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Quelle paix pour les Paletiniens

Entretien avec Yasser Abed rabbo, Membre du Conseil exécutif de l'OLP par Patrick Saint-Paul, Correspondant du Figaro à Jérusalem

n° 106 - Hiver 2005

Yasser Abed rabbo

Patrick Saint-Paul - Yasser Arafat était plus qu'un simple président pour les Palestiniens. Il s'était totalement identifié à leur cause. À quoi cette extraordinaire popularité tenait-elle ?
Yasser Abed Rabbo - J'ai accompagné Yasser Arafat pendant trente-cinq ans. Je l'ai vu dans les mosquées du Pakistan, où il était reçu comme un symbole de la foi islamique. Je l'ai vu au Capitole, à Washington, où après 1994 il a été accueilli en homme de paix. Je n'ai jamais rencontré personne d'autre qui soit capable, comme lui, de trouver un langage commun avec des gens de tendances aussi différentes : religieux ou non religieux, de droite ou de gauche, pragmatiques ou extrémistes. Ce talent lui a permis d'unir tous les Palestiniens derrière lui. Tout au long de son parcours, durant toutes ces années, il a toujours tendu vers un même objectif : la création d'un État indépendant pour son peuple. Rien ne l'a jamais fait dévier. Les Palestiniens lui en ont été reconnaissants.
P. S.-P. - Comment expliquez-vous son échec ? Pourquoi le révolutionnaire n'a-t-il pas réussi à se muer en chef d'État ?
Y. A. R. - Il est très rare de trouver des personnages qui soient à la fois d'excellents révolutionnaires et d'excellents hommes d'État. Yasser Arafat était déchiré entre deux lignes de conduite. Il n'a pas compris que ce qu'il avait construit était en réalité un embryon d'État, et pas encore un État à part entière. Et il a cru que, pour parachever l'édification de l'État palestinien, il devait poursuivre sa mission de révolutionnaire. Ce conflit intérieur l'a poussé à commettre bon nombre d'erreurs. Mais il n'a pas tous les torts : au cours des trois dernières années, il a été victime d'une campagne visant à le diaboliser. Finalement, je crois que l'Histoire lui donnera raison.
P. S.-P. - Sa mort est-elle l'occasion d'un nouveau départ pour les Palestiniens ?
Y. A. R. - Je dirais : d'un nouveau départ dans la continuité. Ce n'est pas contradictoire. Car il est évident qu'un leader de la trempe d'Arafat ne pourra jamais être remplacé.
P. S.-P. - L'Autorité palestinienne sera-t-elle capable de construire des institutions plus solides et de mettre fin au système autocratique instauré par Arafat ?
Y. A. R. - Il est clair que ce système était taillé sur mesure pour Yasser Arafat et qu'il ne pourra pas lui survivre. Mais les institutions existent ; il suffit de les faire évoluer. La transition en douceur à laquelle on a assisté après son décès est une première étape. La plupart des observateurs pariaient sur une explosion de violence après la mort du raïs, sur une nouvelle plongée dans le chaos. À la surprise générale, les structures mises en place par Arafat ont joué leur rôle : elles ont pris le relais en attendant l'élection du prochain président. Le Parlement, la Loi fondamentale - qui fait office de Constitution -, les statuts de l'OLP : tout était prêt pour faire émerger une nouvelle direction. Du vivant d'Arafat, ces institutions sommeillaient, elles fonctionnaient au ralenti. Elles se sont réveillées après sa mort. Il a planté les graines, et sur ce terreau fertile nous ferons croître des institutions véritablement démocratiques.
P. S.-P. - Ne craignez-vous pas de voir apparaître des rivalités, voire des frictions, entre ces différents pôles de pouvoir ?
Y. A. R. - Les hommes politiques sont des êtres humains et, par nature, ils sont imparfaits. Mais l'avantage, c'est que les êtres humains peuvent parfois s'entendre. En l'occurrence, ils ont accepté de respecter la séparation des pouvoirs telle qu'elle est définie par la Loi fondamentale, sans truquer le jeu. À l'avenir, le président ne devra plus occuper de fonctions exécutives. Celles-ci seront assumées par le gouvernement. Comme en France, le président se bornera à définir les grandes orientations. Tout le monde a été d'accord pour adopter ce système. Arafat cumulait toutes les fonctions. Mais on ne peut pas reproduire une personnalité telle qu'Arafat. C'est peut-être une chance et chacun en est conscient. Nous allons enfin pouvoir nous diriger vers une forme de gouvernance plus avancée et plus moderne.
P. S.-P. - Ces changements institutionnels auront-ils des répercussions sur les partis politiques palestiniens ?
Y. A. R. - Certainement. Par exemple, le Fatah, la principale composante de l'OLP, n'a pas tenu de Congrès depuis quinze ans. Un grand rassemblement est programmé pour cet été qui permettra de renouveler les cadres et d'apporter du sang neuf. Il est indispensable de donner sa chance à la jeune garde. Sinon, nous courons à l'affrontement. Il doit en être de même dans les autres formations. Ce processus doit emprunter la voie électorale. Après la présidentielle, la société palestinienne veut participer aux élections locales, municipales et législatives, et contribuer ainsi au renouveau de la classe politique. Le principal obstacle demeure évidemment l'occupation israélienne. Si Israël ne relâche pas un peu la pression, les Palestiniens auront l'impression que tout cela n'est qu'un jeu de dupes. Ils se décourageront et sombreront de nouveau dans le désespoir. On doit leur montrer un peu de lumière au bout du tunnel.
P. S.-P. - La nouvelle direction pourra-t-elle empêcher les débordements de violence provenant de groupes armés tels que les Brigades des martyrs d'Al-Aqsa ?
Y. A. R. - Une chose est sûre : le nouveau président ne pourra pas jouer de son charisme et de son statut de chef historique, comme Arafat l'a fait pendant des années, pour maintenir l'équilibre entre les factions. Dieu merci, il existe des méthodes plus simples et peut-être plus efficaces : il faut donner sa chance à chacun, dialoguer sur des bases claires et présenter un programme politique cohérent. Le courant dominant qu'incarnait Arafat - composé de forces modérées favorables à un compromis historique avec Israël - est actuellement divisé : nous devons le réorganiser et le remobiliser. Nous devons montrer que l'enjeu essentiel ne consiste pas à régler des comptes entre la nouvelle génération et la vieille garde. Le débat doit avoir lieu entre le courant dominant, ouvert au dialogue avec Israël, et les …