Entretien avec Ilham Aliev, Président de la République d'Azerbaïdjan le 15 octobre 2003 par Alain Chevalérias, Journaliste
Alain Chevalérias - Monsieur le Président, en arrivant à Bakou, le voyageur occidental ressent une étrange impression. Nous ne sommes qu'à 200 kilomètres de la frontière iranienne et, pourtant, l'atmosphère qui règne ici n'a rien d'islamique (1). Comment expliquez-vous cette bizarrerie ?
Ilham Aliev - Il est toujours difficile de comparer. Nous sommes en train de construire, pratiquement de toutes pièces, un Azerbaïdjan indépendant à partir de nos propres valeurs. Le pays est en plein développement. C'est sans doute ce qui explique votre perception.
A. C. - Vous auriez été confronté, dans le passé, à l'infiltration de réseaux islamistes. Confirmez-vous cette information ?
I. A. - Non. L'Azerbaïdjan est un pays laïque. Bien sûr, la religion musulmane y est profondément enracinée et nous la respectons. Elle participe de notre identité collective. Mais, dans le même temps, nous sommes opposés à toute discrimination, que ce soit sur une base religieuse ou ethnique (2).
A. C. - Comment votre pays est-il parvenu à échapper à un danger auquel nombre de vos voisins ont succombé ?
I. A. - Je ne tiens pas à m'ingérer dans les affaires des autres. Si tous les chefs d'État se comportaient de la même manière que nous, le monde serait, j'en suis sûr, beaucoup plus pacifique ! Ce qui m'intéresse, c'est de créer un environnement économique stable afin de favoriser la croissance et d'offrir une bonne protection sociale à la population. Je suis convaincu qu'il ne saurait y avoir de société civilisée sans prospérité. Voilà pourquoi l'économie est, pour nous, une priorité.
A. C. - Si je vous comprends bien, tout va pour le mieux en Azerbaïdjan. N'avez-vous donc aucun problème ?
I. A. - J'aime mon pays. Il est normal que je n'en perçoive que les aspects positifs. Mais trêve de plaisanterie : il est évident que nous avons des problèmes qui sont, pour la plupart, liés à l'héritage soviétique. Il est difficile de passer d'un système socialiste à l'économie de marché. Les réformes se heurtent à des résistances d'ordre économique, mais aussi au poids des mentalités.
A. C. - Quelles sont les plus grandes difficultés auxquelles vous avez été confronté ?
I. A. - Le plus grave problème est l'occupation par l'Arménie d'une partie du territoire azerbaïdjanais. Cette histoire a commencé quand nos deux pays faisaient encore partie de l'Union soviétique, en 1988. Aujourd'hui, 20 % de notre sol sont occupés : le Nagorny-Karabakh, ainsi que sept régions limitrophes. Il en est résulté d'importants mouvements de population. Il est temps que le droit international soit respecté et l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan restaurée. C'est notre plus grand souci, et il ne sera pas résolu tant que les forces armées arméniennes ne se replieront pas derrière leurs frontières. En comparaison, les autres difficultés nous paraissent bien mineures.
A. C. - N'avez-vous pas tendance à exagérer la gravité de la situation ?
I. A. - Ce n'est pas du tout ce que je crois. Nous enregistrons actuellement le taux de réfugiés le plus élevé du monde : un million sur huit millions d'habitants, soit 12,5 % de la population. Le gouvernement doit s'occuper de ces gens, leur assurer un minimum vital, leur fournir des soins, de la nourriture. Tout cela coûte cher et, malheureusement, l'Azerbaïdjan ne reçoit pas autant d'aide internationale que certains de ses voisins. Mais cette épreuve n'a pas que des côtés négatifs : en nous forçant à ne compter que sur nous-mêmes, elle nous a rendus plus forts. Il nous reste encore beaucoup à faire, mais il est vrai que nous partions de très bas. Au début des années 1990, la fin de l'Union soviétique a provoqué l'effondrement complet de l'économie et tari nos sources de revenus. Dix ans plus tard, nous avons renoué avec une croissance à deux chiffres (3) et, contrairement à nos voisins du Sud-Caucase, nous sommes totalement indépendants sur le plan économique.
A. C. - Le PIB par habitant n'est pourtant pas des plus faramineux...
I. A. - Comparez avec l'Arménie : vous verrez une énorme différence ! Nous affichons un taux de croissance de 90 % sur les sept dernières années avec un taux d'inflation très faible. Le budget de l'État est en forte progression. Il est aujourd'hui trois fois plus élevé que celui de l'Arménie. Certes, cela ne suffit pas à faire fonctionner une société normale et à assurer à tous un travail bien rémunéré. C'est pourquoi nous avons mis en place un programme qui, en cinq ans, permettra de créer 600 000 emplois, ce qui n'est pas rien pour un pays de 8 millions d'habitants. Ces efforts commencent à porter leurs fruits : six mois après les élections, nous avons déjà plusieurs milliers d'emplois nouveaux à notre actif. Croyez-moi, l'Azerbaïdjan va devenir un pays prospère.
A. C. - Dans quels secteurs ces emplois sont-ils créés ?
I. A. - Je ne vous surprendrai pas en vous disant que le secteur pétrolier représente, en Azerbaïdjan, le premier gisement d'emplois. Notre production n'est pas encore très élevée, mais nous sommes à la veille d'un nouveau boom (4). Cela dit, le pétrole n'est pas une fin en soi. Les revenus que nous tirons de l'exploitation des hydrocarbures nous servent surtout à financer la diversification de l'économie. Un fonds spécial a été mis en place à cet effet. Grâce à cet argent, nous nous efforçons de bâtir un environnement attrayant pour les investisseurs privés dans toutes les branches d'activité. Nous avons déjà privatisé la terre et nous cherchons désormais à augmenter les rendements agricoles. Nous voulons augmenter la production, non seulement pour couvrir nos besoins mais aussi pour exporter afin de ne pas dépendre exclusivement des hydrocarbures. Dans nos provinces, nous avons réalisé un plan de développement régional afin que la capitale ne soit pas la seule à bénéficier de l'embellie économique. En termes d'investissements étrangers par habitant, nous nous situons dans le peloton de tête des anciens pays de l'ex-Union soviétique et de l'Europe de l'Est. Pour vous donner une idée, à ce jour, 17 milliards de dollars ont été investis …
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