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Entretien avec Chen Shui-Bian, Président de la République de Chine depuis 2000. Réélu le 20 mars 2004 par Marie Holzman, Sinologue et journaliste

n° 104 - Été 2004

Chen Shui-Bian

Marie Holzman - Monsieur le Président, votre élection en l'an 2000 a mis fin à plus de cinquante ans de règne du Kuomintang (KMT). Au moment où les électeurs viennent de vous renouveler leur confiance pour un second mandat, considérez-vous cette alternance politique comme l'un de vos plus grands succès ?
Chen Shui-bian - Il y a quatre ans, 23 millions de Taiwanais ont accompli avec conviction et courage un grand pas dans l'histoire de la République de Chine. Cette passation de pouvoirs pacifique constituait une première dans le monde chinois. Après de longues années de régime autoritaire, des élections démocratiques ont été organisées, et l'île a pu proclamer avec fierté, dans le monde entier, que sa population s'était pleinement mobilisée. Taiwan est alors vraiment entré dans le club des nations libres et démocratiques ! Et c'est grâce au soutien de l'ensemble de mes concitoyens que nous y sommes parvenus. Le 20 mai 2000, lorsque j'ai prêté serment pour prendre mes fonctions, ce n'est ni de la satisfaction ni de la joie que j'ai ressenties, mais plutôt le poids d'une lourde charge et d'une grande responsabilité. Car la société insulaire tout entière doit faire face aux nouveaux défis du XXIe siècle, aux changements qui s'annoncent, sur le double plan économique et politique. Mon gouvernement a entrepris de mener à bien cette mission capitale et de conduire le " navire " qu'est Taiwan vers des horizons meilleurs. Depuis quatre ans déjà, l'équipe au pouvoir a accompli des progrès remarquables. Même durant la transition (1), Taiwan a continué à garder le cap.
M. H. - Quel bilan tirez-vous de votre premier mandat ?
C. S. - L'île est de plus en plus prospère. Qu'il s'agisse de la Bourse, du marché des changes, de l'immobilier ou d'autres secteurs d'activité, tous les indices sont à la hausse. Ces bons résultats n'ont bien évidemment pas été acquis en un seul jour. Depuis quatre ans, c'est l'ensemble de la population de Taiwan qui participe à l'essor économique et soutient le processus de réformes. Malgré les obstacles auxquels elles se heurtent, celles-ci doivent être poursuivies. Rien ne doit entraver notre volonté de rénovation.
M. H. - Quel était le sens du référendum organisé le 20 mars dernier ?
C. S. - Ce référendum a marqué une étape importante dans l'évolution démocratique de Taiwan. Il a permis de corriger les imperfections de la représentation politique, de surmonter les divisions et de renforcer le consensus national. Il s'agit d'une avancée vers le but ultime que représente une démocratie achevée. Mes objectifs sont clairs : je souhaite consolider le développement du pays, assurer la cohésion sociale, préserver la stabilité dans le détroit de Taiwan et maintenir la croissance économique.
M. H. - Peu après votre accession au pouvoir, vous avez donné votre feu vert à la poursuite des travaux de construction d'une quatrième centrale nucléaire à Taiwan. Au regard de la situation actuelle (tensions sur le prix du pétrole, besoins énergétiques de l'industrie taiwanaise, etc.), quelles sont les solutions les mieux adaptées à votre pays ?
C. S. - Comme vous le savez, ces travaux ont soulevé une vive polémique. C'est pourquoi nous avons choisi de nous en remettre à la décision d'une commission d'évaluation puis à celle des Grands Juges (2). Ceux-ci ont rendu un avis (interprétation no 520) qui tient compte des conséquences de la construction de cette centrale sur les plans social, économique, environnemental et politique. In fine, le Yuan exécutif et le Yuan législatif se sont mis d'accord, le 13 février 2001, sur le principe d'une " île sans nucléaire ". Il était, en effet, essentiel de trouver un équilibre qui soit compatible avec le développement durable. Et c'est pourquoi le gouvernement s'est lancé dans un programme d'abandon progressif de l'énergie nucléaire.
M. H. - Comment allez-vous compenser cette baisse de production électrique ?
C. S. - À l'heure actuelle, les industries les plus gourmandes en énergie absorbent plus de 30 % des ressources alors que leur production - qui ne cesse de diminuer - ne représente plus que 5 % de la valeur du PIB. Il y a donc, en matière de redéploiement industriel, d'économies d'énergie et d'exploitation des ressources, des progrès à réaliser. Nous voulons encourager l'essor des industries qui produisent de la valeur ajoutée tout en faisant des économies d'énergie. Nous allons, par ailleurs, sensibiliser la population à la nécessité de réduire sa consommation énergétique. Partout seront privilégiées les techniques non polluantes, ainsi que les industries faiblement consommatrices d'énergie. L'objectif est de rationaliser notre consommation d'électricité en la maintenant au même niveau et d'augmenter notre capacité de production de 28 % d'ici à 2020. Les énergies alternatives, propres et renouvelables - énergie solaire, éolienne, hydraulique (avec de petites centrales) et géothermique - seront valorisées afin de limiter les dommages à l'environnement. Dans le passé, on a construit des centrales thermiques et nucléaires mal adaptées et négligé les solutions de rechange. Grâce à la loi sur le développement des énergies renouvelables, différentes mesures seront mises en place pour inciter les industriels à investir dans ce secteur, ce qui aura pour effet de réduire la dépendance énergétique vis-à-vis de l'extérieur. Nous espérons que Taiwan pourra se situer, d'ici peu, à un niveau d'autonomie comparable à celui de pays industrialisés comme la France, le Japon ou l'Allemagne. Le programme en cours permettra à l'île d'atteindre une capacité de production annuelle de 6,5 millions de kW.
M. H. - Les troubles qui ont entouré votre réélection ont fourni à Pékin l'occasion d'affirmer, une nouvelle fois, que la démocratie n'était pas adaptée à un pays de culture chinoise. Que répondez-vous à cet argument ?
C. S. - Les partisans de mon adversaire ont, en effet, contesté les résultats de l'élection. Ce désaccord a été porté devant la justice. C'est à elle qu'il appartiendra de trancher. Il s'agit, en fait, d'un simple incident de procédure électorale auquel la plupart des Taiwanais ont fait face de manière rationnelle. Le précédent américain doit, en tout cas, nous rassurer. Al Gore a …