Pascal Drouhaud - Monsieur le premier ministre, quelle est votre analyse de la crise qui frappe votre pays depuis septembre 2002 ?
Alassane Ouattara - Plusieurs interprétations sont possibles. Néanmoins, il me semble que cette crise résulte avant tout de l'accumulation d'une série de frustrations, de graves incidents, de discriminations répétées, mais aussi de l'ethnocentrisme qui imprègne l'administration, la police, la justice et l'armée. Je distingue, pour ma part, trois faits essentiels. La tentative de coup d'État du 19 septembre 2002 - puisque, apparemment, il s'agissait bien aussi de cela - a échoué. Cette tentative a ensuite été utilisée par certains pour se débarrasser, ou tenter de le faire, des principaux opposants, à savoir le général Gueï, le président Henri Konan Bédié et moi-même (1). Enfin, une véritable rébellion a éclaté au sein d'un groupe de 500 soldats expérimentés, regroupés essentiellement à Bouaké. Après avoir servi le général Gueï, ils devaient être licenciés quelques semaines avant le début du soulèvement militaire. Comme vous le voyez, nous sommes en présence d'une série d'événements. Quel a été le facteur prédominant ? Je ne le sais pas. Mais une chose est sûre : la crise a été mal gérée. À son retour de Rome, où il était en visite officielle, le président Gbagbo a déclaré la guerre. Ce n'était pas la meilleure voie pour tenter de trouver une issue rapide à la crise.
P. D. - Le scénario de l'instrumentalisation d'une crise qui aurait ses racines ailleurs vous semble donc raisonnable...
A. O. - Tout à fait.
P. D. - Qui, selon vous, a assassiné le général Gueï et toute sa famille, aux premières heures du soulèvement, et pourquoi ? Une double question qui se pose aussi pour l'ancien ministre de l'Intérieur, Émile Boga Doudou (2) ?
A. O. - Compte tenu des indices dont nous disposons sur ceux qui ont essayé d'attenter à notre vie, nous pensons qu'il s'agit d'une seule et même équipe. Nous sommes en présence d'un groupe de gendarmes, proches du pouvoir. Le même char a été vu devant le domicile du général Gueï et chez moi (3). Apparemment, le général a été arrêté par ces hommes, transporté, puis assassiné. En ce qui concerne le ministre de l'Intérieur, Émile Boga Doudou, les choses paraissent plus floues. Mais les résultats de l'autopsie pratiquée sur son corps indiqueraient que les balles utilisées seraient du même calibre que celles qui ont tué le général Gueï. Doit-on en déduire qu'il s'agit d'éléments de l'armée ivoirienne ? Je ne saurais répondre catégoriquement à cette question.
P. D. - Le Liberia et le Burkina Faso, deux pays voisins du vôtre, ne sont-ils pas parties prenantes dans cette affaire ? Comment analysez-vous leur rôle respectif dans la crise que traverse votre pays ?
A. O. - Je ne peux pas certifier qu'ils soient formellement impliqués, ni a fortiori définir les objectifs qu'ils pourraient poursuivre. En ce qui concerne le Liberia, certains de ses ressortissants ont combattu en Côte d'Ivoire tant dans les rangs des rebelles du …
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