Les Grands de ce monde s'expriment dans

LE PATRIARCHE DE MALAISIE

Amir Taheri - Avant le déclenchement des hostilités en Irak, vous aviez tenu des propos très alarmistes : cette guerre allait, selon vous, ouvrir une boîte de Pandore d'où surgiraient toutes sortes de catastrophes. Finalement, les choses se sont-elles passées mieux que vous ne le pensiez ? Moins bien ? Ou exactement comme vous l'aviez prévu ?
Mahathir Mohamad - Cela a été pire, bien pire que je ne l'imaginais. Cette guerre a été menée en violation du droit international et contre l'opinion publique mondiale. Elle a plongé un grand nombre d'institutions internationales - au premier rang desquelles les Nations unies - dans le désarroi. L'un des résultats de cette guerre, c'est que les États les plus faibles, qui sont les plus nombreux, ne peuvent plus compter sur la protection de l'ONU. Quant aux régimes forts, ils en ont tiré la conclusion qu'ils pouvaient agir à leur guise. Personnellement, cette évolution m'inquiète dans la mesure où les pays musulmans, qui peuvent tous être considérés comme faibles et vulnérables, sont désormais à la merci des nations les plus puissantes.
A. T. - Les Irakiens semblent pourtant satisfaits de s'être débarrassés de Saddam Hussein. Même Jacques Chirac, qui avait pris la tête du camp anti-guerre, s'est déclaré heureux du départ du dictateur irakien. N'êtes-vous pas heureux vous aussi ?
M. M. - Les Irakiens éprouvent sans doute du soulagement. Ils se réjouissent d'avoir été libérés de l'oppression. Mais je voudrais souligner deux points. Le premier, c'est que la fin ne justifie pas les moyens. Sans doute le renversement du régime de Saddam était-il un objectif parfaitement estimable. Mais la méthode utilisée, l'invasion illégale de l'Irak, ne l'était pas. Le second point, c'est que le peuple irakien ne va pas tarder à comprendre qu'il ne peut pas choisir librement ses dirigeants. Il devra accepter un gouvernement qui soit acceptable aux yeux des États-Unis. Ce sont les Américains, pas les Irakiens, qui ont renversé Saddam. Ce sont donc les Américains, pas les Irakiens, qui commandent. Il serait extrêmement naïf de croire que les Américains, après avoir pris les risques qu'ils ont pris pour gagner cette guerre, vont purement et simplement remettre les clés du pays aux Irakiens et plier bagage. Les États-Unis sont en Irak pour longtemps et ont, à l'évidence, l'intention de faire de ce pays leur principale base dans le monde arabe. Leur but est de remodeler le Moyen-Orient en fonction de leurs intérêts stratégiques. Si le peuple irakien s'était lui-même libéré de la dictature, la situation serait tout autre.
A. T. - Les Irakiens essayaient de se débarrasser de leur tyran depuis des années. Mais chaque fois qu'ils se sont soulevés, ils ont été écrasés - y compris au moyen d'armes chimiques. Et les pays musulmans n'ont pas levé le petit doigt...
M. M. - Les choses ne sont pas aussi simples qu'elles en ont l'air. Qui a aidé le Baas à prendre le pouvoir à Bagdad ? Qui a soutenu Saddam Hussein pendant des années ? Et qui a maintenu …