000 et 400 000 tonnes de batteries à recycler en Europe en 2030 et entre 2 et 3 millions à l’horizon 2040. En parallèle, des étapes importantes s’imposent aux constructeurs automobiles en matière de recyclage — comme les objectifs d’incorporation de métaux rares recyclés qui impliquent le développement de solutions industrielles adaptées et performantes. Chez SUEZ, nous entendons jouer un rôle majeur dans cette transition. Nous sommes convaincus du potentiel de ce marché et travaillons activement au développement de boucles fermées de recyclage des batteries en Europe. Notre expertise nous permet d’accompagner les acteurs de l’industrie automobile dans cette transformation en favorisant une gestion circulaire et durable des ressources critiques.

P. I. Ce nouveau paradigme dans l’automobile qu’est l’essor de la mobilité électrique a-t-il un impact sur le développement, les modifications et l’optimisation des circuits de recyclage ?

Y. R. — L’enjeu principal, c’est l’accès à la matière. Effectivement, toute cette effervescence autour du véhicule électrique stimule et transforme les circuits de recyclage, en particulier pour les batteries et les métaux qu’elles contiennent ainsi que pour le plastique. Pour être efficace, la filière du recyclage répond aussi à quelques contraintes : il faut que les matériaux soient homogènes et en quantité suffisante. Si l’on prend l’exemple du cuivre, il n’y en a que quelques kilos par voiture, ce qui rend cruciale la massification afin d’atteindre une quantité critique pour un recyclage viable. Il s’agit donc d’augmenter la récupération des matériaux dans les centres de démantèlement, de développer les capacités de collecte et de tri, et de renforcer les synergies entre les acteurs du recyclage et de l’industrie automobile pour favoriser la réintégration des matières. Dans ce nouveau paradigme, le recyclage n’est plus une option, mais un maillon stratégique incontournable pour la pérennité et la compétitivité de l’industrie automobile.

P. I.Revenons à cette société, The Future Is NEUTRAL, dont SUEZ a pris 20 %. Quels sont les fondements de cette opération ?

Y. R. — La prise de participation de 20 % de SUEZ aux côtés de Renault Group dans The Future Is NEUTRAL, avec une contribution conjointe de 140 millions d’euros, s’inscrit dans le cadre d’une mise en commun de compétences supplémentaires pour soutenir les ambitions de NEUTRAL. Notre objectif est simple : façonner dès aujourd’hui l’avenir de l’industrie automobile européenne vers une plus grande circularité et vers une moindre dépendance aux matières premières vierges. NEUTRAL est aujourd’hui la première entreprise capable de proposer des solutions adaptées à chaque étape du cycle de vie d’un véhicule : avec des matières recyclées pour alimenter la production des voitures neuves jusqu’à la collecte et la valorisation des voitures en fin de vie, en passant par des solutions de réparation et des pièces de réemploi pour prolonger la durée de vie des voitures en circulation. Nous sommes au début d’une aventure pionnière, la première du genre dans l’industrie automobile, porteuse de sens et créatrice d’impact positif pour la planète.

SUEZ réalise environ 10 % de son chiffre d’affaires dans l’industrie automobile, ce qui en fait une activité stratégique. Ainsi, nous sommes très actifs dans la transition écologique du secteur et œuvrons à son autonomie stratégique sur le continent européen en termes d’approvisionnement en métaux et minéraux.

Il nous semblait évident d’écrire la prochaine page du chapitre de ce secteur avec Renault Group, notre partenaire historique. Nous avons une vision et une ambition communes pour NEUTRAL : en faire le champion européen de la circularité au service de tous les acteurs de cette chaîne de valeur — constructeurs, sous-traitants et partenaires.

P. I.Avec le concours de Renault Group, allez-vous pouvoir développer davantage cette entreprise ?

Y. R. — Le secteur automobile connaît une telle mutation que la logique de partenariat qui prévaut déjà dans d’autres industries s’y impose aujourd’hui. Avec Renault Group, nous pensons qu’il est essentiel de s’entourer des meilleurs et de créer des écosystèmes vertueux où chaque acteur apporte son expertise de pointe et son savoir-faire. L’expérience de Renault Group dans l’écoconception et dans la technologie de propulsion électrique n’est plus à démontrer. Sa position de leader sur les marchés français et européen non plus !

SUEZ est très complémentaire par son savoir-faire inégalé dans la valorisation des composants, dans le recyclage des matériaux et même, avant cela, dans la collecte et la massification des ressources. Nous maîtrisons des technologies de pointe dans les domaines du tri, du broyage et de la séparation des matières. L’expérience acquise dans les usines de recyclage de câbles et de déchets électroniques permet de proposer des solutions performantes pour le recyclage des batteries électriques en extrayant des matières précieuses comme le lithium, le nickel et le cobalt.

Par ailleurs, notre accès privilégié aux filières de valorisation — aciéristes, fondeurs, chimistes — constitue un atout stratégique pour garantir l’efficience et la compétitivité du modèle d’économie circulaire. SUEZ dispose d’une expertise technique avec PlastLab, son centre R&D dédié aux plastiques en région parisienne, et propose des solutions digitales pour la traçabilité des matières, appliquées au « passeport batteries » et au suivi des câbles depuis leur enlèvement jusqu’à leur transformation en grenaille de cuivre. Avec NEUTRAL, nous souhaitons, aux côtés de Renault Group, faire de la circularité une réalité — dès aujourd’hui. Notre vision : « from car to car », un modèle où les métaux de récupération et les véhicules en fin de vie sont recyclés et transformés en matières premières secondaires de haute qualité, directement réinjectées dans la production de nouveaux véhicules. Il nous semble que l’avenir de l’automobile en dépend.

P. I.Au-delà de NEUTRAL, quels sont les liens entre Renault Group et SUEZ ? Allez-vous travailler davantage ensemble sur les métiers de l’économie circulaire ? Dans quels domaines en particulier ?

Y. R. — Renault Group et SUEZ, c’est une longue histoire ! Les liens entre nos deux groupes sont forts et anciens. Avant NEUTRAL, il y avait déjà BCM — Boone Comenor Metalimpex (où Renault détenait une participation de 33 %, ndlr) — et Indra, notre coentreprise détenue à 50-50 par nos deux groupes. Nous avons par ailleurs de nombreux contrats en cours, au Maroc notamment, où SUEZ Maroc, pour la quatrième fois consécutive, s’est vu confier le traitement et la valorisation des déchets des deux usines de Renault Group implantées dans le pays. Nous souhaitons encore renforcer notre coopération et nous affirmer comme deux acteurs incontournables de l’automobile circulaire. Nous avons par exemple déjà identifié des pistes de projets à développer ensemble. Ainsi nous voulons maximiser les synergies sur nos plateformes et sur les activités existantes, développer davantage de solutions de recyclage et de réincorporation des matières premières et travailler main dans la main sur l’écoconception automobile. Une belle aventure qui continue, en somme, au service d’une industrie automobile compétitive, durable et résiliente !