Politique Internationale - En tant que commissaire général de la France pour l'exposition internationale Astana 2017, vous avez séjourné quatre mois au Kazakshtan en position d'observateur privilégié. Quel premier bilan tirez-vous de cette expérience ?
Pascal Lorot - Beaucoup doutaient de la capacité du Kazakhstan à organiser une exposition internationale, la première jamais tenue en Asie centrale. Force est de constater que cette dernière a été un vrai succès.
Quelques chiffres tout d'abord. Plus de 115 pays ainsi qu'une vingtaine d'organisations internationales y ont participé. Plus de 3 millions de personnes l'ont visitée. Sans compter les innombrables missions et délégations de tous ordres qui, venant des quatre coins du monde, s'y sont succédé.
Au-delà, l'exposition a représenté une formidable opportunité pour faire le point sur les grands défis et enjeux énergétiques, mais aussi environnementaux de notre planète. Le thème retenu par les organisateurs, « l'énergie du futur », ouvre en effet sur une multitude de sujets complémentaires les uns des autres, comme les nouvelles technologies en matière d'énergie ou encore les questions liées au développement durable et à la gestion intelligente des ressources naturelles, par définition de plus en plus rares. Des centaines de conférences techniques et scientifiques rassemblant experts, universitaires et professionnels ont donné lieu à des débats de grande qualité.
Enfin, les plus hautes personnalités politiques se sont pressées à Astana, chaque pays étant représenté par son président (Russie, Inde, Chine, Iran, Allemagne, Turquie, Bulgarie, Pologne...), son souverain (Espagne, Thaïlande, Monaco...) ou son premier ministre. Bref, un véritable carrousel diplomatique au coeur de l'Asie centrale qui a permis au Kazakhstan de se faire connaître, de renforcer ses liens politiques mais aussi d'émerger aux yeux du grand public comme un acteur régional de premier plan.
P. I. - Et la France ?
P. L. - La France était présente en force à Astana. Nous avions l'un des plus grands pavillons et, surtout, nous y avons amené les fleurons de notre économie. Les plus grandes entreprises - Total, Saint-Gobain, Peugeot, Vicat, Veolia... -, ainsi que de plus petites à travers l'Ademe qui était, en quelque sorte, leur ambassadeur ; sans oublier le syndicat francilien Syctom dont l'expertise reconnue en matière de traitement des déchets a fait forte impression, ou encore l'organisation internationale Iter basée dans le sud-est de la France dont le projet consiste, rien de moins, à créer une énergie inépuisable.
Autant dire que notre pavillon était à la pointe de la technologie et de l'innovation. Cet effort a payé puisque, de l'avis général, il a été considéré comme l'un des plus riches et des plus intéressants. Reconnaissance suprême, il a accueilli plus d'un demi-million de visiteurs, soit l'une des fréquentations les plus élevées de toute l'exposition si l'on exclut, bien sûr, le pavillon du Kazakhstan.
P. I. - Allons un peu plus loin. Quel intérêt y a-t-il à être présent dans ce type de manifestation ?
P. L. - Pour apporter une réponse circonstanciée à votre question, il est utile de se replonger un peu dans l'Histoire. Les premières grandes expositions remontent au milieu du XIXe siècle quand l'Angleterre, rapidement suivie par la France, organisent toutes deux en alternance ce que l'on doit bien appeler de gigantesques shows populaires et patriotiques. Ces manifestations sont destinées à présenter à la population locale et au reste de la planète les grandes avancées scientifiques du moment, mais aussi la réalité culturelle et la diversité d'un monde que bien peu appréhendent encore. L'Europe est, en effet, à cette époque en pleine révolution industrielle et se lance dans l'aventure coloniale.
Puis, pour organiser les expositions, s'assurer de leur qualité et éviter l'anarchie à mesure que de nouveaux pays se portent candidats, une organisation intergouvernementale est créée en 1928 : le Bureau international des expositions (BIE) dont le siège est à Paris. Elle est chargée de poser les principes et les règles applicables aux futures expositions universelles et internationales.
Voilà pour le rappel historique qui me semblait nécessaire. Aujourd'hui, quelque 170 États sont membres du BIE et s'inscrivent dans l'esprit d'ouverture, de concorde et d'échange qui préside à ces événements.
Pour répondre maintenant plus précisément à votre question, l'intérêt premier d'une présence réside dans la possibilité pour l'exposant de mettre en avant, auprès d'un très large public (73 millions de visiteurs à l'exposition universelle de Shanghai en 2010 !), ses succès et son savoir-faire dans telle ou telle discipline en fonction de la thématique retenue. On se situe là dans une vraie logique de soft power et d'influence. Pour les plus petits États qui n'ont pas forcément la notoriété que peuvent avoir de plus grands, cela constitue aussi une formidable opportunité pour se faire connaître, pour exister au même niveau que les autres « grands pays », en un mot pour consolider de fait leur existence en tant que sujets de droit international.
P. I. - Et qu'est-ce qui pousse la France, en particulier, à y participer ?
P. L. - J'y vois plusieurs raisons. Tout d'abord, compte tenu de son importance historique dans l'émergence des expositions, mais aussi de la localisation à Paris du siège du BIE, on n'imagine pas la France ne pas en être partie prenante. Son absence serait vue comme une vraie faute politique.
Ensuite, il faut bien le reconnaître, compte tenu de la qualité et de la diversité des participants et des délégations gouvernementales qui s'y succèdent, participer à une exposition internationale, lieu neutre par excellence, offre de multiples occasions de rencontres et d'échanges. Non seulement sur les thématiques choisies, mais aussi sur des sujets liés à l'actualité internationale ou à des problématiques bilatérales.
Enfin - et c'est peut-être là, selon moi, l'argument central et le plus pertinent -, comment ne pas comprendre que ces expositions sont de véritables plateformes d'opportunités d'affaires ? Celle d'Astana s'inscrit pleinement dans cette dynamique.
Sur le plan économique, ne l'oublions pas, le Kazakhstan est un pays riche, abondamment doté en ressources minières et minérales, qui offre un fort potentiel de coopération. La France y occupe des positions plus qu'honorables. En termes d'échanges commerciaux, nous sommes le sixième client et le sixième fournisseur du Kazakhstan. Pour ce qui est des investissements directs, nous nous situons au troisième rang mondial, derrière la Chine et la Russie.
La plus grande partie de mes efforts a porté sur cette dimension-là, celle de l'économie et des échanges. Avec pour objectif de faire de la diplomatie économique appliquée, d'apporter un appui effectif à nos entreprises pour qu'elles rencontrent des partenaires ou qu'elles renforcent les liens qui les unissaient déjà à certaines de leurs parties prenantes. En un mot, j'ai voulu être un facilitateur au service de nos entreprises. Celles présentes sur notre pavillon, évidemment, mais aussi celles qui, venues sur une courte période, entendaient explorer le marché kazakhstanais et, plus globalement, celui de la région Asie centrale.
P. I. - Comment avez-vous procédé concrètement ?
P. L. - Nous avons mis à la disposition des entreprises et des institutions françaises présentes un vaste espace de réception et les avons accompagnées dans l'organisation de leurs événements, d'un point de vue logistique et surtout en les aidant à identifier les bons interlocuteurs gouvernementaux et économiques. Souvent, ces rencontres ne se sont pas limitées à un échange franco-kazakhstanais stricto sensu.
J'en veux pour preuve, par exemple, le séminaire organisé par le Conseil supérieur du notariat qui a rassemblé cent cinquante hauts responsables juridiques et autres professionnels du notariat de dix pays, de la Chine à la Russie, en passant par l'Azerbaïdjan, la Biélorussie ou encore la Mongolie. Cette réflexion a permis de mettre en évidence un certain nombre de domaines de coopération. Là, nous sommes dans une vraie logique d'influence au service des intérêts économiques de notre pays.
Au total, nous sommes le pavillon qui a organisé le plus grand nombre de symposiums, réunions techniques et séminaires professionnels sur le site de l'exposition Astana 2017.
P. I. - L'exposition d'Astana aurait coûté plusieurs milliards d'euros. N'est-ce pas trop ?
P. L. - Je ne sais pas. Ce qui est certain, en revanche, c'est que l'on est très en deçà des sommes dépensées pour l'exposition de Milan en 2015 ou pour celle qui se profile à Dubaï en 2020. La sagesse budgétaire était au rendez-vous.
Qui plus est, au-delà des éléments financiers, cette exposition a permis au Kazakhstan, qui est, ne l'oublions pas, un tout jeune État, de gagner en visibilité et en notoriété au niveau international. Qui connaissait véritablement ce pays avant Astana Expo 2017 ?
Elle l'a conduit également à se doter d'infrastructures de qualité qui vont perdurer et contribuer au développement économique du pays. Il n'est qu'à visiter Astana pour se rendre compte que l'on est bien loin des clichés propagés ici ou là et que cette capitale bâtie au coeur des steppes centre-asiatiques a tout d'un futur Dubaï. Enfin, tout a été pensé pour l'après-exposition. Les bâtiments sont d'ores et déjà programmés pour accueillir le Centre financier international d'Astana en cours de création, qui se veut le futur hub financier et la principale place boursière d'Asie centrale.
P. I. - Dans dix ans, que restera-t-il, selon vous, de cette exposition Astana 2017 ?
P. L. - On s'en souviendra sans doute comme de l'événement qui a véritablement marqué le début de l'insertion du Kazakhstan dans le concert international, qui en a changé la perception et a révélé au monde un pays émergent dynamique et volontaire.
Ensuite, rêvons un peu. Chaque exposition a laissé une trace architecturale qui incarne pour partie au moins la ville où elle s'est tenue. La tour Eiffel, symbole alors décrié de l'exposition universelle de 1889, en est la meilleure illustration. Gageons que la magnifique et gigantesque sphère du pavillon du Kazakhstan constituera, à l'horizon de quelques années, l'image de modernité d'un pays jusqu'alors méconnu.