Entretien avec Aleksandar Maric, Formateur au Centre de la résistance non violente de l'ONG Otpor (Belgrade, Serbie) par Milos Krivokapic, Journaliste à Radio France Internationale
Milos Krivokapic - Comment vous définiriez-vous ?
Aleksandar Maric - Je suis Aleksandar Maric, activiste de l'organisation Otpor, déclaré persona non grata dans plusieurs pays du monde, l'Ukraine étant le dernier en date (4). Je suis quelqu'un qui voyage beaucoup et il arrive que, " par hasard ", le régime dictatorial du pays que je visite tombe après mon passage.
M. K. - En quoi votre travail consiste-t-il exactement ?
A. M. - Je me considère comme un " éducateur ". En quelques mots, mon travail consiste à transmettre l'expérience qu'Otpor a acquise en Serbie à des organisations d'autres pays qui s'adressent à nous pour mettre fin à une dictature dite " souple " comme celles qui étaient en place en Serbie, en Géorgie ou encore en Ukraine. Nous essayons de promouvoir l'esprit d'Otpor et d'exporter la détermination dont nous avons fait preuve en Serbie, au tournant du siècle, lors de notre lutte contre le pouvoir de Slobodan Milosevic. Concrètement, nous expliquons d'abord à nos interlocuteurs comment créer une organisation semblable à la nôtre. Nous répondons ensuite à un certain nombre de questions que ces organisations se posent : comment mettre en place un réseau ; comment développer les services de presse et de logistique ; comment mobiliser les militants ; comment agir dans les campagnes ; comment se protéger des services secrets et de la police ; comment négocier avec les services d'ordre... Enfin, nous aidons ces organisations à inscrire leurs activités dans un cadre légal. Une fois les réponses à toutes ces questions trouvées, une fois l'adhésion de la population acquise, l'organisation qui nous a sollicités peut devenir un facteur décisif dans le processus politique ou électoral de son pays.
M. K. - Plus concrètement, que conseillez-vous à ceux qui mèneront le combat dans leur pays ?
A. M. - La réussite d'une telle entreprise nécessite plusieurs éléments. D'une manière générale, les messages doivent être courts et clairs, de manière que le pouvoir ne puisse pas les retourner contre nous. Deuxièmement, les activistes doivent être désintéressés et sincèrement convaincus du bien-fondé de leurs actions : dans ce combat, il n'y a pas de place pour les ambitions personnelles. Il ne doit être question que de promouvoir le système démocratique, les droits civiques et les droits de l'homme. De même, il faut préserver l'image de jeunes gens beaux, capables et ambitieux qui se battent pour l'avenir du pays. C'est cette ligne de conduite qu'il faut garder en permanence tout en flirtant légèrement avec certains accents " révolutionnaires ", au sens de " passionnés " : notre attitude doit dégager de l'émotion, du dynamisme, mais sans agressivité. Toute la communication de l'organisation découle de ces caractéristiques. Enfin, il s'agit de se présenter comme des personnes ayant conscience des problèmes et capables d'y remédier. En Serbie, nous n'aurions jamais réussi si nous avions passé notre temps à répéter que Slobodan Milosevic était mauvais ; il fallait impérativement avancer une politique alternative à la sienne. La solution que nous proposions consistait dans la prise de pouvoir du DOS (l'opposition démocratique de Serbie (5)). Nous ne présentions pas le DOS comme la panacée ; nous nous contentions de dire qu'il s'agissait d'un parti bien meilleur que celui de Milosevic.
M. K. - À quand remonte la création d'Otpor ?
A. M. - D'après les données de la police serbe, Otpor est né le 16 octobre 1998. J'ignore si c'était bien le 16 ; en tout cas, le mois et l'année sont corrects. À vrai dire, à titre individuel, nous avons commencé à manifester contre Milosevic dès 1991 (6). Entre 1991 et 1998, nous avons ainsi pu acquérir une certaine expérience - une expérience dont les organisations créées par la suite dans d'autres pays d'Europe de l'Est ne disposaient pas au moment de leur naissance. En Serbie, certains de nos sympathisants avaient des connaissances dans le domaine de la stratégie : ils ont mis cette science au service d'Otpor. Ce n'est que par la suite que nous avons acquis des connaissances théoriques, à travers divers séminaires organisés par des ONG internationales - International Republican Institute (IRI), National Democratic Institute (NDI) ou Fondation Friedrich Ebert (7). De la fin de l'année 1999 au second semestre 2000, nous avons suivi des entraînements portant sur la résistance non violente. La session la plus médiatisée reste celle de mars 2000, tenue à Budapest et organisée par Robert Helvy, un colonel américain à la retraite auquel les médias attribuent la création d'Otpor. Ce en quoi ils ont tort : s'il est vrai que M. Helvy est un ami qui nous a aidés par son expérience, au moment de ce séminaire Otpor existait déjà officiellement depuis un an. La structure était en place, elle était de notre fait. La " marque ", les slogans, toute la partie identitaire existaient déjà. D'autres séminaires ont été organisés en Bosnie-Herzégovine et en Roumanie, mais les médias ont surtout parlé du séminaire de Budapest, à cause de l'appartenance supposée de M. Helvy à la CIA - un élément dont j'ignore s'il est vrai et qui, de toute manière, n'a aucune importance à mes yeux. Hormis ce qui touche aux régimes dictatoriaux, nous avons également été formés à l'activisme dans les pays en transition : au cours d'un séminaire organisé par l'IRI au printemps 2002, nous avons étudié les méthodes de lobbying, de négociation et de communication.
M. K. - Que signifie ce poing levé qui est le logo de votre organisation ?
A. M. - Ce symbole indique la force, la détermination et l'unité. Otpor est tout cela. Mais qu'on ne s'y trompe pas : ce poing serré n'est nullement synonyme d'agression.
M. K. - Pourquoi vous êtes-vous impliqué au sein d'Otpor ?
A. M. - L'histoire a commencé à la faculté de philosophie de l'université de Novi Sad (la deuxième ville de Serbie), haut lieu de contestation du régime de Milosevic. Même à l'époque où certains partis politiques démocratiques se compromettaient en négociant avec Milosevic, les étudiants de Novi Sad, eux, restaient mobilisés. …
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