Les Grands de ce monde s'expriment dans

Pour un investissement responsable

Alain Chauveau - Quand et comment le concept d'investissement socialement responsable est-il né ? Quelles ont été les étapes de la mobilisation du secteur financier en faveur du développement durable ?
François Passant et Giuseppe van der Helm - L'ISR, l'investissement socialement responsable, trouve ses racines dans une finance dite « éthique », dont les précurseurs ont été au XVIIIe siècle les Quakers (1), aux États-Unis. Pour ces grands marchands, il était important d'adopter une attitude cohérente entre la pratique des affaires et une éthique personnelle. Par la suite, au début du XXe siècle, un nouvel ordre social articulé autour de la moralisation des moeurs mobilise les investisseurs socialement responsables américains. C'est l'âge des croisades contre l'alcool et le tabac. En 1928 est lancé le Pioneer Fund, le premier fonds qui filtre les fameuses « sin stocks » (« actions du péché ») de l'univers d'investissement. Dans les années 1960, le mouvement américain des droits civiques, sur fond de guerre du Viêtnam et de tensions raciales, fait évoluer la notion d'ISR. Le champ des exclusions s'étend progressivement à d'autres activités souvent liées à des thèmes politiques comme les droits des minorités et l'écologie.
Les années 1969-1971 constituent un tournant et voient l'avènement de la forme moderne de l'ISR. L'activisme actionnarial social (2) naît grâce à l'action de Ralph Nader, un avocat qui s'attaque à General Motors. En 1971, le premier fonds axé sur l'exclusion des valeurs liées à l'armement et à l'Apartheid voit le jour. Le rapport Brundtland (3) (1987) et le premier Sommet de la Terre (Rio, 1992) contribuent à renforcer l'évolution du concept d'ISR dans une acception plus large et plus laïque. L'ISR devient alors un outil pour contribuer à un développement durable de la société en prenant en compte simultanément les dimensions Environnementale, Sociale et de bonne Gouvernance (ESG). Aujourd'hui, on préfère souvent parler d'ailleurs d'« IDR », d'Investissement durable et responsable que d'ISR, même si en France le terme est consacré.
A. C. - Quelles sont, aujourd'hui, les différentes formes d'investissement socialement responsable ?
F. P. et G. H. - Aucun consensus sur une définition unifiée de l'ISR n'existe au niveau européen, et souvent même national, quel que soit le critère que l'on retient : les processus mis en oeuvre, les impacts ESG recherchés ou la sélectivité ESG appliquée. Nous avons pris le parti dans la dernière étude Eurosif de 2012 (4) de présenter les stratégies de manière individuelle. Ces stratégies sont au nombre de six, auxquelles s'ajoute l'« impact investing » : l'« approche thématique ESG » concentrée sur un ou plusieurs thèmes comme les énergies renouvelables ou les technologies vertes ; la stratégie nommée « Sélection ESG » qui englobe toutes les approches de filtrage positif, y compris l'approche « Best-in-Class » (5) ; la stratégie dite de « filtrage normatif » qui applique un filtre fondé sur des normes reconnues, du type Pacte mondial (6) de l'ONU ou Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des multinationales (7) ; la « stratégie d'exclusion », …