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Entretien avec Hassan Rohani, Secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale de la République islamique d'Iran depuis le par Patrick WAJSMAN

n° 103 - Printemps 2004

Hassan Rohani

Politique Internationale - Certains observateurs estiment qu'un climat " pré-révolutionnaire " règne en Iran. Qu'en pensez-vous ?
Hassan Rohani - Ce sont des affirmations gratuites. N'oubliez pas que la République islamique a été établie sur la base du vote populaire et que tous les responsables actuellement au pouvoir y sont parvenus - directement ou indirectement - par la voie des urnes ! À mon sens, ces assertions relèvent uniquement de l'imaginaire de ceux qui les colportent. Elles ne reflètent en rien la réalité.
P. I. - Selon vous, que recouvre la division entre réformateurs et conservateurs en Iran ? La trouvez-vous appropriée ?
H. R. - Là encore, ce que j'entends à l'étranger ne correspond absolument pas à ce que l'on constate sur place. Par exemple, certains dirigeants considérés en Occident comme des " réformateurs " ont pu, par le passé, apparaître comme des radicaux. Certains d'entre eux ont même participé, en 1979, à l'occupation de l'ambassade des États-Unis (1) ! En fait, sur le plan social et politique, ces " réformateurs " comptaient alors parmi les durs du nouveau pouvoir. Et vice versa pour ce qui concerne de nombreux " conservateurs " d'aujourd'hui : à l'époque, on les qualifiait de " libéraux ". Au début de la Révolution, les " conservateurs " actuels étaient favorables à l'économie libérale, tandis que ceux qui sont perçus à présent comme des " réformateurs " étaient, eux, partisans d'une économie étatisée ! Vous le voyez : il est impossible de réduire la classe politique iranienne à deux factions rivales. Le camp qualifié de " réformateur " ne comporte pas moins de dix-huit groupes différents ! Sur certains sujets, il y a une convergence de vues, sur d'autres non. Le même constat vaut pour le camp " conservateur ", au sein duquel coexistent plusieurs courants. Je tiens également à attirer votre attention sur une évolution importante : ces dernières années, un courant centriste (2) a émergé dans le pays. Des coalitions politiques sont même en train de s'assembler autour de cette sensibilité. Bref, il ne faut pas schématiser ! Personnellement, je considère que la formation des partis est un problème crucial. Ce processus n'est pas encore mûr et ne ressemble pas - vous vous en doutez - à ce qui se fait en Occident ; mais l'Iran est sur la bonne voie.
P. I. - Ces derniers mois, le président Khatami a évoqué, à plusieurs reprises, l'éventualité de sa démission ; dans le même temps, les législatives du 20 février ont permis au camp conservateur de marquer des points. Peut-on dire que les réformateurs ont échoué dans leur projet d'établir une " démocratie islamique " ?
H. R. - Je ne reviens pas sur votre distinction entre " réformateurs " et " conservateurs ". Ce qui est clair, en tout cas, c'est que les rumeurs concernant la démission de M. Khatami ne sont que des affabulations. Quant au concept de " démocratie islamique ", il n'est nullement l'apanage d'une seule partie de la classe politique ; au contraire, il répond au désir de la quasi-totalité des dirigeants du pays. Dois-je rappeler que les principes démocratiques ont été inscrits dans la Constitution iranienne dès le premier jour et que, lors de son avènement, il y a vingt-cinq ans, la Révolution islamique a immédiatement affirmé l'importance du processus électoral ? Je veux être très clair sur ce point : les élections législatives, la présidentielle et les différents scrutins - comme l'élection de l'Assemblée des experts pour la nomination du Guide ou l'élection des Conseils municipaux islamiques - sont le socle même de notre Constitution. Le doute n'est donc pas permis : l'Iran est une démocratie islamique.
P. I. - L'un des fondements de la République islamique, le " Velayat-e faqih " - la primauté du religieux sur le politique -, est aujourd'hui remis en question par une partie de la société iranienne. Il est également contesté au sein de la communauté chiite d'Irak. L'abandon de ce principe est-il envisageable ?
H. R. - Ma réponse sera très simple : le statut islamique de la République d'Iran est inscrit dans notre Constitution. Or, à l'heure actuelle, la majorité du peuple iranien n'est pas favorable à une modification majeure de cette Constitution. Il est vrai que les " réformateurs ", pour reprendre votre expression, ont évoqué certains changements constitutionnels. Il est vrai, aussi, que le président Khatami a personnellement abordé ce sujet à plusieurs reprises (3). On en est là. Pour ce qui est du Velayat-e faqih, il faut savoir qu'il est contrôlé par le Conseil des experts, un organe très puissant dont les membres sont élus au suffrage universel. Même les décisions du Guide suprême (4) sont placées sous la surveillance de ce Conseil ! J'en fais moi-même partie. Et je vous le dis franchement : je ne vois pas quel danger pourrait bien présenter un système qui comporte un Conseil - élu par le peuple, j'insiste sur ce point - chargé de contrôler et de surveiller l'activité des plus hautes instances religieuses. Dès lors, pourquoi devrions-nous revenir sur le Velayat-e faqih ?
P. I. - Il n'en reste pas moins que les manifestations des étudiants (5) ont démontré qu'il existait, chez les jeunes, une puissante demande d'ouverture. Est-il possible de concilier ce désir de changement avec l'héritage de la Révolution de 1979 ?
H. R. - Certaines des revendications de la jeunesse iranienne sont légitimes. En réalité, ces exigences n'ont rien d'idéologique. Les jeunes aspirent à une certaine ouverture, à davantage de liberté dans leur vie sociale. Ils ne remettent pas le système en cause pour autant ! Simplement, ils réclament plus de latitude pour choisir leur tenue ; ils veulent être plus libres dans leurs comportements au sein de la société et se voir accorder des facilités pour leurs réunions ; ils aimeraient jouir d'une certaine autonomie pour leurs loisirs, prendre des distances avec les traditions anciennes... Rien de plus. Vous auriez tort d'y voir un désaveu profond de la République islamique !
P. I. …