Les Grands de ce monde s'expriment dans

Les clés d'un avenir durable

Michèle Bernard-Royer - Dans votre dernier livre, vous identifiez six éléments moteurs capables de nous guider sur la voie d'un avenir durable. Mais cet objectif est-il réellement atteignable ?
Al Gore - Absolument, il est possible d'assurer un avenir durable à l'humanité. Nous vivons une période de bouleversements sans précédent. Certes, nous bénéficions d'extraordinaires progrès technologiques - la diffusion massive d'appareils connectés et intelligents, des percées majeures en matière médicale, etc. Mais, dans le même temps, l'exploitation incontrôlée et exponentielle des ressources de notre planète provoque de graves dommages collatéraux. Avant d'imaginer puis de donner corps à un avenir durable, nous devons d'abord comprendre les forces qui déterminent ces évolutions (1).
M. B.-R. - Y a-t-il vraiment urgence ?
A. G. - Sans aucun doute. Et le travail de conviction est primordial ! Nous surmonterons certainement ces difficultés, mais nous sommes engagés dans une course contre la montre : le danger est réel d'une déstabilisation irréversible de l'écosystème terrestre, qui pourrait aller jusqu'à remettre en cause l'équilibre climatique nécessaire à l'épanouissement de la civilisation humaine. L'organisation actuelle de nos sociétés épuise rapidement des ressources non renouvelables et fondamentales pour notre survie : les nappes phréatiques, les terres arables ou encore la diversité des espèces vivantes avec lesquelles nous partageons une seule et même planète, la Terre. Chaque jour, nous rejetons dans l'air 90 millions de tonnes de produits polluants qui contribuent au réchauffement climatique. C'est comme si nous vivions dans un égout à ciel ouvert. Les gaz à effet de serre d'origine humaine accumulés dans l'atmosphère emprisonnent chaque jour autant de chaleur que celle produite par 400 000 bombes d'Hiroshima ! Nous devons modifier notre trajectoire sans attendre, sous peine de déstabiliser notre civilisation.
Heureusement, de plus en plus de citoyens prennent conscience du dilemme auquel nous faisons face : ils exigent des politiques qu'ils prennent des mesures, et des entreprises - petites et grandes - qu'elles rendent des comptes. J'ai bon espoir que nous serons à la hauteur des défis de notre temps. Mais j'insiste : nous devons agir très rapidement.
M. B.-R. - À Davos, en janvier dernier, avez-vous eu le sentiment que les multinationales du monde entier étaient prêtes à rejoindre ce mouvement ?
A. G. - De plus en plus d'entreprises - en particulier celles qui sont en prise directe avec les consommateurs - comprennent que les anciennes méthodes ne permettent plus d'envisager un avenir durable. Elles sont nombreuses à initier des réflexions pour adopter, voire incarner des valeurs plus compatibles avec le développement durable. Très récemment, plus d'une centaine de groupes, représentant un total cumulé de 11 000 milliards de dollars d'actifs, se sont lancés dans une analyse de leurs activités afin d'identifier les risques liés au changement climatique. C'est un pas non négligeable dans la bonne direction. Mais il en faudra davantage pour faire bouger les mentalités. Les grands groupes doivent faire évoluer leur stratégie vers des modèles qui prennent en compte les réalités d'un monde fini. Cette année à Davos, nous avons vu …