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Géorgie : l'Homme du renouveau

Entretien avec Mikheïl Saakachvili, Président de la Géorgie de 2004 à 2013, par Galia ACKERMAN

n° 104 - Été 2004

Mikheïl Saakachvili

Galia Ackerman - Monsieur le Président, en remportant triomphalement l'élection de janvier dernier, vous avez reçu en héritage une situation préoccupante. Dans les années 1970, la Géorgie était riche et prospère ; aujourd'hui, elle est économiquement ruinée et tout le pays semble dévasté. Au cours des dix années qu'aura duré le " règne " d'Édouard Chevardnadze, votre prédécesseur, le pays a été littéralement gangrené par la corruption. Et à présent que vous combattez vigoureusement ce mal, les gens ordinaires éprouvent encore plus de difficultés qu'avant à joindre les deux bouts ! Que comptez-vous faire pour sortir votre pays de la crise ? Quelles sont les réformes que vous envisagez ? Et comment allez-vous attirer des investisseurs étrangers ?
Mikhaïl Saakachvili - Vous avez raison de rappeler que, jusqu'à l'époque de la perestroïka, la Géorgie avait une classe moyenne prospère. Par surcroît, notre niveau d'éducation était tout simplement le plus élevé d'Union soviétique et l'un des premiers d'Europe de l'Est. Or, à l'heure actuelle, le PIB par habitant de notre pays est le plus bas de toute l'ex-URSS. L'année dernière, nous devancions encore le Tadjikistan mais, en 2004, ce pays nous a cédé sa dernière place ! Bien entendu, cette pauvreté provoque la désintégration du tissu social. Alors qu'à l'époque soviétique nous avions un taux d'alphabétisation de 100 %, c'est loin d'être le cas aujourd'hui. 40 % des enfants qui vivent dans les campagnes géorgiennes ne vont plus à l'école et restent analphabètes. Comme vous le savez, nous avons énormément souffert des guerres au Caucase du Nord, en Tchétchénie, et sur notre propre sol, en Abkhazie et en Ossétie du Sud. À ce jour, une partie de nos communications avec la Russie restent coupées ; nous ne contrôlons plus l'Abkhazie et une partie de l'Ossétie du Sud ; et, comme si cela ne suffisait pas, nous avons, tout récemment, été confrontés à une crise en Adjarie. Une crise qui a, heureusement, connu un dénouement pacifique. Mais tout n'est pas aussi sombre : je me réjouis de voir que nos entrepreneurs se montrent très actifs. Grâce à leurs efforts, le pays redémarre. L'année dernière, la croissance économique a atteint 8,5 %, malgré la corruption ambiante et les entraves bureaucratiques. Je ne cesse de rappeler à mes interlocuteurs que la Géorgie jouit de divers atouts. Permettez-moi de les énumérer rapidement. Mon pays possède deux grands ports sur la mer Noire. Le potentiel touristique est indéniable. La construction de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan avance rapidement, et nous avons commencé de construire un nouveau gazoduc, sur le tracé Bakou-Tbilissi-Erzeroum (1). Nous avons des gisements pétroliers et, l'année prochaine, 80 % de nos besoins en la matière seront couverts grâce à notre propre pétrole. Nous disposons également de quelques autres ressources, mais je considère que la principale d'entre elles, c'est notre attractivité sur le marché des délocalisations : nous avons des ingénieurs, des informaticiens, des ouvriers, des agriculteurs très qualifiés... et nous pratiquons des salaires extrêmement bas. Il y a dix ans, ces mêmes qualités ont attiré le capital occidental en Europe de l'Est ; il y a deux à trois ans, les investisseurs ont découvert les pays balkaniques comme la Roumanie et la Bulgarie ; je suis persuadé que, dans les prochaines années, ils arriveront chez nous.
G. A. - Peut-être. Encore faudra-t-il leur garantir des conditions d'investissement correctes !
M. S. - En effet. Pour ce faire, il nous faudra nettoyer le pays de la corruption et y assurer la sécurité. Depuis la révolution des roses qui a renversé Édouard Chevardnadze, nous nous y employons. La criminalité a déjà baissé - je pense, en particulier, au racket, qui était une pratique usuelle en Géorgie jusqu'à notre arrivée aux affaires. La corruption a également reculé, tout simplement parce que ces crimes sont désormais sévèrement réprimés : l'élite gouvernante corrompue est allée directement en prison. Mais la répression ne suffit pas : il faut changer le système de gouvernance. C'est pourquoi nous avons entrepris de réduire de façon drastique le nombre de fonctionnaires, tout en réformant en profondeur le service public. Bientôt, les fonctionnaires seront moins nombreux mais plus efficaces, et ils toucheront des salaires sept à dix fois plus élevés qu'à l'heure actuelle. Nous souhaitons offrir à ces serviteurs de l'État des conditions de vie telles qu'ils n'auront plus à détourner l'argent public. Nous nous sommes également attelés à la réforme de la police et des forces de sécurité, avec l'aide du gouvernement américain. Enfin, nous sommes en train de simplifier notre système fiscal : le nombre d'impôts et de taxes sera réduit de vingt-six à six ou sept au maximum. Nous allons également diminuer les taux d'imposition et rendre tout le système plus transparent et plus prévisible. Tels sont les trois axes urgents de l'action gouvernementale : lutte contre la corruption ; sécurité ; réforme fiscale. Nous espérons que ces mesures, ajoutées à l'attractivité de nos ressources humaines, nous permettront d'attirer des investisseurs étrangers. G. A. - Avez-vous déjà, dans ce but, noué des contacts avec des entreprises occidentales ?
M. S. - Bien entendu ! Sans même parler de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan et du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzeroum, des projets d'installation d'usines de textile - comme cela s'est produit il y a quelques années en Roumanie - sont actuellement à l'étude. Notre pays est également engagé dans le domaine des hautes technologies. La société Boeing, par exemple, a l'intention d'utiliser, pour sa propre production, l'usine d'aviation de Tbilissi (celle-ci a, en son temps, servi à fabriquer les avions soviétiques SU-25, puis, récemment, les avions israéliens Scorpion (2)). Cette usine jouera le rôle de base régionale pour Boeing : elle permettra à cette entreprise de desservir le marché du Caucase, l'Asie centrale et le Proche-Orient. Le gouvernement américain s'est porté garant de ce projet, par le biais d'un système d'assurances ad hoc. De plus, nous allons rapidement développer notre réseau routier et, en particulier, construire quelques autoroutes. Enfin, j'espère que l'amélioration de nos relations avec la Russie nous permettra de reconquérir le marché alimentaire russe et d'y exporter notre …