Le CAFK, Conseil des affaires franco-kazakhstanais, que je co-préside depuis l'origine avec Aydan Karibjanov, a été créé en 2008 sur décision des présidents de la République des deux pays et installé par les ministres Anne-Marie Idrac et Bakhit Sultanov, alors co-présidents de la Commission mixte franco-kazakhstanaise.
Comme l'indique le site de l'ambassade de France à Astana : « Le Conseil des affaires franco-kazakhstanais a pour but de mettre en place une enceinte de dialogue économique regroupant les milieux d'affaires des deux parties ; de mettre en oeuvre les projets et les axes de coopération avalisés au plus haut niveau ; d'identifier de nouvelles pistes de partenariat et d'établir la liste des principaux axes d'amélioration de la relation économique bilatérale entre les deux pays. »
La partie française du Conseil est aussi l'outil de MEDEF International dédié au Kazakhstan.
Le CAFK est un poste d'observation et un instrument de travail très opérationnel. Je me suis entouré d'une petite task force pour mener à bien la coprésidence : cette dernière a pu, dans la durée, rencontrer individuellement, en France ou au Kazakhstan, plus d'une cinquantaine d'entreprises françaises intéressées par ce pays. Elle contribue régulièrement à la préparation de la Commission mixte, nos statuts prévoyant en effet que les coprésidents du CAFK adressent un rapport à son attention : il s'agit d'un document très concret qui énumère en une dizaine de pages les problèmes de « doing business » que rencontrent nos entreprises, assortis d'une quarantaine de recommandations.
En outre, la task force met à jour régulièrement, à la demande des ambassades, un relevé confidentiel, non diffusé, dit exercice des « 10 Test Cases », dans lequel les entreprises françaises elles-mêmes témoignent des difficultés auxquelles elles sont confrontées et proposent des solutions pour y remédier : elles sont aujourd'hui seize à contribuer à l'exercice.
L'activité du CAFK bénéficie d'un engagement fort de notre ambassade et de son homologue à Paris : le Conseil a pu recevoir au MEDEF, plus de deux fois par an, notre ambassadeur à Astana et tient en moyenne une petite dizaine de réunions par an, avec interventions d'officiels kazakhstanais ou d'instances multilatérales, telles que l'OCDE ou la BERD.
La politique d'attractivité du président Nazarbaïev
Le Kazakhstan est un acteur notoirement reconnu de la scène internationale : ce n'est pas un hasard s'il est devenu depuis janvier 2017 membre non permanent du Conseil de sécurité, qu'il présidera à partir de début 2018. L'exposition internationale d'Astana 2017, qui s'est tenue cet été sur le thème mobilisateur de l'énergie du futur, venant à point nommé après la COP21, symbolise cette ouverture au monde.
Le Kazakhstan mène vis-à-vis de Moscou une politique de bon voisinage qui ne s'est jamais démentie : il fait partie de la CEI, de l'OTSC (Organisation du traité de sécurité collective) et de l'Union économique euro-asiatique dont il est co-fondateur. Mais sa diplomatie est pluri-vectorielle : très engagé dans la lutte contre la prolifération nucléaire (il a lui-même renoncé à l'arsenal dont il avait hérité au moment de la dissolution de l'Union soviétique), membre de l'OCS (Organisation de coopération de Shanghai), de l'OCI (Organisation de coopération islamique), dont le dernier sommet a eu lieu à Astana les 10-11 septembre, le Kazakhstan a participé au Forum de coopération internationale « Une ceinture, Une route » réuni en Chine le 13 mai 2017. Il est également membre actif du Congrès des dirigeants des religions mondiales et traditionnelles, dont Astana accueillera le VIe sommet en octobre 2018 ; il entretient des relations privilégiées avec l'UE, mais aussi avec l'OPEP ; il a adhéré à l'OMC et se prépare à entrer à l'OCDE. Enfin, les institutions financières internationales - Banque mondiale, Fonds monétaire international (FMI), Banque européenne de reconstruction et développement (BERD), Banque asiatique de développement (BAD), Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) - y sont très présentes.
Le Kazakhstan joue un rôle de conciliateur très apprécié : processus d'Astana sur la Syrie ; intervention dans les crises ukraino-russe, turco-russe, du Haut-Karabagh, du Qatar... ; initiatives pour lancer une dynamique de coopération en Asie centrale.
Au-delà de la Russie, le Kazakhstan a diversifié ses partenariats stratégiques avec la France, le Royaume-Uni, les États-Unis... Si un pays a fait sienne la devise « no problem avec mes voisins » (même lointains), c'est bien le Kazakhstan.
Cette politique de paix et de bon voisinage (pris au sens large) sert la volonté farouche du président Nazarbaïev de protéger l'identité et l'unité de son pays. Elle lui permet aussi d'attirer les investissements étrangers qui sont au coeur de sa politique industrielle.
Une politique industrielle ambitieuse et volontariste...
Régulièrement, le président Nazarbaïev développe les grandes lignes de sa vision et de sa politique économiques. Ce fut encore le cas le 31 janvier dernier avec l'adresse présidentielle intitulée « La troisième modernisation du Kazakhstan : compétitivité globale ». Il y est fait référence à la « Stratégie 2050 », proposée en 2012 (qui vise à faire entrer le Kazakhstan dans le club des 30 premières économies mondiales), suivie en 2015 par le lancement de la politique économique intitulée « Nurly Zhol » (« la Voie brillante ») et, au sein du nouveau Plan national, les « 100 concrete steps to implement institutional reforms ».
Il s'agit :
- d'assurer la transition d'une économie planifiée vers une économie de marché ;
- d'accélérer la modernisation technologique du pays : lancement des programmes « Digital Kazakhstan » et « National Technology Initiative in Kazakhstan » ;
- de développer, en les modernisant, les industries traditionnelles avec un ensemble de mesures en faveur du rééquipement technologique des industries traditionnelles ;
- d'attirer davantage encore les investissements étrangers : création de l'agence Kazakh Invest, dont le board est présidé par le premier ministre ;
- d'accélérer le développement des secteurs d'importance stratégique que constituent les mines, la métallurgie et le secteur pétrolier ;
- de développer les infrastructures logistiques euro-asiatiques ;
- de moderniser le marché du travail ;
- d'améliorer l'environnement des affaires avec le double objectif de faire contribuer les PME à 50 % du PNB à l'horizon 2050 et d'adopter les meilleures pratiques et les standards des pays développés pour déréguler l'économie ;
- de ramener la part de l'État dans l'économie à 15 % - la moyenne au sein de l'OCDE - et, pour ce faire, de privatiser 800 entreprises d'ici à 2020 (dont 200 depuis Samruk-Kazyna - le fonds souverain du Kazakhstan) ;
- d'améliorer le secteur bancaire sous la conduite de la Banque nationale centrale ;
- de faire progresser l'éducation, notamment sur le plan linguistique, avec l'annonce d'une double réforme audacieuse visant à faire du Kazakhstan un pays trilingue (russe, kazakh, anglais) et à commencer en 2018 les préparatifs pour introduire l'écriture de la langue kazakhe en caractères latins ;
- d'intensifier la lutte contre la corruption en mettant en oeuvre les meilleures pratiques et recommandations de l'OCDE, notamment en renforçant la protection des droits de propriété.
... dont la mise en oeuvre est parfois compliquée
Reste maintenant à mettre en oeuvre ce programme ambitieux. Le pays a réussi à accueillir un volume considérable d'investissements étrangers - 243 milliards de dollars entre 2005 et 2016 -, concentrés essentiellement dans les matières premières et énergétiques, ce qui expose le Kazakhstan à la fameuse « maladie hollandaise ». La diversification dans les secteurs non extractifs est difficile : lorsque les cours des matières premières et énergétiques sont hauts, le besoin de réforme se fait moins ressentir ; lorsque les cours s'effondrent, les moyens publics font défaut pour accélérer la conversion.
L'Union économique euro-asiatique (UEE) n'a pas été conçue comme un instrument de rattrapage des économies les moins diversifiées : elle renforce les points forts, l'industrie russe en tête. Le président Nazarbaïev le reconnaissait explicitement dans une interview début avril à la chaîne MIR24 :
« Il est indispensable d'harmoniser l'Union économique eurasiatique (UEE), de mettre tous ses pays membres au même niveau. Aujourd'hui, un pays a dépassé tous les autres en termes de développement, un autre est en position intermédiaire, un troisième est loin derrière. Ils devraient croître à la même vitesse et négocier sur un pied d'égalité. Il se trouve que l'État le plus pauvre objectivement espère que les autres vont l'aider. Ce n'est pas possible, bien entendu, dans une économie de marché où rien ne se donne gratuitement. Bien sûr, nous devrons l'aider, mais cela ne peut suffire sans une croissance économique, une intensification des échanges commerciaux, une ouverture du marché et une perméabilité des frontières. »
La dépendance de l'économie kazkhstanaise vis-à-vis de l'économie russe reste très forte, même si l'UE, premier partenaire commercial du Kazakhstan, a concouru en 2016 à hauteur de 50 % aux échanges extérieurs kazakhs : il reste que la récession russe des dernières années et la chute du rouble ont impacté frontalement la croissance kazakhstanaise.
De plus, toutes les réticences des investisseurs étrangers n'ont pas été levées, et cela pour plusieurs raisons.
- Les permis de travail sont encore difficiles à obtenir : certes, le nouveau dispositif introduit depuis début 2017, grâce notamment aux interventions des milieux d'affaires et des chancelleries diplomatiques, constitue un réel progrès. Mais le système de quotas, de permis de travail et de certificat de qualification conforme demeure complexe : sa mise en oeuvre gagnerait à privilégier l'approche au cas par cas, tenant compte de l'intérêt même du pays à recevoir le plus rapidement possible les transferts de connaissance requis pour favoriser l'accueil des investissements étrangers et le développement de l'expertise locale. De ce point de vue, la mise en place d'un mécanisme de recours « Fast Track » est essentielle, au cas où un permis de travail serait refusé au nom de l'intérêt général, alors que l'entreprise étrangère se sentirait capable de plaider l'inverse.
- On déplore un manque de constance et de cohérence dans l'exécution des protocoles d'entente (MoU). Certaines commandes publiques régulières, annoncées et ayant justifié des investissements lourds, notamment dans des filières stratégiques de haute technologie et de souveraineté, ne se matérialisent pas. L'introduction maintes fois promise des contrats pluriannuels ne s'est pas concrétisée, en dépit du cadre législatif qui les autorise jusqu'à 5 ans, au détriment des joint-ventures stratégiques ; pour autant, les autorités locales conviennent qu'un partenaire étranger heureux de sa joint-venture actuelle est le meilleur ambassadeur des futurs IDE au Kazakhstan.
- Les meilleures pratiques internationales du procurement peinent à s'imposer : règle de la best value for money, plutôt que du simplement moins cher ; contrat d'externalisation de longue durée et d'actualisation prédéterminée ; provision contractuelle de la couverture des aléas (pièces de rechange, maintenance...) ;
- les contraintes environnementales et les taxations assorties ne sont pas conformes aux standards internationaux, la rentrée fiscale étant parfois privilégiée par rapport au respect du business model ;
- la propriété intellectuelle n'est pas suffisamment protégée : juridictions trop laxistes face au commerce parallèle (non-respect des droits des marques) ;
- des barrières non tarifaires subsistent et empêchent l'accès à certains marchés, en particulier dans l'agro-alimentaire ;
- enfin, la perspective d'un rétablissement du contrôle des changes a été récemment évoquée.
Cependant, la bonne volonté existe, au nom d'une politique résolue d'accueil des opérateurs et des investisseurs étrangers. Plusieurs mesures vont dans le bon sens. Ainsi, les ressortissants de l'Union européenne sont désormais exemptés de visas pour les séjours de moins de 30 jours. Et une série d'organes de concertation a été mise en place : le Conseil des investissements étrangers, créé en 1998 et présidé par le président Nazarbaïev, réunit 35 grandes entreprises ou organisations internationales représentées au plus haut niveau, avec la mission de lever les entraves aux investissements et d'améliorer le climat des affaires ; le premier ministre préside chaque mois depuis 2010 un Conseil national de l'amélioration du climat des investissements et il présidera désormais le board de Kazakh Invest ; un ombudsman a été institué...
Partenaire stratégique du pays depuis 2008, mais partenaire engagé depuis l'indépendance, la France contribue à 3 % du commerce courant du pays et elle est le 3e investisseur étranger (avec 10 % du stock et d'IDE). Elle tient une position appréciable, bien supérieure à son niveau habituel en Asie centrale prise au sens large (Mongolie et Afghanistan inclus) ou dans le Caucase du Sud.
Ces performances sont le fruit de l'obstination légitime de nos industriels. Ils ont, avec l'appui des pouvoirs publics français, accès à une administration à l'écoute et en dernier ressort au chef de l'État lui-même : ce dernier n'hésite pas à arbitrer, s'il y a lieu, en faveur d'une politique d'accueil des investissements étrangers. Des investissements pourvoyeurs de technologies, d'emplois et de diversification, que le Kazakhstan souhaite attirer dans les industries stratégiques telles que la défense, l'aéronautique, l'espace et l'énergie, certes, mais aussi dans les autres secteurs économiques.