Les Grands de ce monde s'expriment dans

Remodeler le monde

Alain Chauveau - Le 44e Forum de Davos avait pour thème, cette année, « Reshaping the world » (Remodeler le monde). Vous-même avez récemment diagnostiqué un « échec collectif face à la façon de gérer les conséquences de la mondialisation » (1). Quelles sont les raisons de cet échec ?
Klaus Schwab - Le mouvement anti-mondialisation de la fin des années 1990 était hétéroclite : il regroupait des syndicats en lutte contre le dumping social, des groupes qui dénonçaient les conséquences de la mondialisation sur l'environnement, des associations de défense des consommateurs ou encore des défenseurs des droits des travailleurs.
Même si aucun de ces groupes n'avait prévu que la mondialisation allait sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté, ils visaient juste : la gouvernance mondiale n'était pas adaptée aux enjeux que portaient en eux les bouleversements déjà à l'oeuvre à l'époque.
Dès cette période, de nombreux décideurs avaient compris que le développement des communications ne signifiait pas seulement une croissance plus forte, mais qu'il entraînait aussi une volatilité accrue et une plus grande vulnérabilité des individus, des entreprises et des États : tous sont confrontés à des évolutions qu'ils ne peuvent contrôler. Néanmoins, à l'époque comme aujourd'hui, personne n'était d'accord sur la marche à suivre face à ces mutations. Nous payons aujourd'hui le prix de ces hésitations et de cette désunion.
A. C. - Quelles modifications faut-il, selon vous, apporter au système international de gouvernance ?
K. S. - Le Forum de Davos de cette année s'est adressé aux dirigeants et leur a demandé de revoir leurs positions sur les mouvements des plaques tectoniques de l'économie mondiale. Il est crucial que nous puissions prédire les séismes qui ne manqueront pas de se produire, afin de mieux y faire face. À l'heure actuelle, il est clair que les besoins en gouvernance mondiale dépassent l'offre existante en la matière. Les institutions internationales, telles qu'elles ont été conçues à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ne sont plus adaptées au monde d'aujourd'hui.
Le problème est qu'aucune alternative cohérente n'émerge. Le G20 a certes joué un rôle de mécanisme de gestion de crise lors du choc financier, mais sa dynamique s'est enrayée dès la fin de la panique générale. Le groupe des BRICS représente plus de la moitié de la population mondiale et 50 % de la croissance globale, mais il n'a pas encore réussi à produire une vision crédible en phase avec la nouvelle donne économique mondiale.
Pourtant, la coopération internationale est indispensable dans de très nombreux domaines : maintien de la stabilité économique, contrôle du crime organisé, de la contrefaçon et du piratage, gouvernance du domaine maritime, du cyberespace ou de l'espace tout court, lutte contre le changement climatique, ou encore usage responsable des nouvelles technologies, qui vont des drones au génie biologique... Les États dominent encore le jeu mondial. Il leur revient de nouer des partenariats avec des acteurs non étatiques pour la fourniture de biens et de services, de revoir les règles et les normes …