Entretien avec Silvio Berlusconi, Président du Conseil italien depuis 2001 par Richard Heuzé, correspondant de Politique Internationale en Italie
Richard Heuzé - Le 29 octobre 2004, Rome a accueilli les chefs d'État et de gouvernement européens pour la signature officielle de la Constitution. L'Italie a largement participé à l'élaboration de ce texte, aussi bien pendant les travaux de la Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing que durant la présidence italienne de l'Union européenne - du 1er juillet au 31 décembre 2003. Quel bilan tirez-vous de cette période ?
Silvio Berlusconi - La Constitution ne pouvait pas être signée ailleurs qu'à Rome. Un fil historique relie, en effet, la naissance des premières Communautés européennes, leur développement, et l'affirmation aujourd'hui du projet que chacun connaît : celui d'une Europe réunifiée sur la base d'un certain nombre de principes fondamentaux et de valeurs partagées. Tous nos partenaires européens ont salué avec enthousiasme le choix de Rome. À commencer par le président Jacques Chirac. Dès le début, il m'a fait part de son soutien inconditionnel. Même le premier ministre espagnol, José Luis Zapatero, a voulu que cette cérémonie se déroule dans la capitale italienne, et non à Madrid comme certains l'avaient pourtant suggéré. L'Italie a fourni une contribution essentielle à la Constitution. Nous avons été les premiers à désigner des personnalités de premier plan pour nous représenter à la Convention. C'est aussi sous la présidence italienne, au second semestre 2003, que la Conférence intergouvernementale (CIG) a commencé ses travaux. Nous étions arrivés à deux doigts d'un accord lorsque nous avons dû céder la place à la présidence irlandaise qui, sur la base de ce qui avait été accompli, a pu conclure la négociation avec succès. C'est pourquoi nous sommes plus que satisfaits d'un résultat que personne ne donnait pour acquis d'avance. R. H. - Quelles sont, selon vous, les principales avancées de cette Constitution ?
S. B. - L'Europe, au cours des dernières années, et en particulier lors des graves crises internationales que nous avons connues, n'a pas été capable de parler d'une seule voix. Elle a perdu de sa force et de sa crédibilité face aux États-Unis et à l'Asie. Tout le monde en a pris conscience. Cette fragilité provient, en partie, de la complexité des mécanismes décisionnels de l'Union, de sa bureaucratie excessive et de la rigidité du système. C'est cette dérive que la nouvelle Constitution vise à inverser en instaurant des mécanismes de prise de décision plus efficaces. À terme, elle garantira à l'Europe cette cohésion qui lui fait défaut. L'élection du président du Conseil pour un mandat de deux ans et demi - renouvelable une fois - permettra d'assurer au gouvernement de l'Europe, dans le respect des autres institutions, la continuité qui lui est nécessaire pour prendre des initiatives politiques. La création d'un poste de ministre des Affaires étrangères unique pour l'ensemble de l'Union va dans le même sens.
R. H. - Et quels sont les passages qui auraient mérité d'être améliorés ?
S. B. - Certes, on aurait pu faire bien davantage. Encore eût-il fallu obtenir le consensus unanime des vingt-cinq pays membres. Mais compte tenu des circonstances, le résultat est excellent - même si, comme nous avons tenté de le montrer pendant notre présidence, sur certains points du projet de Traité, il aurait été préférable de trouver une entente encore plus forte (je pense, en particulier, au droit de vote et à l'extension du vote à la majorité qualifiée). Il est vrai que la Constitution comporte des lacunes. Mais ce qui n'y figure pas explicitement est ancré dans la conscience européenne. Si nous ne l'avons pas inscrit dans le texte du Traité, c'est par souci de réalisme. Il va de soi, en effet, que notre culture commune prend sa source dans l'héritage judéo- chrétien. Cette Constitution, comme les meilleures Constitutions de la Terre, repose sur les concepts de liberté et de responsabilité de l'homme et du citoyen. C'est le propre des Constitutions libérales que de fixer des limites aux pouvoirs des États et des bureaucraties, et de dicter des règles qui consolident la liberté de l'individu. C'est cela qui permet de réaffirmer la valeur de l'individu et de la famille.
R. H. - L'un après l'autre, plusieurs pays se sont prononcés en faveur d'un référendum sur la Constitution européenne. En France, par exemple, Jacques Chirac a proposé qu'une consultation ait lieu au printemps 2005. Envisagez-vous également d'organiser un vote sur cette question et quand pourrait-il intervenir ?
S. B. - Pour des raisons constitutionnelles, un tel référendum n'aurait en Italie qu'une valeur consultative. Mais la signification politique d'une éventuelle consultation populaire ne m'échappe évidemment pas. Le référendum ne nous fait pas peur. Dans tous les sondages, les Italiens ont montré qu'ils étaient les plus européens de toutes les nations qui font partie de l'Union. En tout état de cause, le gouvernement assumera son rôle de telle sorte que le Traité constitutionnel soit ratifié au plus vite par le Parlement. Ce qui constituera un signal fort adressé aux autres gouvernements et aux autres opinions publiques. Ce qui est clair, c'est que les valeurs contenues dans le nouveau Traité ne doivent pas être abordées avec désinvolture, car elles pourraient bien changer le visage de l'Europe.
R. H. - Comment jugez-vous l'architecture européenne après l'élargissement à dix nouveaux membres et l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution ? Faudra-t-il encore la compléter ou estimez-vous que l'Europe a finalement atteint son point d'équilibre ?
S. B. - Beaucoup de choses ont été faites, mais il en reste encore autant à faire. Je n'aime pas parler d'élargissement. Je préfère employer le mot " réunification " de l'Europe - une réunification qui n'est pas achevée. D'autres pays ont de bonnes raisons de vouloir entrer dans l'Union européenne. On en discute. Je suis certain que nous saurons trouver les solutions les mieux adaptées.
R. H. - Avec quels leaders européens vous sentez-vous le plus en phase ?
S. B. - J'ai toujours été un incorrigible optimiste. Je le suis jusque dans les relations que j'ai nouées avec les autres dirigeants européens. Quel que soit mon interlocuteur, j'espère toujours trouver un terrain d'entente. Dans certains …
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