Les Grands de ce monde s'expriment dans

Les défis de la gestion responsable

Politique Internationale — L’urgence climatique s’est imposée comme un sujet de référence. Que ce soient les politiques qui s’en emparent dans leur programme électoral, les entreprises dans leur stratégie opérationnelle ou les institutions dans leur vision à long terme, tout le monde est mobilisé. Qu’en est-il pour Amundi, qui est au contact quotidien des investisseurs ? Comment accompagnez-vous cette population qui veut intégrer les problématiques environnementales à la gestion de ses affaires ?

Jean-Jacques Barbéris — Nous accompagnons les investisseurs institutionnels tout le long de leur chaîne de valeur. Cela implique une large gamme de services, avec l’objectif systématique de proposer des prestations sur mesure. Le conseil en investissement entre au premier chef dans cet éventail de services : il s’agit d’aider nos clients à définir et à dessiner un cadre de gestion responsable. Nous apportons à nos interlocuteurs non seulement notre expertise mais aussi la longue expérience qui est la nôtre en matière d’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans la gestion d’actifs. Ces repères sont devenus incontournables, mais les intégrer dans le cadre d’une stratégie globale réclame une haute valeur ajoutée. Nous sommes spécialistes de ces questions ESG. En plus de cette dimension conseil, Amundi offre aux investisseurs institutionnels des solutions en accord avec leur cadre de gestion et leur profil de rendement/risque. 

P. I. — Vous êtes au plus proche de vos clients investisseurs, mais dans quelle mesure parvenez-vous à vous extraire de la seule logique financière ? La gestion responsable est aussi un domaine très transversal…

J.-J. B. — Cela mérite d’être précisé : nos actions vont largement au-delà des solutions sur mesure, avec l’engagement très fort d’intégrer systématiquement les critères ESG à l’ensemble de nos portefeuilles d’ici à 2021. Par ailleurs, Amundi est en mesure de fournir aux banques centrales, aux fonds de pension, aux assureurs et aux fonds souverains les différents services — reporting, formation, veille réglementaire — susceptibles de leur faire mieux comprendre la transition énergétique. Celle-ci est un sujet complexe, de par la variété des acteurs et des problématiques, qui exige un suivi très précis.

P. I. — Plus les dossiers sont complexes, plus ils exigent d’être fouillés… 

J.-J. B. — Voilà pourquoi nous mobilisons des ressources importantes en activités de recherche pour mieux cerner et comprendre l’impact de ces thématiques de la gestion responsable sur le secteur financier. Ces travaux, avec des équipes spécialement dédiées, nous ont permis de faire la preuve sur les marchés actions en Europe, et dans une moindre mesure aux États-Unis, que la prise en compte de critères environnementaux et sociétaux génère de la performance financière. Et ce même résultat se retrouve sur les marchés obligataires investment grade (1) en euros mais pas encore en dollars. Il y a quelques années, ce constat était loin d’être admis. Et ce n’est pas fini : plus cela ira, plus la recherche s’affinera. 

P. I. — Qui dit recherche dit innovation : les produits financiers labellisés développement durable sont souvent complexes. On a l’impression aussi qu’ils ne suscitent pas spontanément un engouement chez les investisseurs, dont les fonds souverains. Pourquoi ? 

J.-J. B. — Il est exact que les investisseurs en général et les fonds souverains en particulier ne sont pas pleinement satisfaits de l’offre de produits « green ». À cela plusieurs raisons. Il y a d’abord un problème de rendement : les produits financiers verts sont souvent l’apanage d’émetteurs publics ou parapublics sophistiqués situés dans des pays développés. Ces émissions investment grade lancées dans un environnement de taux très bas ne permettent pas aux investisseurs d’atteindre leurs objectifs de rendement. Les green bonds (obligations vertes) en sont un exemple parfait : la plupart de ces émissions sont des émissions investment grade, provenant de gouvernements, de banques multilatérales de développement ou d’institutions financières. À titre indicatif, la France fait partie des plus gros émetteurs d’obligations vertes.

P. I. — Face à ces rendements insuffisants, est-ce à dire que les produits green n’apportent pas de véritable valeur ajoutée par rapport aux produits financiers habituels ? 

J.-J. B. — On bute sur un problème d’additionnalité. Non seulement les émetteurs sophistiqués ont déjà accès au marché, mais ils ont souvent déjà largement défini leurs plans d’investissements. Dans ces conditions, ils se posent une question bien précise : quel est exactement l’impact additionnel de l’investissement dans une obligation verte par apport à un investissement dans une obligation standard. La réalité oblige à répondre que cet impact est encore minime, à l’exception d’une augmentation du capital directement allouée à des projets verts. Enfin, nous rencontrons un problème d’adéquation entre l’offre et la demande. La perception chez les investisseurs est souvent que l’offre de produits verts est insuffisante. Il y a donc un vrai défi de rencontre de l’offre et de la demande pour ce type de produits.

P. I. — Pour résumer, la gestion responsable se heurte à un triple problème : problème de rendement, problème d’additionnalité et problème d’adéquation offre-demande. Comment un acteur comme Amundi parvient-il à surmonter ces obstacles ? 

J.-J. B. — Depuis près de cinq ans, Amundi a noué des partenariats avec des investisseurs de renom afin de co-créer des solutions d’investissement capables de repousser les frontières de la finance verte. En 2014, des indices low carbon ont été mis en place, avec l’entreprise de services financiers MSCI, le fonds de pension suédois AP4 et le Fonds de réserve pour les retraites (FFR). La philosophie de ces indices — une première à l’époque dans le monde financier — est bien établie : il s’agit de prendre en compte le risque climatique en éliminant les entreprises les plus polluantes des grands indices mondiaux. Quelques années ont passé depuis cette initiative : le risque climatique, qui était alors appréhendé pour la première fois à l’échelle des marchés financiers, est aujourd’hui entré dans les mœurs des investisseurs. En 2018, en association avec la Société financière internationale (IFC), nous avons contribué à la création du plus important fonds de green bonds dans les pays émergents. Cette offre a pu être relayée grâce à des programmes de training auprès des émetteurs. 

P. I. — Quelles sont les dernières initiatives que vous avez lancées ? 

J.-J. B. — L’année dernière, nous avons bâti le Green Credit Continuum avec la Banque européenne d’investissement (BEI). Un outil qui permet de développer la dette verte (titrisation, high yield et dette privée) au-delà de l’investment grade et en favorisant le financement de projets des petites et moyennes entreprises. Cette année, nous élaborons avec l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) un cadre d’analyse du risque climatique. Ce cadre est à destination des émetteurs et permettra d’évaluer les risques liés à la transition écologique. Il s’agit aussi d’identifier les entreprises ayant amorcé leur transition et dont une part significative des investissements et du chiffre d’affaires est liée à des projets verts. Notre objectif est de permettre à ces entreprises d’avancer sereinement dans le cadre de leur transition.

P. I. — Les efforts d’Amundi au service d’une gestion responsable sont notables. En même temps, vous ne dissimulez pas une certaine frilosité de la part des investisseurs. Au fond, la finance verte n’est-elle pas un moyen d’améliorer la réputation d’un secteur qui pâtit parfois d’une image négative ? 

J.-J. B. — L’investissement responsable est l’un de nos piliers fondateurs : notre rôle est d’allouer l’épargne mondiale dans l’économie réelle et nous devons à nos clients de prendre en compte tous les risques et d’évaluer toutes les opportunités d’investissement. Les sujets environnementaux, sociétaux et de gouvernance font partie de cette analyse risque/rendement. En revanche, nous avons montré que les épargnants finaux, les particuliers, sont plus enclins à investir dans des solutions en actions lorsqu’il s’agit d’une solution responsable. Il s’agit là d’une question cruciale puisqu’on sait que, sur le long terme, l’investissement en actions est moins risqué et plus rentable (2) que les obligations considérées comme moins volatiles.

P. I. — Vous recrutez régulièrement, en particulier des jeunes diplômés. Sont-ils sensibles à cette notion de gestion responsable ?

J.-J. B. — Très sensibles. Les sujets environnementaux et sociétaux sont très importants pour la jeune génération. Cela devient même un critère de recrutement pour les talents dont Amundi a besoin pour grandir. Mais nous nous assurons aussi que les personnes qui nous rejoignent sont en phase avec les valeurs d’Amundi de solidarité, d’esprit d’équipe, d’entrepreneuriat et de courage. 

P. I. — Enfin, dans quelle mesure la prise en compte du risque climatique vient-elle bouleverser, ou pas, votre organisation et vos métiers traditionnels ? Les activités et les organigrammes en sont-ils profondément changés ?

J.-J. B. — Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un bouleversement, mais il ne faut pas non plus minorer la portée du changement en cours. Depuis sa création, Amundi a un département de recherche et d’analyse ESG qui offre ses services aux gérants de portefeuilles. Ce département s’est étoffé, il compte aujourd’hui vingt analystes, et l’ensemble des collaborateurs — gérants et autres — sont formés aux questions environnementales, sociales et de gouvernance. Notre objectif 2021 d’une gestion 100 % ESG a permis de diffuser ce savoir dans toute la maison. Il s’agit dorénavant d’une nouvelle dimension de notre métier. C’est cela qui est inédit : quand les économistes ont formalisé il y a plusieurs décennies les théories sur lesquelles le monde de la gestion vit encore, les enjeux environnementaux n’étaient simplement pas pris en compte. Aujourd’hui, ils rentrent progressivement dans le cœur de nos métiers. Il faut cependant rester modestes : nous essayons de les intégrer au mieux, à notre échelle et de manière pragmatique, sans prétendre nous substituer au rôle des pouvoirs publics. (

1) Correspondant aux obligations de meilleure qualité.

(2) John Y. Campbell et Luis Viceira, « The Term Structure of the Risk-Return Tradeoff », NBER Working Paper no 11119, février 2005.