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Le Kazakhstan et ses voisins d'Asie centrale

Comme ses voisins d'Asie centrale, le Kazakhstan fête en 2017 ses vingt-six ans d'indépendance. Pour l'heure, le pays semble plus préoccupé par le développement de ses acquis politiques, économiques et sociaux que par la perspective d'une intégration régionale qui relève plus du discours géopolitique exogène que d'une réelle volonté du président Nazarbaïev, au pouvoir depuis 1989.

De facto, le territoire kazakh traditionnellement voué au pastoralisme nomade, immense et peu peuplé (16 millions d'habitants en 1991, aujourd'hui près de 19 millions), s'est toujours distingué du reste de l'Asie centrale. À l'époque soviétique, il était même considéré comme une région économique à part entière. Les idéologues du régime ne voyaient, en effet, dans ce vaste espace steppique qu'un « réservoir économique » devant subir de nombreuses mutations afin d'atteindre le stade supérieur d'État sédentaire. En d'autres termes, ils l'abordaient plus sous l'angle de sa géographie que sous celui de son histoire.

Les premières générations d'élites politiques en Asie centrale ont commencé par cultiver cette disposition d'esprit. Elles étaient convaincues que la course au leadership économique dans la zone serait implicitement remportée par l'Ouzbékistan, ex-république soviétique héritière des Khanats ouzbeks historiques sur laquelle misait Moscou en matière de partenariat militaire, stratégique et géopolitique (20 millions d'habitants en 1991, aujourd'hui plus de 32 millions).

Plus récemment encore, le président Poutine, mécontent du soutien fort tiède de son voisin kazakh (qui abrite une forte population russe et une communauté ukrainienne) à propos de l'annexion de la Crimée (1), avait déclaré en août 2014 que celui-ci « avait accompli une chose extraordinaire ». Et d'expliquer : « Il a créé un État sur un territoire où il n'y en avait jamais eu. Il n'y avait pas d'État chez les Kazakhs avant lui ! » (2).

L'histoire en a décidé autrement, avec une victoire médiatique et économique sans conteste pour le « géant des steppes » et cela, depuis plus de deux décennies. Plus personne ne doute désormais de l'insertion du Kazakhstan dans la mondialisation ni de ses performances significatives, malgré une récession économique perceptible depuis la crise des subprimes de 2008. La chute du prix du pétrole et les sanctions internationales contre la Russie qui ont suivi la crise ukrainienne l'ont plus impacté que prévu, le conduisant à pratiquer plusieurs dévaluations de sa monnaie nationale.

Le Kazakhstan, retour sur les clés d'un succès au coeur de l'Eurasie

De fait, dès la fin de la première décennie d'indépendance, les politiques économiques choisies par le Kazakhstan et l'Ouzbékistan allaient radicalement diverger : ouverture au capital étranger (même sous contrôle), réformes libérales, convertibilité de la monnaie nationale après la sortie de la zone rouble pour le Kazakhstan ; maintien du poids de l'État, réformes dites graduelles, secteur privé réduit, monnaie nationale non convertible jusqu'en novembre 2001, climat des affaires peu favorable aux investisseurs étrangers pour l'Ouzbékistan. Aucune des trois autres républiques centrasiatiques - le Tadjikistan, le Kirghizstan et le Turkménistan -, par leur taille, leur poids démographique, leurs problèmes structurels n'était en mesure de rivaliser sur les plans politique et économique avec le Kazakhstan, ni même avec l'Ouzbékistan.

Face à cette donne régionale disparate, à laquelle on doit ajouter le facteur aggravant de l'islamisme politique qui a touché en premier lieu l'Ouzbékistan et le Tadjikistan dès 1991, et même durant la perestroïka, le Kazakhstan n'a pas caché son ambition de se hisser « parmi les 50 pays les plus compétitifs économiquement de la planète » avant 2030. Il a su développer une communication efficace sur sa volonté d'ouverture, ses immenses réserves énergétiques, ses ressources céréalières d'ex-grenier à blé de l'URSS, son capital humain hérité de l'éducation soviétique que le pouvoir a fait fructifier par un programme de bourses à l'étranger (bolashak), à partir de la transplantation de sa nouvelle capitale Astana au centre du pays dès 1997.

Pas un jour ne passe sans qu'Astana ne soit le théâtre d'événements d'envergure internationale dans l'un des multiples bâtiments de prestige construits par des architectes de renom. Astana est aussi le nom de l'équipe nationale de vélo qui contribue à accroître la notoriété du pays. Le Kazakhstan s'est également fait connaître par son rôle de président de l'OSCE en 2010, de médiateur dans les négociations avec le pouvoir syrien depuis 2016 (3), de membre temporaire du Conseil de sécurité de l'ONU depuis janvier 2017 et, tout récemment, d'organisateur de l'Expo internationale 2017 consacrée à l'« énergie du futur », qui a fermé ses portes à la mi-septembre après avoir attiré plus de 3,8 millions de visiteurs (5 millions étaient attendus).

Pris en tenaille entre la Fédération de Russie au nord (avec près de 7 000 km de frontières) et la Chine à l'est (avec 1 400 km), le Kazakhstan est placé dans une situation géopolitique « particulièrement encadrée ». Il a décidé de transformer son problème d'encerclement en solution de désenclavement, en optant délibérément pour un positionnement pragmatique de zone de transit de la dernière mondialisation en date, « pont territorial » entre l'Europe et l'Asie.

Il n'est donc pas étonnant que le gouvernement soit parvenu à dépasser la sinophobie ambiante partagée par les citoyens kazakhstanais autant que par leurs élites politiques pour répondre favorablement aux propositions de développement des voies de communication et de transport à partir de la Chine vers l'Europe et le Moyen-Orient. Baptisé « One Belt-One Road » (4), ce vaste projet a été présenté à l'automne 2013 par le président chinois Xi Jinping lors de sa visite à Astana et a été réitéré avec conviction en juin 2017, lorsqu'il est venu inaugurer le pavillon chinois à Astana-Expo et participer à un sommet de l'OCS. Le nombre croissant d'étudiants kazakhs en Chine est également révélateur de l'évolution positive de l'image du puissant voisin au sein d'une population urbaine kazakhe sensible aux arguments pragmatiques : des études moins chères qu'en Occident ; des perspectives d'emplois ; le poids considérable de l'économie chinoise aux portes du Kazakhstan.

S'agréger au concert des nations

Dès les premiers instants de son indépendance, le Kazakhstan a caressé le rêve d'être reconnu au sein du concert des nations comme un partenaire sérieux et ambitieux qui se distinguerait par sa souplesse et son adaptabilité. Il a rapidement compris comment se défaire des séquelles de l'économie socialiste tout en tirant profit de l'expérience managériale de la génération des jeunes dirigeants formés par le komsomol puis les universités occidentales. Avec l'aide des États-Unis, il s'est très tôt débarrassé d'un impressionnant arsenal militaire notamment nucléaire, apparaissant ainsi comme un partisan de la dénucléarisation et de la paix. Et il a achevé de forger son image de défenseur de la cause écologique en fermant le polygone d'essais nucléaires de Semipalatinsk (Semei) afin de satisfaire les nombreux militants anti-nucléaires qui avaient créé un parti écologiste durant la perestroïka (5) et qui faisaient découvrir au monde entier incrédule cet immense pays au coeur de l'Eurasie.

S'il a fait le choix de promouvoir une politique dite multi-vectorielle, c'est pour équilibrer le dialogue et les échanges avec tous ses partenaires européens, asiatiques, occidentaux et orientaux (il est devenu le 52e membre de l'Organisation de coopération islamique (OCI)), en particulier les grandes puissances - États-Unis, Union européenne, Russie, Chine - qui s'étaient positionnées sur la zone comme les acteurs d'un nouveau Grand Jeu.

Cependant, par-delà son souci de rejoindre les organisations internationales et régionales en plein essor dans les années 1990 et de nouer des partenariats stratégiques bilatéraux avec différents pays (la Russie, les États-Unis, la Chine, la France...), le Kazakhstan connaît parfaitement les données économiques, politiques et socio-culturelles de son voisinage au sud. Il en connaît les élites post-soviétiques, les modes de gouvernance, de pensée, d'action.

C'est la raison pour laquelle les nombreuses tentatives d'intégration régionale (6), le plus souvent initiées par le président Nazarbaïev, n'ont guère eu de succès face à l'apparition de deux types de structures : l'Organisation de coopération de Shanghaï (formée en 1996, reformée en 2003) qui, outre le Kazakhstan, réunit la Russie, la Chine, le Kirghizstan, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et, depuis juin 2017, l'Inde et le Pakistan ; et l'Union économique eurasiatique, qui rassemble aux côtés d'Astana la Russie, le Belarus, l'Arménie et le Kirghizstan qui l'a rejointe en 2016.

On perçoit là le poids stratégique des deux grandes puissances régionales - la Russie et la Chine - et leur implication dans la « co-construction » de la zone centrasiatique (7).

Comme on l'a dit, le 1er janvier 2010, le Kazakhstan avait remporté une victoire politique sur la scène internationale en prenant la direction de l'OSCE pour un an et en cherchant à réactiver le potentiel de cette organisation. Le 1er décembre suivant, un sommet extraordinaire réunissait à Astana 38 chefs d'État et de gouvernement après onze ans d'interruption.

Intégrer sans s'intégrer : une intégration régionale plus dans les mots que dans les faits

Au niveau strictement régional, vingt-six ans après la disparition de l'URSS, le Kazakhstan, comme ses voisins du Kirghizstan, de l'Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan, ne se reconnaît plus réellement comme partie prenante d'un espace unitaire que l'Occident appelle « Asie centrale ». Par-delà son discours sur la nécessité de promouvoir l'intégration régionale afin de préserver cette zone pivot entre l'Europe et l'Asie des influences extérieures, le président Nazarbaïev semble y avoir largement renoncé, malgré le réchauffement récent de ses relations avec le nouveau président de l'Ouzbékistan, « son partenaire stratégique dans la région », ainsi qu'il l'a qualifié lors de la visite officielle de ce dernier à Astana le 24 mars 2017 (8).

De par sa position récente de leader régional, le Kazakhstan serait plus enclin à « intégrer ses voisins », comme le Kirghizstan, qu'à s'agréger à une structure régionale commune (qu'il avait pourtant caressée de ses voeux) autre qu'un simple espace de collaboration sécuritaire pour se prémunir contre les influences négatives, réelles ou supposées, venues du « Sud » (9). Il semble clair qu'avec ses voisins régionaux le Kazakhstan préfère cultiver la relation bilatérale, plus efficace pour la gestion des dossiers litigieux.

Du point de vue économique, il cherche à se poser en modèle pour ses voisins. Il dispose d'une indéniable capacité d'attractivité en matière de création d'emplois, notamment dans la construction où sont employés un grand nombre d'ouvriers ouzbeks et kirghizes qui préfèrent opter pour une expatriation de proximité plutôt que tenter l'émigration saisonnière en Russie ou plus loin encore. À cet égard, l'entrée du Kirghizstan dans l'Union économique eurasiatique, ratifiée le 13 août 2015, a jeté un certain trouble au sein de la population kazakhe qui craint la concurrence d'une main-d'oeuvre moins chère sur son propre marché du travail.

En réalité, le Kazakhstan se montre désenchanté par rapport à l'UE et considère que cette structure, qui depuis des années peine à trouver une solution au problème épineux des migrants, ne saurait s'ériger en modèle. Il préfère se poser en partenaire de discussion, observant une certaine neutralité face à la dégradation des relations entre la Russie et l'Ouest (ou pendant la crise entre la Russie et la Turquie), ou en arbitre, offrant une plateforme de négociation pour tenter de régler la situation en Afghanistan ou en Syrie.

Le Sud vu comme facteur de déstabilisation

Depuis le déclenchement de la guerre civile au Tadjikistan (1992-1996) et les premiers attentats islamistes en Ouzbékistan, puis le ralliement du Mouvement islamique d'Ouzbékistan (MIO) à l'État islamique (Daech), le Kazakhstan s'est toujours montré aux yeux de ses partenaires étrangers soucieux de se démarquer de ce pôle d'instabilité.

L'arrivée d'un nouveau point de polarisation islamiste avec Daech au sud de la zone ne pouvait pas ne pas inquiéter le Kazakhstan. La mouvance islamiste peut, en effet, compter sur de puissants relais politiques et financiers : en Afghanistan depuis l'époque de Ben Laden ; et en Ouzbékistan, où les différents groupes interdits par le pouvoir ouzbek et repliés dans les zones tribales à l'est de l'Afghanistan sont toujours actifs. Leur influence irait même croissant, s'étendant jusqu'aux communautés ouzbèkes vivant au sud du Kazakhstan et aux militants kazakhs de l'Ouest pétrolier en cours de radicalisation depuis le milieu des années 2000.

En Afghanistan, la fin programmée de la mission militaire de l'ISAF n'était pas faite pour rassurer le Kazakhstan dont la marge de manoeuvre régionale s'est trouvée, dès lors, considérablement réduite. Ni lui ni ses voisins d'Asie centrale, en particulier le président Rakhmon du Tadjikistan, n'ont estimé le gouvernement afghan capable de gérer seul les menaces liées à l'extrémisme et au terrorisme. Ils ont fait savoir qu'ils ne seraient pas contre le maintien d'une présence militaire étrangère en Afghanistan, en premier lieu des États-Unis et de l'Otan, « dans un nouveau format » (10).

Enfin, le fait que plus de 500 Kazakhs aient rejoint les rangs de Daech depuis 2014 n'est pas anecdotique et préoccupe les autorités kazakhes au plus haut point. Le gouvernement a lancé une bataille médiatique contre les menaces de radicalisation islamiste au sein de la société et a ouvert un centre de déradicalisation en avril 2017. Les conférences, débats et tables rondes se multiplient afin de sensibiliser la jeunesse et d'informer les parents sur les risques encourus. La question porte sur la nature de la radicalisation qui épouse les contours des revendications sociales, notamment dans l'Ouest pétrolier, et idéologiques, dans le Sud peuplé d'Ouzbeks. Comme il n'y a quasiment pas de travailleurs migrants kazakhs sur les marchés de Russie, où les migrants d'Asie centrale sont majoritairement recrutés par Daech (11), on peut considérer que ceux qui partent du Kazakhstan le font par conviction et non simplement par nécessité économique.

Des relations bilatérales renouvelées depuis l'automne 2016

Curieusement, la disparition fin août 2016 du président ouzbek Islam Karimov a provoqué une réelle détente dans l'ensemble des relations bilatérales de toute l'Asie centrale, entre l'Ouzbékistan et le Kazakhstan mais aussi avec les autres pays voisins de la zone : le Tadjikistan pour réduire le contentieux hydrique et la question des barrages tadjiks (Rogun) ; le Kirghizstan (visite officielle du président ouzbek Shavkat Mirzioev les 5-6 septembre 2017) ; et le Turkménistan (première visite officielle le 8 mars 2017).

Alors que les spéculations allaient bon train sur une possible déstabilisation de l'Ouzbékistan après le décès de son leader, la situation géopolitique régionale a connu un nouveau souffle, dont chaque pays a bénéficié, en particulier le Kazakhstan qui se heurtait depuis la fin de l'URSS à l'affirmation du leadership régional d'Islam Karimov. Depuis l'arrivée au pouvoir de Shavkat Mirzioev, les échanges économiques entre l'Ouzbékistan et le Kazakhstan ont progressé de 30 % entre septembre et décembre 2016 (12), et la volonté de mettre fin aux différends frontaliers qui avaient culminé en 2003-2004 entre ces deux pays et le reste de la zone est manifeste.

Le 14 septembre 2016, le président Nazarbaïev s'est rendu en visite officielle au Tadjikistan afin de signer le premier accord de partenariat stratégique (13). Il faut savoir que le Tadjikistan est un partenaire fiable pour Nazarbaïev qui n'a aucun contentieux à déplorer avec Douchanbé dont il reçoit le soutien au niveau international (14). Mais, en rebattant les cartes, l'arrivée d'un nouveau président à la tête de l'Ouzbékistan voisin a ravivé les craintes liées aux menaces de déstabilisation, socio-politiques, inter-ethniques ou religieuses, en provenance du Tadjikistan. Des menaces qui planent sur la région depuis la fin de la perestroïka et le déclenchement de la guerre civile dans ce pays (1992-1996).

Le Turkménistan, dont les deux premiers présidents Saparmurad Niyazov (1985-2006) et Gurbanguly Berdymuhamedov ont toujours prôné un repli sur soi économique et stratégique (« neutralité perpétuelle en matière de relations internationales), n'a jamais menacé l'essor du Kazakhstan. Depuis 26 ans, outre quelques projets d'infrastructures récemment inaugurés, leurs relations ont oscillé entre faible intensité et tensions à propos de leur frontière maritime en mer Caspienne. De fait, la question qui préoccupe le Kazakhstan concerne l'évacuation de ses hydrocarbures vers les ports iraniens du golfe Persique. L'ouverture de la voie ferrée Kazakhstan-Turkménistan-Iran en décembre 2014 (uniquement dédiée au transport des marchandises), ainsi que la levée progressive des sanctions internationales contre l'Iran depuis juillet 2015 ont réactivé des relations plutôt minimalistes. Les principaux dossiers traités par les deux pays concernent le statut de la mer Caspienne, toujours en suspens, et le devenir de la mer d'Aral, dont ils partagent la gestion de crise avec l'Ouzbékistan. Il faut ajouter, toutefois, que la visite récente du président turkmène à Astana en avril 2017 a permis la signature d'un accord de partenariat stratégique entre les deux pays.

Le Kirghizstan reste le pays d'Asie centrale le plus proche du Kazakhstan avec lequel il possède une frontière de type soviétique : quasiment dans la banlieue de Bichkek, comme c'est le cas pour la frontière kazakhe dans la banlieue de Tachkent. Pour autant, les relations entre les deux pays sont loin d'avoir été optimales depuis l'indépendance et sont passées par plusieurs pics de tension, en particulier après l'entrée fulgurante du Kirghizstan dans l'OMC en 1998 (15), ce que le Kazakhstan ne réalisera qu'en 2015. Souvent qualifiées de « paternalistes » (les Kazakhs considérant volontiers les Kirghizes comme leurs « petits frères »), les relations bilatérales ont toutefois connu un certain réchauffement depuis la fermeture de la base américaine en 2014 (qui a entraîné un recul du PIB de près de 2,5 %), ce qui a conduit le Kirghizstan à renforcer ses relations économiques avec ses voisins, dont le Kazakhstan (16).

Pourtant, les Kazakhs et les Kirghizes sont très proches du point de vue linguistique, culturel et religieux. Bichkek est située à 250 km de l'ancienne capitale Almaty qui reste un pôle économique régional important. Un grand nombre de Kirghizes travaillent au Kazakhstan depuis des années. L'intégration du Kirghizstan à l'UEE a accéléré ce processus, modifiant considérablement les flux de marchandises entrant et sortant du Kirghizstan, au détriment de celui-ci, selon les enquêtes menées à Bichkek et autres grandes villes du pays. La partie kazakhe exerce encore des restrictions à la frontière avec le Kirghizstan pour des raisons de sécurité sanitaire et vétérinaire, ce qui en rend le passage difficile, malgré quelques améliorations récentes pour le transport des voitures et du textile. Un grand nombre de dossiers restent en suspens, concernant notamment les tarifs du transport ferroviaire et le code des douanes.

En guise de conclusion

Le Kazakhstan, on l'a compris, se positionne au coeur même de la mondialisation, développant avec patience son image de pont entre l'Europe et l'Asie, de zone de transit entre la Chine et l'Europe, de lieu de concorde inter-ethnique et inter-religieuse (ancrée visuellement par la pyramide de Norman Foster à Astana), de plateforme de négociations pour régler les conflits au Moyen-Orient et en Afghanistan.

Il conserve une attitude spécifique envers la Fédération de Russie. Il refuse, en effet, toute polémique, mais construit patiemment son programme d'affermissement de sa souveraineté nationale, comme en témoigne la décision récente du président Nazarbaïev d'opter pour la latinisation de l'alphabet kazakh en 2022 (idée qui a été immédiatement reprise par la présidence kirghize).

Pragmatique comme ses voisins, il n'accepte de pratiquer une politique d'intégration régionale que par pure nécessité stratégique, pour résoudre les problèmes liés au développement durable en ce qui concerne le paiement des ressources hydriques et énergétiques et pour gérer les crises futures. Il se plie également aux contraintes en matière de lutte anti-terroriste pour des raisons évidentes de gestion commune de la sécurité régionale.

En réalité, il subit plus ses voisins d'Asie centrale au nom du principe de réalité qu'il ne les accepte comme partenaires. Il partage avec eux un riche héritage historique et culturel. Mais aussi une série de problèmes qu'il faudra bien résoudre s'il veut réduire la fragilité de cette zone toute proche de l'« arc de crise » (17).

Le Kazakhstan n'a pas de temps à perdre avec les querelles régionales et les questions de logistique post-soviétiques (dépendance énergétique, hydrique, alimentaire entre pays de la zone). Il courtise les grands de ce monde et prend l'ultime revanche des Empires des steppes, cette fois non pas contre les États sédentaires de la globalisation, mais avec eux...

(1) Le 27 mars 2014, à l'occasion du vote de la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU sur la Crimée, n°58/262, confirmant l'intégrité territoriale de l'Ukraine, le Kazakhstan a choisi de rester neutre. Voir Sanat Kuchkumbaev : « Le Kazakhstan après 2014, un test pour la politique multi-vectorielle », Outre-Terre, « Chaosloand : du Moyen-Orient à l'Asie (du centre) ? », décembre 2016, pp. 137-142.

(2) En réponse, le président Nazarbaïev, piqué au vif, avait lancé dès octobre 2014 dans tout le pays la préparation des célébrations des 550 ans de la formation du khanat kazakh.

(3) Voir http://thediplomat.com/2017/07/5th-round-of-astana-syria-peace-talks-end-without-agreement/ et http://astanatimes.com/2017/07/book-on-kazakh-presidents-peacemaking-initiatives-presented-in-astana/

(4) « What is One Belt One Road ? A Surplus Recycling Mechanism Approach », Social Science Research Networks, 7 juillet 2017.

(5) Dirigé par un intellectuel très populaire dans les milieux urbains depuis les années 1960, Oljas Sulemeinov, le parti s'appelait « Nevada-Semipalatynsk ».

(6) En 1994, l'Ouzbékistan et le Kirghizstan créent l'Union centrasiatique. En 1998, celle-ci devient avec le Tadjikistan l'Union économique eurasiatique, avant d'être transformée en Forum économique centrasiatique en 2001, puis en Organisation de coopération centrasiatique en 2002. En 2000 est fondée la Communauté économique eurasiatique (EurAsEc) sous l'égide du Kazakhstan, sur la base de l'Union économique centrasiatique.

(7) Voir l'approche « inside-out », proposée par Iver B. Neuman, dans A Region-Building Approach to Northern Europe, 1994, p. 56 et Georgiy Voloshin, « Le nouveau Grand Jeu en Asie centrale : analyse des jeux de puissance et des stratégies géopolitiques sur l'exemple du Kazakhstan », mémoire soutenu en mai 2012 à l'ENA, publié en ligne, https://www.decitre.fr/livres/le-nouveau-grand-jeu-en-asie-centrale-9782336001272.html

(8) Cette visite officielle du nouveau président ouzbek Mirzioev a eu lieu après celle effectuée à Achkhabad le 8 mars.

(9) Voir plus loin sur ce sujet.

(10) Sanat Kuchkumbaev, art. cit., Outre-Terre.

(11) Voir Catherine Poujol, « La poursuite de la réislamisation en Asie centrale : entre un islam national modéré et le choix radical globalisé », à paraître, Cahiers des IFRE.

(12) Voir l'article de Catherine Putz, « Brothers Again : Uzbekistan and Kazakhstan », 24 mars 2017, The Diplomat.

(13) http://astanatimes.com/2015/09/kazakhstan-tajikistan-sign-agreement-on-strategic-partnership/

(14) Voir la conférence de presse de Noursoultan Nazarbaïev, où il déclare : « We are grateful to the Tajik side for the support of our candidacy for the UN Security Council non-permanent membership », ibid. Il salue également leur étroite coopération que démontre leur participation commune aux organisations telles que l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), le Traité de sécurité collective (CSTO) et la Conférence pour la coopération et les mesures de confiance en Asie (CICA).

(15) Toutes sortes de difficultés, voire de vexations, en ont résulté, suscitant un contentieux très sérieux que les présidents Akaïev et Nazarbaïev ont tenté de régler lorsqu'ils ont fini par se rencontrer le 25 décembre 2003.

(16) Voir Richard Weitz, « Kazakhstan-Kyrgyzstan Economic Relations make Progress », Eurasia Daily Monitor, volume 10, numéro 206, 15 novembre 2013, https://jamestown.org/program/kazakhstan-kyrgyzstan-economic-relations-make-progress/

(17) Catherine Poujol, « L'islam en Asie centrale, une visibilité accrue après un long confinement », Questions Internationales, « L'Asie centrale, Grand jeu ou périphérie », La documentation française, 2016, pp. 63-69.