Politique Internationale - Vos prérogatives au sein d'Alstom portent non seulement sur le Moyen-Orient et l'Afrique, mais aussi sur l'Asie centrale et le Caucase. Pouvez-vous, dans un premier temps, nous présenter le projet industriel d'Alstom au Kazakhstan ?
Didier Pfleger - Au Kazakhstan, Alstom compte plus de 600 collaborateurs et deux co-entreprises : l'une, Electrovoz Kurastyru Zauyty (EKZ), à Astana, pour la fabrication et la maintenance de locomotives ; l'autre, KazElectroPrivod (KEP), à Almaty, pour la production de moteurs d'aiguillage. Alstom est le seul fabricant de locomotives électriques et de moteurs d'aiguillage dans la région du Caucase et de l'Asie centrale, et l'un des principaux contributeurs à la redynamisation de son industrie ferroviaire et au développement de son économie.
L'usine d'Astana est exploitée par EKZ, une joint-venture détenue par Alstom à hauteur de 50 % et par les Chemins de fer kazakhs (KTZ) et la compagnie russe Transmashholding (TMH) à hauteur de 25 % chacun. Alstom et ses partenaires avaient annoncé, en juin 2010, leur décision d'investir dans une unité de production de locomotives électriques pour répondre aux besoins de renouvellement du parc ferroviaire kazakh. Ce projet représentait un investissement de l'ordre de 50 millions d'euros. Avec une superficie de 27 522 m2 et une capacité de production pouvant atteindre 100 sections de locomotives par an, l'usine est aux meilleurs standards de l'industrie.
En janvier 2013, Alstom et Kamkor, filiale de KTZ chargée de la maintenance du matériel roulant, ont créé une société commune dont elles possèdent chacune la moitié, pour la production de moteurs d'aiguillage. Cette joint-venture, KazElectroPrivod, est basée à Almaty, dans le sud du pays. Depuis mai 2017, Kamkor a cédé ses parts à SOP (une société kazakhe de logistique spécialisée dans le tankering et l'industrie pétrolière et gazière, qui a souhaité diversifier ses activités en investissant dans KEP).
Le 21 juillet dernier, Alstom a inauguré son premier centre de réparation à Astana. Les travaux correctifs et les travaux préventifs de révision, y compris l'installation des pièces de rechange et la réparation des systèmes de traction et de freinage pour les locomotives Prima T8 (KZ8A) et Prima M4 (KZ4AT), seront réalisés dans ce centre sur une période de 25 ans.
P. I. - Pourquoi Alstom a-t-il choisi de s'installer au Kazakhstan ?
D. P. - Fort de ses 14 000 km de voies, le réseau ferroviaire kazakh occupe la troisième place mondiale des réseaux utilisant un écartement de 1 520 mm (1). Le marché est donc conséquent.
P. I. - Le transport maritime demeure, bien entendu, moins onéreux que le transport terrestre. Quelle est, selon vous, la raison d'être de la nouvelle Route de la Soie annoncée par Pékin ? Est-on certain de sa rationalité économique ?
D. P. - Les études démontrent que le facteur différenciateur de la nouvelle Route de la Soie est le temps de transport des marchandises qui peut passer de 45 jours en moyenne pour du fret maritime à 14 jours pour du fret ferroviaire - ce qui est considérable pour des produits à haute valeur ajoutée ou pour les denrées périssables.
P. I. - Votre stratégie est régionale. Vous avez, par exemple, signé un contrat avec la compagnie ferroviaire nationale de l'Azerbaïdjan. Votre positionnement au Kazakhstan vous donne-t-il satisfaction à ce titre ?
D. P. - Alstom a effectivement remporté, en 2014, un contrat portant sur la fourniture de 50 locomotives de fret KZ8A à la compagnie ferroviaire Azerbaijan Railways (ADY). Les locomotives sont assemblées à l'usine EKZ. L'Azerbaïdjan est un point de passage stratégique entre l'Europe et l'Asie centrale. Les locomotives de fret KZ8A, qui sont à la pointe de la modernité, renforceront la capacité du pays à transporter des matières premières et diverses marchandises.
Le réseau ferré de l'Azerbaïdjan compte 2 932 km, dont 1 278 km sont électrifiés (3 kV). En 2006, les Chemins de fer azerbaïdjanais ont lancé un programme à long terme de rénovation et de modernisation du réseau, au travers notamment du renouvellement du parc de locomotives de fret, de la reconstruction d'infrastructures et du passage progressif du courant continu au courant alternatif. L'implantation d'Alstom au Kazakhstan nous permet d'être présents sur ce marché.
P. I. - Vous l'avez dit, votre co-entreprise EKZ a été créée conjointement avec les Chemins de fer du Kazakhstan (KTZ) et, aussi, avec les Russes de Transmashholding (TMH). Pourquoi cette association avec des Russes au Kazakhstan ?
D. P. - Le réseau kazakh appartient au réseau de voies ferrées 1520, tout comme celui de la Russie. TMH possède une expertise avérée de ce réseau et contribue au contrat de fourniture des locomotives à KTZ en tant que fournisseur de la joint-venture au même titre qu'Alstom.
P. I. - Récemment, Alstom a augmenté de 25 à 50 % sa participation dans EKZ. Pourquoi ?
D. P. - Cette acquisition démontre notre volonté de faire du Kazakhstan un partenaire sur le long terme. Nous souhaitons qu'EKZ devienne un hub régional pour la production et l'export de locomotives. De plus, EKZ est en charge des contrats de service et de maintenance des locomotives livrées à KTZ pour une période de 25 ans.
P. I. - Quelles sont les contraintes propres au Kazakhstan, selon vous, pour des projets industriels tels que ceux d'Alstom ?
D. P. - Le Kazakhstan est plutôt éloigné géographiquement des principaux centres industriels traditionnels de la zone CEI. Conséquence : il convient de déployer des efforts considérables pour stabiliser la chaîne d'approvisionnement et pour développer les fournisseurs locaux. Les efforts de formation du personnel local sont également considérables compte tenu de l'écart technologique entre les cursus techniques sur place et la technologie très évoluée de nos produits. Néanmoins, nos deux sites de production se sont bien adaptés à ces contraintes.
P. I. - Quels défis technologiques le Kazakhstan vous impose-t-il ? Nous pensons, tout particulièrement, à la locomotive Prima KZ8A...
D. P. - La Prima KZ8A est une locomotive de fret à deux sections et à courant alternatif capable de tracter jusqu'à 9 000 tonnes et de circuler à une vitesse de 120 km/h. Ce modèle est actuellement l'un des plus puissants au monde (8 800 kW). Développée conformément aux exigences techniques de KTZ (Kazakhstan Railways) et aux spécifications et normes GOST, la locomotive est dotée d'un système de traction de pointe, reposant sur la technologie d'Alstom, et de composants produits par Alstom et Transmashholding. La Prima KZ8A est conçue pour fonctionner à des températures extrêmes, allant de -50 °C à +50 °C. Grâce à sa conception modulaire, la locomotive affiche un niveau de fiabilité élevé et un coût de cycle de vie faible.
P. I. - Le pays a une politique très exigeante en matière de « local content ». Comment Alstom a-t-il rempli ses obligations en la matière ?
D. P. - Alstom a développé ce projet en différentes phases successives de localisation, de la fourniture de locomotives complètes à la phase actuelle de fourniture des kits nécessaires pour la production locale. En parallèle, la joint-venture a mené des actions visant à développer des fournisseurs locaux dans l'ensemble de la zone eurasiatique afin de remplir ses obligations de « local content ».
P. I. - Votre co-entreprise EKZ vient d'obtenir la certification IRIS (International Railway Industry Standard), créée sur la base de la norme ISO 9001. Ce procédé de certification vise, notamment, à évaluer les systèmes de gestion dans le secteur ferroviaire. Qu'est-ce que cela dit des dynamiques industrielles en cours au Kazakhstan ?
D. P. - Cette certification est un élément clef du dispositif dans la mesure où elle assure que notre joint-venture se conforme aux standards internationaux en vigueur dans le secteur du ferroviaire. Il s'agit, bien sûr, d'un atout pour la capacité d'exportation d'EKZ dans la zone eurasiatique. Voilà qui met en évidence la dynamique industrielle du Kazakhstan qui tend à s'aligner sur les pratiques internationales.
P. I. - Le Kazakhstan est un pays grand comme cinq fois la France. C'est donc un pays tout indiqué pour y faire rouler le TGV. Ce rêve pourrait-il un jour devenir réalité ?
D. P. - Le sujet est principalement politique et économique. Même si, à ce jour, un tel projet ne semble pas d'actualité, il reste - sur le long terme - une bonne option pour le rapprochement économique des grandes villes du Kazakhstan.
P. I. - Quid de la vente d'un tramway à la ville d'Astana ?
D. P. - La première phase du tramway d'Astana est déjà attribuée. Le projet prévoit une liaison entre l'aéroport et le centre-ville. Nous concentrons actuellement nos efforts sur le projet du tramway d'Almaty, la plus grande ville du pays, avec probablement un appel d'offres en 2018. Vous le voyez : les transports au Kazakhstan se modernisent rapidement, et Alstom joue un rôle important dans cette modernisation.
(1) Cet écartement est celui commun à tous les pays de l'ex-URSS. Il a été développé au XXe siècle pour relier l'ensemble des villes et zones minières de l'empire soviétique.