Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'oeil d'Israël

Entretien avec Aharon Zeevi, Général de division par Uri Dan, Journaliste et écrivain israélien

n° 106 - Hiver 2005

Aharon Zeevi

Uri Dan - En votre qualité d'officier du renseignement depuis de longues années, que pouvez-vous dire d'Al-Qaïda ? Est-ce réellement une puissante organisation aux ramifications internationales ou est-ce, au moins partiellement, le fruit de l'imagination de journalistes et d'hommes politiques en mal de sensationnel ?
Aharon Ze'evi - Al-Qaïda a subi plusieurs métamorphoses. Dans les années 1980, l'organisation établit son lien le plus solide avec un groupe afghan, très aguerri dans la lutte contre les Soviétiques, et qui devient son bras opérationnel. La seconde phase critique dans le développement d'Al-Qaïda intervient en janvier 2001 lorsqu'il s'unit au Jihad égyptien et prend le nom de Qaïdat al-Jihad. Le numéro un de l'organisation égyptienne, Ha'iman al-Zouhari, devient alors le numéro deux d'Al-Qaïda.
U. D. - L'est-il encore ?
A. Z. - Oui. L'autre développement significatif survient en septembre 2004, lorsque Abou Moussab al-Zarkaoui, un sunnite palestinien originaire de Zarka en Jordanie, prend en Irak la tête de la lutte contre les Américains. Depuis la chute de l'Afghanistan, Al-Qaïda s'est fragmenté en plusieurs réseaux de cellules qui partagent la même vision du monde. Il y a le réseau bien connu de la Jamiya Islamiya en Asie du Sud-Ouest ; le réseau de Zarkaoui en Irak ; le réseau nord-africain dont le centre est établi au Soudan ; le réseau de Nabakhan dans la corne de l'Afrique, qui a organisé l'attentat de Mombasa contre un avion d'El Al fin 2002 (2) ; un réseau algérien et un réseau tchétchène. Bien entendu, des résidus du Qaïdat al-Jihad sont disséminés sur un territoire de 50 à 100 kilomètres de long à la frontière pakistano-afghane. C'est là que se cachent, probablement dans des grottes, Ben Laden, Al-Zouhari et d'autres. Ces gens sont toujours actifs et s'expriment sur leurs sites Internet. Ces sites proposent des forums de discussion où l'on peut interroger des docteurs de la foi sur divers sujets. Par exemple, à la question de savoir si l'utilisation d'une arme non conventionnelle pour tuer dix millions d'êtres humains est autorisée, sachant qu'il y aurait des musulmans parmi eux, la réponse est " oui ".
U. D. - À quelle date est tombée cette réponse ?
A. Z. - Il y a environ six mois.
U. D. - D'où provenait la question ?
A. Z. - Des internautes musulmans consultent les sites d'Al-Qaïda et des experts en religion leur répondent.
U. D. - Qui sont ces experts et peut-on les localiser ?
A. Z. - Nous connaissons leurs noms, mais personne ne sait exactement où ils se trouvent. Les sites sont dispersés à travers le monde entier et opèrent selon des méthodes qui rendent très difficile leur localisation.
U. D. - Malgré la sophistication des moyens électroniques de détection ?
A. Z. - Les Américains déploient sûrement un maximum de moyens, mais le fait est qu'ils ne parviennent pas à déterminer l'endroit où ils se terrent.
U. D. - Et ces experts en religion autorisent le massacre de millions de personnes ?
A. Z. - Absolument. L'objectif consiste, conformément au Coran, à éliminer les non-musulmans de la surface de cette terre. La division du monde en dar al-harb (région de guerre) et dar al-islam (région de l'islam) est un commandement religieux. On a même trouvé dans une cachette d'Al-Qaïda, à la frontière pakistano-afghane, une mappemonde entièrement verte, le vert étant comme vous le savez la couleur de l'islam - le but suprême d'Al-Qaïda. Leur première cible est le monde chrétien, États-Unis en tête, suivis de près par l'Europe. Les autres entités, comme Israël, font partie du " petit Satan " et viennent en deuxième position. Mais le visage d'Al-Qaïda a changé. Ses combattants, qui étaient autrefois concentrés dans des camps d'entraînement en Afghanistan, sont aujourd'hui pourchassés et capturés, y compris bon nombre de cadres. Le dispositif d'Al-Qaïda s'est donc redéployé à travers le monde. Quant à son réseau de recrutement, il fonctionne au moyen de la Da'wa.
U. D. - Qu'est-ce que la Da'wa ?
A. Z. - Un système de collecte de fonds qui sert à financer des besoins humanitaires : écoles, assistance sociale, dispensaires, etc.
U. D. - Comme celui du Hamas et du Jihad dans la bande de Gaza ?
A. Z. - Le Hamas avait des antennes à l'étranger, jusqu'à ce qu'il soit déclaré organisation terroriste. Même chose pour le Hezbollah aux États-Unis. Jusque-là, ces organisations s'occupaient de construire des mosquées, de faire la classe des enfants deux heures par jour ou de leur servir un repas chaud. À cette fin, elles collectaient de l'argent, beaucoup d'argent, dont une grande partie servait à financer le terrorisme.
U. D. - L'Arabie saoudite a été récemment le théâtre d'une série d'attentats. Lorsqu'on sait que la plupart des pirates de l'air du 11 septembre 2001 étaient de nationalité saoudienne, ne faut-il pas s'inquiéter pour l'avenir du royaume pétrolier ?
A. Z. - Il est clair que la monarchie wahhabite est menacée. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, le noyau dur d'Al-Qaïda s'est constitué en Égypte par le biais du Jihad islamique, également actif en Arabie saoudite. Après la première guerre du Golfe, Ben Laden a dû s'enfuir au Soudan avant de passer en Afghanistan. Al-Qaïda a maintenant une nouvelle stratégie. N'ayant pas réussi à provoquer un " effet dominos " par des attentats spectaculaires aux États-Unis, à Bali, à Madrid, et ailleurs, l'organisation se tourne désormais vers un jihad " spirituel " en Arabie saoudite. En fait, ce jihad vise à remplacer le régime actuel par des forces ultra-radicales. Consciente du danger, la maison royale combat ces éléments, mais pas jusqu'au bout et avec une certaine ambiguïté. Il est d'ailleurs peut-être trop tard pour y parvenir. La stabilité du régime semble bel et bien compromise.
U. D. - D'après certains médias, la maison royale coopérerait avec les Américains pour lutter contre le terrorisme...
A. Z. - Encore une fois, je crains qu'il ne soit trop tard. D'autant qu'il est relativement facile de recruter des terroristes dans les rangs mêmes des forces de sécurité. L'éducation religieuse …