Les Grands de ce monde s'expriment dans

LE TRIOMPHE DU LIBÉRALISME

Henri Lepage - Politique Internationale est née en 1978. Nous fêtons cette année son vingt-cinquième anniversaire. En 1980 paraissait votre livre Free to Choose, écrit avec Rose Friedman, votre épouse (1). C'était la pleine époque du renouveau des idées libérales. En Grande-Bretagne, Mme Thatcher venait d'arriver au pouvoir. En Amérique, on ne parlait pas encore de " révolution reaganienne ", mais celle-ci se préparait dans l'ombre de quelques grandes universités. Quel regard portez-vous sur le quart de siècle qui s'est écoulé depuis ?
Milton Friedman - Il faut se replacer dans une perspective historique plus large. Depuis 1945 et l'immédiat après-guerre, le marxisme et la vulgate socialiste dominaient le monde. Ceux qui, dans les années 1940 ou 1950, ne partageaient pas ces idées n'étaient pas nombreux. Ils n'étaient qu'une petite minorité. C'était la période du " socialisme galopant ", voire triomphant - sinon dans la production intellectuelle, du moins dans la pratique politique. Comme vous le disiez, cette époque a pris fin, au début des années 1980, avec l'élection de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan. Le contraste entre l'avant- et l'après-1980 apparaît clairement dans les statistiques américaines. En 1950, les dépenses publiques (hors budget militaire, mais dépenses des collectivités territoriales comprises) représentaient environ 12 % du revenu national. En 1980, ce chiffre était passé à 31 %. Il s'agit d'un bond énorme dans un laps de temps aussi bref. C'est à cette époque qu'ont été mises en place les grandes agences fédérales de réglementation (EPA, FDA (2)). Rappelons-nous aussi le fâcheux épisode du contrôle des prix instauré par Nixon à la fin de la guerre du Vietnam. Du point de vue de l'État et de son influence dans la société, cette période fut particulièrement néfaste. Mais, sur le plan théorique, le bilan n'est pas entièrement négatif car c'est à ce moment-là que de plus en plus de gens ont pris conscience des effets pervers d'une telle situation. Les idées que vous et moi professons ont pris forme et ont commencé à se répandre.
H. L. - Aujourd'hui, quelle est la part des dépenses publiques dans le revenu national ?
M. F. - En 1999, elles se situaient à 30 % aux États-Unis. La part de l'État n'a pratiquement pas bougé. Les dépenses publiques font preuve d'une énorme inertie. Toute dépense nouvelle suscite la formation de réseaux d'intérêts dont la seule motivation est de conserver le pactole qui leur est versé. Il est donc très difficile de les réduire. Mais qu'elles soient restées stables pendant deux décennies est, en soi, un vrai changement qui traduit une réelle évolution des attitudes vis-à-vis de l'État.
H. L. - Entre-temps un événement considérable s'est produit : le mur de Berlin est tombé...
M. F. - La chute du mur de Berlin a mis fin à une expérience grandeur nature qui se déroulait depuis près d'un demi-siècle. D'un côté, on avait l'Union soviétique avec son système marxiste d'économie centralement planifiée. De l'autre, les pays occiden- taux avec des économies plus ou moins mixtes, mais …