Les Grands de ce monde s'expriment dans

Les sages recettes du FMI

Entretien avec Rodrigo de Rato, Directeur du FMI depuis le 7 juin 2004 par Babette Stern, Journaliste au Monde

n° 106 - Hiver 2005

Rodrigo de Rato

Babette Stern - Lorsqu'on vous a proposé la direction du FMI au lendemain de la démission-surprise de Horst Köhler, la décision a-t-elle été facile à prendre ?
Rodrigo de Rato - Quand mon prédécesseur a annoncé sa démission, très vite mon nom est apparu dans la presse internationale. C'était dix jours avant les élections en Espagne. À ce moment-là, mes collègues européens de l'Ecofin (1) et ceux d'Amérique latine, membres de la Banque interaméricaine de développement, m'ont demandé si j'étais prêt à accepter le poste : j'ai dit oui. J'ai ensuite effectué une série d'allers et retours entre Madrid et Washington afin de rencontrer le plus grand nombre possible de gouverneurs du FMI, notamment les Africains.
B. S. -Quel a été leur message ?
R. R. - Ils ont insisté pour que le FMI reste présent en Afrique et développe un dialogue constructif avec eux. Je m'y suis engagé. Je me suis rendu deux fois sur le continent africain au cours des six premiers mois de mon mandat et j'y ai rencontré une trentaine de chefs d'État et de gouvernement.
B. S. - Comment gérez-vous ces deux vies : celle de l'homme politique espagnol qui conserve des liens très étroits avec son parti et celle de directeur général du FMI astreint à un devoir de réserve ?
R. R. - Il n'y a pas d'incompatibilité. Je reste membre du Parti populaire mais je n'exerce aucune responsabilité au sein de cette formation, je n'occupe aucun poste ni dans ses structures ni dans son organigramme et je n'appartiens à aucune commission. Je sais pertinemment que je ne peux pas participer au débat politique en Espagne tant que je suis à la tête du FMI. Cela ne m'empêche pas d'avoir des idées comme tout le monde. J'ai parfois des contacts avec mes collègues. Mais je ne me mêle pas de politique. Pour le moment.
B. S. - Avez-vous renoncé à la politique ?
R. R. - Qui peut savoir ce que réserve l'avenir ? Disons que, pour l'instant, ce n'est pas ma préoccupation. Je concentre mon énergie sur le FMI.
B. S. - Vous êtes le premier directeur général issu de la classe politique. Est-ce un atout pour le FMI ?
R. R. - Pour diriger une institution comme celle-ci, il vaut mieux avoir eu un parcours personnel et professionnel riche. Mais il n'y a pas d'expérience meilleure que d'autres. Michel Camdessus a longtemps occupé des postes de responsabilité au sein de la haute administration française ; Horst Köhler avait, lui, une double expérience au ministère des Finances allemand et comme président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Ils en ont fait profiter le FMI. Je fais de même. Les pays membres ont sans doute estimé que mon profil d'ancien parlementaire et d'ancien ministre correspondait aux besoins du FMI au moment où celui-ci doit repenser son action.
B. S. - Justement, revenons un peu sur le passé. Tout au long des années 1990, on a reproché au FMI son arrogance, sa rigidité conceptuelle, son absence de vision... Ces critiques sont-elles, à vos yeux, justifiées ?
R. R. - Les critiques sont le lot de toute institution publique. Elles sont utiles pour autant que vous les acceptez et que vous les analysez. C'est ce que fait le FMI. Nous ne nous bouchons pas les oreilles, nous écoutons tous les avis, qu'ils viennent de l'intérieur ou de l'extérieur.
B. S. - Les pays en crise se plaignent souvent de l'approche " idéologique " du Fonds...
R. R. - Le FMI s'est doté d'un dispositif d'audit indépendant qui examine les décisions et rend publiques ses conclusions. J'en tiens compte lors de nos discussions, mais ce n'est pas à moi de relayer les critiques.
B. S. - Vous pouvez tout de même avoir une opinion...
R. R. - Mon rôle est de faire avancer l'institution. Celle-ci s'est rapidement adaptée à la nouvelle donne des années 1990. Cette décennie a été marquée par une accélération du phénomène de mondialisation et par de grands bouleversements de la planète financière. Certains pays ont été frappés par des crises d'un genre totalement inédit, qui s'expliquent par l'accroissement des flux de capitaux privés comme instruments de financement privilégiés des États. Ces crises nous ont beaucoup appris. Elles nous ont permis d'affûter nos outils de prévention et de proposer des solutions mieux ciblées. Au total, si l'on considère notre action au cours des sept à dix dernières années, j'estime que nous avons donné de bons conseils à nos pays membres. Notre théorie selon laquelle la stabilité macroéconomique est une condition essentielle de la croissance a été confirmée par les faits.
B. S. - Dans quels pays en particulier ?
R. R. - Tous ! Montrez-moi un pays instable sur le plan macroéconomique qui soit capable de produire de la croissance ? Il n'y en a pas. Si vous voulez une croissance durable, il vous faut de la stabilité. Cette vérité économique est partagée par, peut-être pas 100 %, mais 98 % des États membres de cette institution. La stabilité financière, la régulation bancaire, la crédibilité des banques centrales qui combattent l'inflation sont des principes acceptés par tous. Si l'économie mondiale a résisté aux chocs extérieurs (la hausse des prix de l'énergie, l'évolution des taux d'intérêt, les risques géopolitiques comme l'Irak, l'éclatement de la bulle financière de 2002), c'est parce que, dans la plupart des pays du monde, les politiques macroéconomiques se sont améliorées. En ce moment, nous nous efforçons de réduire les vulnérabilités engendrées par la structure et le niveau de la dette publique. De nombreux pays y travaillent également.
B. S. - L'ouverture des marchés de capitaux préconisée par le FMI a pourtant bien été l'une des raisons de la crise financière de 1997-1998...
R. R. - En 1997-1998, ce n'est pas seulement l'afflux de capitaux qui a déclenché la crise, mais le fait que de nombreux pays asiatiques n'avaient pas pris en compte les mises en garde que nous leur avions adressées concernant, notamment, le montant …