Les Grands de ce monde s'expriment dans

Une diplomatie au service de la paix

Thomas Hofnung - Quel rôle un État comme Monaco peut-il jouer dans l'espace méditerranéen ?

Hubert Védrine - Un petit État peut tout à fait jouer un rôle réel, et même un rôle important, en Méditerranée ou ailleurs, s'il sait ce qu'il veut, s'il se dote de moyens modernes d'influence et s'il choisit bien les sujets sur lesquels il veut intervenir. Ce qui est le cas de la Principauté. Sur les rivages de la Méditerranée, on compte de nombreux problèmes concrets à la résolution desquels Monaco peut apporter une forte contribution.

T. H. - Selon vous, quels sont les domaines où la diplomatie de Monaco pourrait trouver à s'employer utilement ?

H. V. - En premier lieu, dans tout ce qui combine relations internationales et écologie, et relations internationales et sport.

T. H. - Monaco pourrait-il, notamment, mettre à profit son positionnement neutre pour jouer un rôle de médiateur dans certains conflits de la zone méditerranéenne ?

H. V. - La réponse à votre question n'est pas évidente. Car ce n'est pas par manque de médiateurs et de médiation que des conflits graves perdurent dans cette région, souvent depuis longtemps. Et les puissances les plus importantes s'y cassent les dents. En l'espèce, la neutralité et la bonne volonté ne suffisent pas. Mais la voix monégasque, coopérative et ouverte - insoupçonnable de volonté de pouvoir et donc bien accueillie par tous - est précieuse dans toutes les enceintes régionales et internationales. Je peux témoigner qu'elle est même appréciée.

T. H. - Le Prince Albert II est très engagé dans la défense de l'environnement et le développement durable. Monaco peut-il exercer une influence dans cette sphère ?

H. V. - Absolument. Monaco et le Prince Albert II lui-même ont une voix qui porte dans ce domaine. On connaît la passion du Prince pour les océans ; ses expéditions au pôle Nord (sur les traces de son grand-père) et au pôle Sud ; sa collaboration avec le professeur Henry de Lumley ; la Monaco Blue Initiative (1) ; la Fondation Albert II, etc. Tous ces acteurs participent activement aux travaux des organisations régionales concernées. N'oublions pas que la qualité de l'eau en Méditerranée est la préoccupation numéro un des riverains.

T. H. - La pression internationale s'accroît sur certains États considérés comme des paradis fiscaux. Comment jugez-vous l'attitude de Monaco sur ce sujet ?

H. V. - Il me semble que Monaco est très conscient de ce problème. En 2012, le secrétaire général de l'OCDE a d'ailleurs salué les progrès de la Principauté en la matière, estimant que tous les indicateurs monégasques étaient « corrects » et, à l'inverse, qu'aucun d'entre eux n'était « défaillant ». Au-delà, Monaco est encouragé à multiplier les accords d'échanges de renseignements avec d'autres pays membres de l'OCDE exemplaires à ce sujet afin d'améliorer encore sa situation.

T. H. - Certains observateurs pointent, toutefois, la position quelque peu attentiste de la Principauté, qui - expliquent-ils - semble attendre que d'autres pays bougent avant de les imiter. Pourrait-elle faire davantage ?

H. V. - Je suis persuadé que Monaco va faire davantage.

T. H. - Monaco a été l'un des États fondateurs de l'Union pour la Méditerranée (UPM), actuellement au point mort. Comment relancer le dialogue inter-méditerranéen ?

H. V. - L'UPM, qui était en théorie une belle idée (quoique certainement prématurée), ne pouvait marcher telle qu'elle avait été conçue et lancée en juillet 2008 par Nicolas Sarkozy ; et cela, alors que des conflits anciens divisaient ses membres. De plus, les révolutions arabes ont changé la donne. Tout est à repenser sur une base très souple et très concrète, sans institutions spécifiques, à travers des multi-partenariats. Monaco - j'en suis convaincu - y aura toute sa place.

T. H. - À quels types de multi-partenariats pensez-vous et dans quels domaines pourraient-ils se concrétiser ?

H. V. - Tous les domaines de la coopération économique, du développement écologique, de l'agriculture méditerranéenne, de la sécurité civile.

T. H. - Quel regard portez-vous sur les pays arabes aujourd'hui en transition, comme la Tunisie et l'Égypte ?

H. V. - De puissantes forces antagonistes se concurrencent ou s'affrontent, dans ces pays, pour le contrôle du pouvoir et de la société. Rien d'étonnant à cela. L'issue n'est pas assurée, et cela ne doit pas surprendre. Aucun processus de démocratisation ou de modernisation n'est aisé. Il peut y avoir des drames, des retours en arrière. Mais peut-être la responsabilité du pouvoir va-t-elle transformer les partis islamistes. Peut-être parviendront-ils à juguler leurs extrémistes. Peut-être sauront-ils passer un compromis historique avec leurs sociétés civiles, notamment en Tunisie où les femmes, les associations, les syndicats sont puissants. On ne peut que le souhaiter. Mais il est impossible de savoir quand et à quel rythme ces changements se produiront...

T. H. - En tout cas, vous ne paraissez pas pessimiste...

H. V. - Disons que je suis prudemment optimiste...

T. H. - La situation en Libye, notamment sur le plan sécuritaire, n'est-elle pas une source d'inquiétude ?

H. V. - La situation en Libye est d'abord inquiétante pour les Libyens eux-mêmes, mais aussi pour les pays arabes, africains et européens. Le Sud est incontrôlé et devient après le Nord-Mali un nouveau sanctuaire, une base arrière. Cela va devenir un problème sérieux.

T. H. - Faut-il intervenir militairement dans le sud de la Libye ?

H. V. - On n'en est pas là ! Il faudrait d'abord que le Conseil de sécurité des Nations unies se saisisse de la question...

T. H. - Comment faire en sorte d'arrêter le bain de sang en Syrie ? N'a-t-on pas été un peu vite en besogne en considérant qu'Assad devait tôt ou tard quitter le pouvoir ?

H. V. - Il n'y a pas de bon scénario pour la Syrie : victoire et maintien d'Assad ; interminable poursuite de la guerre civile ; désagrégation du pays et propagation de l'incendie aux voisins, notamment au Liban. En tout cas, les quelques semaines qui se sont écoulées entre le bombardement du 21 août et l'accord russo-américain sur les armes chimiques ont montré que les Occidentaux ont de plus en plus de mal à procéder à des interventions militaires unilatérales, sans la caution du Conseil de sécurité, y compris lorsqu'il y a un motif moral « légitime » (l'emploi de l'arme chimique), une détermination politique (Londres et Paris) et une supériorité militaire évidente (États-Unis). Mais on voit bien, avec le recul, que le seul but d'Obama (et d'Israël) était la neutralisation de l'arsenal chimique de Bachar el-Assad, et non la chute du régime. Derrière l'affaire syrienne il y a l'enjeu iranien, beaucoup plus important. Obama a dû calculer que frapper la Syrie affaiblirait trop le camp de l'« ouverture » à Téhéran. Or le président américain veut tenter de sortir politiquement, et par le haut, du dilemme iranien.

T. H. - Êtes-vous optimiste quant à l'évolution des relations entre la France et l'Algérie ?

H. V. - Si on les observe sur la longue durée, les relations entre la France et l'Algérie s'améliorent lentement et sûrement avec le temps, et cela continuera d'être le cas après Bouteflika. François Hollande gère très finement les relations de la France avec l'Algérie d'une part, avec le Maroc d'autre part.

T. H. - Justement, comment jugez-vous la situation qui prévaut au Maroc ?

H. V. - Le roi a réagi vite et intelligemment à un début de « printemps marocain » en faisant adopter une nouvelle Constitution et en procédant à des élections. Celles-ci ont été remportées par le parti islamiste PJD, qui se retrouve confronté aux réalités et aux responsabilités du pouvoir. Le Maroc est aujourd'hui en bonne position parmi les pays arabes en cours de changement. Cependant, les attentes sociales, économiques et politiques restent énormes.

T. H. - Les relations dans la région sont polluées depuis des années par la question du Sahara occidental. Comment sortir de cette impasse ?

H. V. - Il me semble que ce n'est pas le moment de prendre des initiatives déstabilisantes. Il faut donc que le Maroc donne un contenu accru à l'autonomie. Il faut aussi poursuivre le processus onusien (2) et, le jour venu, procéder à un référendum sur le statut du Sahara occidental. L'établissement de relations bilatérales normales entre Alger et Rabat améliorerait, bien sûr, les perspectives de solution, mais aussi de relance - enfin ! - de l'Union du Maghreb arabe.

T. H. - Albert de Monaco est très engagé dans l'olympisme. Le sport est-il, à vos yeux, un bon vecteur d'influence sur la scène internationale pour un petit État ?

H. V. - Certainement, et Monaco en est la preuve éclatante. Je ne pense pas seulement au goût personnel du Prince souverain pour le sport ni aux grandes manifestations vitrines telles que la F1 ou le tennis, mais aussi aux actions très utiles de réconciliation menées grâce à l'exemple du sport par la fondation « Peace and Sport » qu'a créée Albert II. Ce type d'initiative mériterait assurément d'être repris ailleurs dans le monde.

(1) Lancée en 2010 par le Prince Albert II, la Monaco Blue Initiative est un forum de communication et d'échange consacré à la protection des écosystèmes marins. Il réunit régulièrement des spécialistes venus de divers horizons qui réfléchissent aux moyens de concilier la défense de ces ressources fragiles et le développement socio-économique. (2) En 1988, le Maroc et le Polisario se sont mis d'accord sur le principe d'un référendum d'auto-détermination au Sahara occidental. Depuis lors, l'ONU s'efforce de réunir les conditions nécessaires à la tenue d'une telle consultation. Des négociations directes entre les deux parties ont été engagées sous son égide en 2007, sans succès. Une mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO) est déployée sur place depuis 1991.