Les Grands de ce monde s'expriment dans

LES PROMESSES DU MOBILE MONEY

L'exclusion financière, qui concerne 2,5 milliards de personnes sous-bancarisées, est aujourd'hui l'un des thèmes les plus en vogue dans les pays en voie de développement. Elle constitue une force d'attraction pour des flux d'investissements conséquents et s'invite jusque dans les agendas des gouvernements et des institutions régulatrices. Cet article dresse un état des lieux du phénomène et met en lumière les défis et les opportunités que représente le développement de l'inclusion financière à l'échelle mondiale.
D'après les Nations unies, l'inclusion financière vise à offrir « l'accès, pour l'ensemble des ménages et des entreprises, à un coût raisonnable, à la gamme de services financiers à laquelle ils peuvent prétendre » (1). Ce concept recouvre la détention de comptes bancaires et la possibilité offerte aux populations non bancarisées d'effectuer des transactions : l'envoi et la réception de fonds, l'achat de biens et de services, le versement de salaires, etc. L'objectif ultime est de donner des moyens supplémentaires à ceux qui étaient jusqu'alors non bancarisés, en leur proposant des services bancaires plus « sophistiqués » : des prêts pour leur permettre de réaliser leurs projets ; des assurances pour eux-mêmes et leur famille ; ou encore des comptes épargne pour faire face aux dépenses imprévues.
Le secteur financier dans les pays émergents
Dans les pays en voie de développement, l'accès à l'écosystème bancaire reste limité à une fraction de la population. En Afrique subsaharienne, par exemple, le taux de pénétration des services bancaires est d'environ 24 %. Le segment des exclus du système financier est constitué des populations à bas revenus et de celles qui habitent les zones rurales. De fait, dans les pays émergents, 77 % des personnes disposant de moins de 2 dollars par jour et 78 % des ruraux n'ont pas de compte bancaire ouvert auprès d'une institution financière formelle (2). Les banques ne sont accessibles que dans les grandes villes, qui hébergent les catégories les plus aisées. Les agences bancaires privilégient les comptes épargne bien garnis et les prêts de montant élevé. Et il va de soi que les clients riches offrent les meilleures perspectives de retour sur investissement. Conséquence du coût que représentent la construction des agences et le recrutement du personnel nécessaire, les services bancaires sont onéreux et exclusifs, et la population non bancarisée en Afrique est constituée en majeure partie des foyers et des micro-entreprises à bas revenus.
L'approche traditionnelle du système bancaire n'encourage pas l'inclusion financière et nourrit l'idée erronée que les services bancaires sont uniquement conçus « pour les riches ». Par le passé, on postulait que les pauvres n'avaient pas besoin de services bancaires « sophistiqués », dans la mesure où ils n'avaient pas d'argent à épargner et ne disposaient pas des moyens de rembourser des emprunts ou de régler des primes d'assurance du fait de leurs revenus irréguliers. Mais c'est l'inverse qui est vrai : les services bancaires procurent encore plus de bénéfices aux personnes à bas revenus.
Les bénéfices de l'inclusion financière
L'inclusion financière est depuis longtemps une priorité pour les États et les ONG, car non seulement elle améliore de manière tangible les conditions de vie des populations non bancarisées, mais elle encourage aussi une plus grande implication dans l'économie nationale. Offrir à ces populations un accès aux services financiers, qu'il s'agisse du crédit, de l'assurance ou de l'épargne, contribue au développement des individus, des communautés et des pays.
À l'échelle individuelle, l'inclusion financière soutient le petit entreprenariat au travers des prêts, réduisant ainsi les inégalités de revenus. Elle améliore le niveau des soins grâce aux assurances. Par le biais des prêts scolaires, elle donne aux familles la possibilité d'envoyer leurs enfants à l'école et rend donc l'éducation plus accessible. Elle permet aux femmes de subvenir aux besoins de leur famille en toute indépendance, contribuant de manière significative à leur émancipation et à l'égalité des sexes.
À l'échelle d'un pays, l'inclusion financière favorise l'entreprenariat, stimule le commerce et encourage l'innovation. Le développement des entreprises crée des emplois et de la valeur pour l'économie nationale. On relève également un impact positif en matière fiscale. Passer du paiement en espèces au paiement électronique permet aux États de suivre au plus près les recettes des commerçants et donc de collecter des impôts qui serviront à financer les infrastructures locales.
Le scepticisme des individus, défi majeur pour l'inclusion financière
Même lorsque les services financiers sont disponibles, les personnes à bas revenus demeurent très soucieuses de protéger leurs économies, ce qui est fort compréhensible, et sont peu enclines à courir le risque de les perdre en utilisant des services et une technologie qu'elles ne comprennent pas. Nombre d'enquêtes menées auprès de populations non bancarisées (3) ont montré qu'elles seraient plus portées à gérer leur argent via des pratiques risquées qu'à utiliser un service qui ne leur inspire pas confiance.
« Je place mes économies auprès d'un gars du village que je connais. Tout le monde le connaît et lui fait confiance, et je sens que mon argent est en sécurité chez lui », affirme un agriculteur africain. Lorsqu'ils ont besoin d'emprunter, les gens se tournent vers leurs voisins, amis et familles, et contractent un emprunt qui peut au final s'avérer plus onéreux que le crédit qu'offriraient les institutions financières classiques.
Un travailleur migrant exprime son manque de confiance dans les outils bancaires modernes : « Je suis tellement stressé de perdre ma carte que je préfère ne pas l'utiliser du tout. » Un petit commerçant explique pourquoi il a fermé son compte bancaire : « Mon argent disparaissait de mon compte à cause de frais bancaires qui n'étaient pas prévus. »
Ces populations préfèrent gérer leur argent avec des méthodes qui leur sont familières, comme l'achat d'or ou le stockage de leurs espèces dans des tirelires, chez eux. Ces pratiques sont fort heureusement remises en cause par de nouvelles approches innovantes et des avancées technologiques qui simplifient et rendent abordable l'accès à une large gamme de services financiers, comme l'épargne, le crédit, les assurances, les subventions, les retraites, les virements et bien d'autres.
La force d'attraction des opérateurs de réseaux mobiles
À la différence des banques, les opérateurs de téléphonie mobile (en anglais Mobile Network Operators, MNO) ont réussi à adresser tous les segments du marché, indépendamment des niveaux de revenus. Aujourd'hui, les habitants des pays en voie de développement sont plus nombreux à posséder un téléphone mobile qu'à être titulaires d'un compte bancaire. En Égypte, par exemple, seuls 10 % des adultes disposent d'un compte bancaire ouvert auprès d'une institution financière formelle (4). À l'inverse, le taux de pénétration du téléphone mobile est d'environ 115 % (5).
Familiariser les populations non bancarisées avec le concept d'« argent électronique » n'a pas été une tâche facile, mais les opérateurs mobiles ont su relever le défi. Pour se rapprocher des non bancarisés et leur donner accès aux services financiers, ils ont lancé des programmes de type Mobile Money s'inscrivant dans la perspective de l'inclusion financière. Ils ont développé des normes et sont parvenus à convertir ces populations « difficiles à atteindre ». Les opérateurs mobiles se sont rapidement positionnés comme les acteurs les mieux placés pour proposer, via les canaux mobiles, des services financiers aux autres exclus du système financier.
En 2014, 299 millions de personnes disposaient de comptes mobiles (soit + 47 % par rapport à 2013), et ce nombre continue de croître d'une année sur l'autre. À ce jour, six pays dans le monde comptent plus de comptes mobiles que de comptes bancaires traditionnels (6).
Mais, malgré le succès du Mobile Money, l'inclusion financière reste une perspective lointaine, et cela pour deux raisons. Premièrement, l'inclusion financière ne peut pas, partout, tirer parti du Mobile Money. La clé de voûte de son succès est le taux de pénétration du téléphone portable. Dans les pays émergents, le pourcentage d'utilisateurs est élevé. Mais il demeure encore bas sur certains marchés, où le potentiel d'amélioration de l'inclusion financière via le Mobile Money est par conséquent négligeable.
En second lieu, la souscription de comptes mobiles ne signifie pas nécessairement que les clients utilisent ces services. Sur les 299 millions de comptes existant dans le monde, seuls 100 millions (7) sont actifs. Concrètement, seuls 30 % des détenteurs de ces comptes ont effectué au moins une transaction au cours des 90 derniers jours.
La question se pose donc : si le Mobile Money ne constitue pas à lui seul la réponse, par quels autres moyens pouvons-nous aider les 2,5 milliards d'individus non bancarisés à adopter les services financiers ?
Les trois piliers de l'inclusion financière : technologie, environnement et proximité
Jusqu'à présent, la technologie a été perçue comme la principale barrière à l'adoption des services financiers - une barrière que le Mobile Money a fortement contribué à faire tomber. Avec les moyens actuels, tout possesseur de téléphone mobile peut, grâce à une interface simple, accéder à une large gamme de services financiers, payer partout et envoyer de l'argent à qui il souhaite. Une bonne interface, un coût raisonnable et une garantie d'interopérabilité : tels sont les facteurs de succès de la dimension technologique de l'inclusion financière.
Au-delà de la technologie, il faut un environnement favorable pour que le service proposé soit « responsable ».
Selon la Banque mondiale, des pays de même niveau de revenus présentent des niveaux différents d'inclusion financière. La principale explication est liée à l'absence d'un environnement favorable, qui elle-même résulte des politiques étatiques. La protection des intérêts des consommateurs nécessite un cadre réglementaire de gestion de la fraude et du risque, de protection des données privées ainsi que des procédures de remboursement. Le but étant de mettre sur pied des infrastructures financières solides, fondement de tout programme financier.
Le troisième pilier, la proximité, a trait à l'éducation, à la confiance et à la capacité d'atteindre les consommateurs, conditions fondamentales pour l'adoption de tout service. Dans de nombreuses économies émergentes, les taux d'alphabétisation sont faibles et sont perçus comme un obstacle à l'inclusion financière. En Afrique, les adultes ayant suivi des études supérieures sont plus susceptibles d'avoir un compte auprès d'une institution financière formelle (53 %) que ceux qui se sont arrêtés au secondaire (35 %) ou en primaire (13 %) (8). De manière générale, la compréhension des conditions générales des banques nécessite une formation à la finance. Le cas des frais liés à l'utilisation d'une carte bancaire en est un bon exemple. Lorsqu'un consommateur dispose d'une carte de retrait dans les distributeurs, les frais associés peuvent varier en fonction du montant retiré, du réseau de distributeurs utilisé, du nombre de retraits par semaine, etc. L'accumulation de ces paramètres rend le processus quelque peu écrasant et suscite une réticence à l'utilisation chez les porteurs de carte. L'offre de services financiers doit s'accompagner de programmes d'éducation financière.
La confiance dans le système est l'aboutissement de cet effort d'éducation, plus long à porter ses fruits dans une société où les règlements se font majoritairement en espèces et où l'écosystème financier demeure méconnu. La viralité aide à renforcer la connaissance et la confiance dans le système : plus le service est apprécié, plus les consommateurs adhéreront au programme. Partant de cette observation, la première étape pour enclencher cet effet boule de neige est de disposer d'un représentant financier au sein de la communauté locale.
Enfin, la capacité d'atteindre les consommateurs demeure une question cruciale, car la plupart des personnes non bancarisées dans les économies émergentes sont géographiquement éloignées de la culture bancaire. Les banques des pays en développement sont peu implantées en dehors des zones urbaines. Le nombre restreint d'agences bancaires implique que les habitants des zones rurales doivent dépenser du temps et de l'argent pour se rendre dans une agence bancaire. Du fait de cet éloignement, les personnes non bancarisées sont « difficiles à atteindre », et elles ne sont pas encouragées à adhérer au système financier.
Il est malheureusement difficile pour les institutions financières d'accroître leur proximité par le développement d'une présence physique dans les zones rurales, pour des raisons de rentabilité. L'extension du réseau d'agences requiert en effet des investissements conséquents, qui sont hors de proportion par rapport à la faible densité de population dans ces zones et aux niveaux de revenus très bas des personnes concernées. Pour qu'un tel programme soit viable sur le long terme, il faudrait parvenir à en réduire considérablement le coût. D'où la nécessité de trouver des modèles économiques innovants.
La banque sans agence, une manière d'assurer la proximité
La banque sans agence met des services financiers à disposition d'une population cible sans engendrer les coûts et les contraintes bureaucratiques liés à une infrastructure physique. Son objectif est de supprimer les freins à l'adoption. Ainsi, par une inversion de l'approche traditionnelle, les non-bancarisés n'ont plus besoin de cheminer jusqu'aux banques : les banques viennent directement à eux.
La banque sans agence a été développée pour réduire le montant des investissements initiaux. Après avoir été formés et équipés des technologies indispensables, les agents se déplacent à pied, à vélo ou en voiture dans la campagne. Ils travaillent en indépendants et sont rémunérés à la commission sur leur volume de transactions. Ce modèle maintient la motivation des agents et les transforme en ambassadeurs de la banque. Plus ils apportent de services, plus ils génèrent de recettes. Il n'est pas nécessaire qu'ils soient dévoués à la cause de l'inclusion financière. Un agent de banque sans agence peut être un commerçant local (dans une épicerie), un employé d'un réseau de services tiers (un guichetier de bureau de poste) ou bien un indépendant.
Bénéficiant déjà de leur notoriété auprès des populations locales, les agents mettent à profit leur proximité et la relation de confiance qu'ils peuvent avoir avec les personnes non bancarisées. Ils éduquent les consommateurs et ils contribuent à établir la confiance dans le système. Ils deviennent le chaînon manquant entre les institutions financières et les clients. Ils permettent à ces clients « difficiles à atteindre » de déposer ou de retirer de l'argent, de gérer leur compte et d'accéder à divers services comme le règlement des factures, les virements, l'épargne ou le crédit.
La banque sans agence et sa rentabilité à long terme
Dans la banque sans agence, les coûts d'exploitation sont réduits et les programmes peuvent être aisément déployés à grande échelle. Le service peut facilement être étendu à de nouvelles zones géographiques, permettant donc de toucher encore plus de personnes dans les villages reculés.
Mais l'extension de la portée du système bancaire n'est pas le seul point positif, et le rôle de l'agent dépasse largement l'étape de la souscription. La banque sans agence aide les banques à réduire leurs charges d'exploitation et à accroître le volume d'activité financière, créant ainsi un modèle de rentabilité à long terme. Dans les faits, la banque sans agence stimule le volume de transactions et le chiffre d'affaires par client. Aider les clients récemment inscrits à effectuer leur première transaction accroît le taux d'activité de 10 % et fait pratiquement doubler les recettes par utilisateur (en moyenne).
Cette barrière de la première transaction est difficile à franchir. Pour être plus productif, le processus d'inscription tient mieux compte du client : il l'accompagne pas à pas, explique les conditions générales de service et répond à ses inquiétudes. Cette approche transforme les individus en utilisateurs actifs et les banques n'ont plus à supporter les coûts de clients inactifs.
Au-delà du Mobile Money : faire converger technologie, proximité et éducation
Il ne s'agit pas de remettre en cause le succès du Mobile Money. Mais le défi que représente la fourniture de services financiers aux populations non bancarisées ne pourra être résolu uniquement par ce biais. L'inclusion financière dépasse le seul fait d'apporter la technologie adéquate aux consommateurs. Elle nécessite accessibilité, confiance et compréhension des services financiers. La banque sans agence apporte les pièces manquantes permettant de compléter le puzzle du Mobile Money.
L'extension de l'inclusion financière ouvre de nouveaux horizons de transformation, avec des apports innombrables, allant du soutien à la création d'entreprises à l'accès au système éducatif en passant par l'amélioration des conditions d'existence et le recul de la pauvreté. Les pays en voie de développement font émerger des technologies innovantes, des modèles économiques innovants et des services innovants. Aucun hasard à cela. L'inclusion financière porte en elle le début d'une nouvelle ère de développement économique et social. Qui sait les transformations formidables qu'elle apportera à ces populations du monde entier, fraîchement stimulées et mobilisées ?

(1) Comme l'épargne, le crédit à court et à long terme, le crédit-bail et l'affacturage, les hypothèques, l'assurance, les pensions, les paiements, les transferts locaux d'argent et les envois de fonds internationaux.
(2) Banque mondiale, 2011.
(3) Ainsi de « The Road to Inclusion, A look at the financially excluded and underserved », MasterCard, 2e trimestre 2014.
(4) Banque mondiale, 2012.
(5) Ministère égyptien des Technologies de l'information et de la communication, février 2013.
(6) State of Industry 2014, Mobile Financial Services for the Unbanked, GSMA.
(7) Tous les chiffres sont tirés de : GSMA, Mobile Money for the Unbanked, 2014.
(8) Source des données : Financial Inclusion In Africa, Banque africaine de développement, 2013.