Les Grands de ce monde s'expriment dans

Pour un Iran démocratique

Entretien avec Réza Pahlavi, Fils aîné de Mohammad Réza Shah, héritier du trône d'Iran par Patrick WAJSMAN

n° 103 - Printemps 2004

Réza Pahlavi

Politique Internationale - Les choses bougent en Iran. Certains observateurs parlent d'une grave crise de régime, d'autres évoquent une situation " pré-révolutionnaire ". Comment analysez-vous ce qui se passe aujourd'hui dans votre pays ?
Réza Pahlavi - Après vingt-cinq ans d'existence, la République islamique affronte, à l'heure actuelle, un problème crucial : la remise en cause de sa légitimité, sur le plan tant politique que religieux. Il ne s'agit nullement d'un nouvel épisode de cette vaste farce qu'est la prétendue opposition entre les " réformateurs " et les " conservateurs ". Il ne s'agit pas, non plus, d'un simple affrontement parlementaire comme en connaissent les démocraties. Croyez-moi : nous assistons aujourd'hui au rejet total d'un système par un peuple qui en a assez d'être tenu à l'écart du monde moderne, du progrès, de la liberté. Les Iraniens ont compris que le seul obstacle qui les sépare du futur dont ils rêvent, c'est le régime. Au cours de ces dernières années, le niveau de vie s'est dégradé ; la corruption n'a cessé de croître ; dans tous les domaines, l'Iran a pris du retard ; et la seule réponse des autorités au mécontentement populaire a été une répression féroce ! Dès lors, il n'y a pas lieu de s'étonner que le pouvoir, prompt à tromper l'opinion, cherche à faire diversion en inventant une prétendue lutte au sommet. Il ne faut surtout pas se laisser abuser par ce grossier stratagème.
P. I. - Plus de 2 000 candidats ont tout de même été empêchés de prendre part aux élections législatives du 20 février. N'était-ce pas là le signe d'une authentique crise politique ?
R. P. - Le fond du problème n'est pas que des candidats aient été écartés. Imaginons qu'ils aient été autorisés à concourir. Au bout du compte, une fois élus, eussent-ils été en position de décider de quoi que ce soit ? Je le répète depuis des années : le cœur du problème, c'est la légitimité de la République islamique. La théocratie iranienne arbore la seule Constitution au monde où la souveraineté de la nation est pratiquement niée ! Le régime, qui prétend tenir sa légitimité d'une source divine, fonctionne sur la base du " Velayat-e faqih " (1). Dans les faits, ce principe signifie qu'une seule personne, le " guide suprême ", tranche entre ce qui est conforme à la loi et ce qui ne l'est pas. Le guide a un droit de veto sur n'importe quelle autre législation. Conséquence : si vous êtes un parlementaire en Iran, vous ne votez pas les lois ; vous vous contentez de les proposer à une institution (2) qui se trouve au-dessus de la mêlée. Et cette institution n'a pas de comptes à rendre au peuple puisqu'elle n'est pas élue ! C'est la vraie raison de l'impasse actuelle. Dans une démocratie, les citoyens ont le droit d'élire le candidat de leur choix dans le cadre d'un véritable processus électoral. Rien de tel en Iran. Pourtant, les dirigeants s'entêtent à répéter que ce système est démocratique ! Et puis, la notion même de " démocratie islamique " n'est-elle pas une contradiction dans les termes ? En réalité, je le répète, l'opposition entre conservateurs et réformateurs n'est qu'une manœuvre dont la finalité consiste à faire croire à M. Solana ou à M. de Villepin que si les réformateurs étaient au pouvoir, tout serait différent et qu'il faut donc se contenter de laisser le système perdurer puisqu'il contient en son sein des " forces de progrès " ! Souvenez-vous du temps de l'URSS. Que nous disait-on à l'époque ? Qu'au sein de la direction soviétique il y avait des " colombes " et des " faucons ". Qu'un leader comme M. Andropov était sûrement une " colombe " puisqu'il aimait le jazz et appréciait le whisky ! Pour ce qui est des élections, le Kremlin a eu beau en organiser, la nature totalitaire du régime en a-t-elle été affectée ? Sous Saddam Hussein, aussi, il y avait des élections ! Le même constat vaut pour l'Iran : aussi longtemps que les élections ne sont pas libres et démocratiques, elles ne servent qu'à conforter le régime. Une dernière preuve de l'hypocrisie des prétendus réformateurs : comment se fait-il que Mohammad Khatami ne démissionne pas alors qu'il n'a pas pu mener son projet à bien ?
P. I. - Pourtant, à un moment donné, les espoirs des Iraniens se sont bel et bien cristallisés sur lui...
R. P. - Je ne nie pas l'importance du vote en sa faveur en 1997. En donnant leurs voix aux " réformateurs ", les Iraniens croyaient pouvoir changer le cours des choses. Ils étaient certains que ces dirigeants allaient parvenir à modifier la Constitution, à imposer le changement. Or il est apparu très vite que c'était impossible. Quand la première émeute des étudiants s'est produite, en 1999, Mohammad Khatami, élu depuis déjà deux ans, n'a rien pu - ou voulu - faire pour empêcher une répression féroce de s'abattre sur les protestataires. Ordre a même été donné aux troupes d'élite d'attaquer le campus. Des étudiants ont même été jetés par les fenêtres de leurs dortoirs. Que s'est-il passé alors ? Le président " réformateur " a-t-il protesté ? Au contraire ! M. Khatami a remercié les forces de l'ordre d'avoir garanti la stabilité et protégé le régime. Et que voit-on aujourd'hui ? Une fois de plus, le " candidat du peuple " s'incline devant les injonctions des radicaux. Finalement, il n'y a pas lieu de s'en étonner. Pensez-vous que M. Khatami aurait pu se présenter s'il n'avait pas manifesté une allégeance totale au système, au guide, à la Constitution ? Est-il possible que quelqu'un comme lui, qui a promis de servir la République islamique, puisse la transformer ? L'électeur de base, désormais, n'est plus dupe. Il a enfin compris qu'avoir à la présidence M. Khatami ou un autre dirigeant revenait strictement au même. Cela dit, je veux bien reconnaître qu'il existe deux camps en Iran. Mais cet affrontement, c'est celui du …