Entretien avec Hu Ping, Acteur du " Printemps de Pékin " de 1979, Hu Ping est élu représentant du peuple durant une expéri par Marie Holzman, Sinologue et journaliste
Marie Holzman - Monsieur Hu Ping, vous êtes le rédacteur en chef de la revue dissidente Beijing Spring. Vous êtes également l'un des acteurs les plus engagés dans la lutte pour la démocratisation de la Chine. Cette double particularité vous a amené à suivre avec passion le déroulement de l'élection présidentielle à Taiwan au printemps 2004. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur ce que ce scrutin a révélé de la situation dans l'île et sur les deux rives, de part et d'autre du détroit de Formose ?
Hu Ping - Cette élection a, une fois de plus, donné lieu à des discussions enflammées dans les milieux chinois, en Chine, à Taiwan et au sein de la diaspora. Nous avons débattu de la nature même de la consultation. S'était-elle déroulée selon un processus juste et équitable ? La fameuse tentative d'assassinat dont le président sortant Chen Shui-bian et sa vice-présidente Annette Lu ont été victimes était-elle une mise en scène ? S'agissait-il d'un complot ? Qui pouvait bien en être l'instigateur ? Avait-on voulu affecter massivement l'armée à la protection rapprochée du président afin d'empêcher les troupes de se rendre aux urnes ? Je pense qu'une bonne partie de ces questions resteront sans réponse, au moins pendant quelque temps. Nous avons également constaté qu'une véritable fêlure sociale était en train de se creuser entre ce qu'il est convenu d'appeler le " clan bleu " (essentiellement composé du parti nationaliste Kuomintang (KMT)) et le " clan vert " (rassemblé autour du Parti démocratique progressiste et du président sortant). Cette fêlure est sur le point de devenir un drame qui touche l'ensemble des citoyens et pas seulement les politiciens. Nous nous sommes, enfin, penchés sur les conséquences des tensions entre les deux rives du détroit de Formose sur le plan international. En fait, ces trois aspects du débat sont si fortement imbriqués les uns dans les autres qu'il est difficile de les démêler ! Mais il me semble important de redéfinir clairement les données du problème avant de nous lancer dans de quelconques conjectures.
M. H. - Alors, allons-y ! Commençons par le début : Taiwan est-il un pays souverain ou fait-il partie intégrante de la Chine ?
H. P. - Une majorité écrasante de Taiwanais considèrent leur pays comme un pays souverain. Ils disent : " Nous avons notre terre, notre peuple, notre gouvernement, notre armée, notre monnaie, notre drapeau. Nous avons des douanes. Nous délivrons des visas. Nous pouvons échanger notre monnaie à l'étranger et notre administration gouvernementale est parfaitement structurée. " Le vrai problème de Taiwan vient du fait qu'il a été exclu des instances de l'ONU et que, du coup, ses relations avec le reste du monde sont extrêmement difficiles pour des raisons purement techniques. Faut-il, pour autant, continuer à nier que Taiwan est un pays à part entière ? Il n'est écrit nulle part qu'un pays doit être reconnu par un nombre minimal d'États avant d'être considéré comme souverain. Et faut-il nécessairement siéger à l'ONU ? Au début des années 1950, il n'y avait qu'une vingtaine de pays qui reconnaissaient la République populaire de Chine ; et, jusqu'en 1971, elle n'était pas représentée à l'ONU. Est-ce à dire qu'elle n'est devenue une nation souveraine qu'à partir des années 1970 ? Ma conclusion, c'est que la question de la souveraineté de Taiwan ne se pose pas. Il n'y a plus lieu de discuter sur ce point.
M. H. - Il faudrait donc, selon vous, que Taiwan soit reconnu par un plus grand nombre de pays...
H. P. - L'ambition de tous les hommes politiques et de la population de l'île est d'obtenir une plus large reconnaissance internationale. C'est important pour deux raisons : 1°) les Taiwanais ont besoin de retrouver leur dignité en tant que peuple souverain ; et 2°) ils ont besoin de la sécurité que leur apporterait cette reconnaissance. Pour le moment, le seul gouvernement internationalement reconnu est celui de la République populaire de Chine. Cela signifie que, si Pékin décide d'attaquer Taiwan, cette agression sera considérée comme un problème interne, un peu comme la guerre que mène le gouvernement russe en Tchétchénie. L'opinion publique internationale ne s'en émouvra pas outre mesure et se contentera d'émettre quelques jugements critiques à l'encontre du gouvernement chinois. À l'inverse, si Taiwan était reconnu par l'ONU, toute tentative d'intervention de la part de Pékin serait assimilée à l'invasion du Koweït par l'Irak ou à celle de la Corée du Sud par la Corée du Nord. Certains commentateurs prétendent que la situation exceptionnelle de Taiwan en fait le seul pays susceptible de mettre en question la légitimité du gouvernement chinois de Pékin. Quel atout, en effet ! La vérité, c'est que, s'ils pouvaient choisir, les Taiwanais renonceraient volontiers à ce " privilège " en échange de l'accession à un vrai statut d'État autonome !
M. H. - Pourtant, les autorités de Taipei ont longtemps défendu le point de vue selon lequel il n'y aurait qu'une seule Chine : la leur !
H. P. - Aujourd'hui, tout le monde semble considérer ce principe comme acquis ; mais, en réalité, il y a bien longtemps que le KMT a renoncé au principe d'une seule Chine. Un essai de l'ancien diplomate Lu Yizheng, publié en 2002, nous a ouvert de nouvelles pistes de réflexion. Selon Lu Yizheng, Chiang Kaichek aurait envisagé, dès 1971, d'accepter la reconnaissance concomitante de Taiwan et de la RP de Chine. Il faut se souvenir qu'en 1949 le Parti communiste a remporté la guerre sur le KMT mais que le KMT a conservé son siège au Conseil de sécurité de l'ONU. Une bataille diplomatique féroce s'est alors engagée entre les deux pays, chacun se considérant comme le seul représentant de la Chine. À l'époque, les États-Unis soutenaient Taiwan. Cette position est apparue de plus en plus absurde, le gouvernement de Pékin étant reconnu par un nombre croissant d'États. Mais personne ne souhaitait, pour autant, voir les armées communistes " libérer " Taiwan. Au moment de la Révolution culturelle, Chiang Kaichek était …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :