Entretien avec Mohammad Khatami, Président de la République islamique d'Iran depuis mai 1997 par Isabelle LASSERRE et Patrick WAJSMAN
Politique Internationale - Monsieur le Président, de quelle réalisation êtes-vous le plus fier après ces deux mandats ?
Mohammad Khatami -Après des siècles et des siècles de despotisme en Iran, et surtout après deux siècles de dictature liée à l'étranger, pendant laquelle le peuple était réduit au silence et soumis à la répression politique, j'ai enfin pu faire en sorte que la valeur fondamentale de la Révolution islamique soit appliquée : le gouvernement est désormais responsable devant les citoyens. Aujourd'hui, je suis enchanté de constater que n'importe qui en Iran, qu'il s'agisse d'un jeune ou d'un intellectuel, peut critiquer sans crainte le pouvoir exécutif. Je suis parvenu à imposer l'idée que le pouvoir n'est pas quelque chose de céleste mais de terrestre, et que les gens ont la possibilité de le dénoncer librement. Cela me semble un acquis primordial. Il s'agit maintenant d'étendre ces principes à tous les domaines. Autre succès : la création de structures - scientifiques, technologiques, universitaires... - destinées à promouvoir le développement économique et le rayonnement culturel de l'Iran. Le lien qui existe entre des avancées de cette nature et l'expansion de la liberté me conduit, là encore, à ne pas être insatisfait...
P. I. - Et votre plus grand regret ?
M. K. - J'ai toujours pensé que la démocratie était plus un processus qu'un projet spécifique. Ce processus, je l'ai mis en marche. Je n'ai donc pas de " regret " stricto sensu - même si je n'ai pas atteint tous les objectifs que je m'étais fixés.
P. I. - Peut-on dire que le réformisme a progressé sous votre mandat ?
M. K. - Sans aucun doute. Et je pense même que ce processus réformiste est irréversible. C'est, à coup sûr, l'acquis le plus important de mes deux mandats.
P. I. - L'un des fondements de la République islamique est le primat du religieux sur le politique. Ce principe est-il, lui aussi, irréversible ?
M. K. - Depuis un siècle, le peuple iranien aspire à trois choses : la liberté, l'indépendance et la croissance. Mais il possède aussi une identité historique, qui est religieuse. Dans le cadre de la révolution islamique, cette identité culturelle et ces aspirations se sont cristallisées. Si nous voulons que l'islam réussisse, il doit être compatible avec la liberté, l'indépendance et la croissance. Mais si ces trois principes omettent de prendre leurs racines dans la religion, alors nous allons droit à l'échec et c'est l'islam qui en paiera le prix.
P. I. - Pouvez-vous vous engager officiellement, au nom de l'Iran, à ce que jamais votre projet nucléaire n'ait d'autre finalité que civile ?
M. K. - Je m'y engage à 100 %.
P. I. - Une frappe américaine sur les installations militaires iraniennes est-elle concevable ? La redoutez-vous ?
M. K. - Nous restons vigilants sur cette question cruciale. Bien entendu, nous sommes en train de nous préparer à ce danger et de renforcer notre défense pour y faire face. Néanmoins, je ne pense pas qu'on en arrivera là, car les Américains savent pertinemment que l'Iran n'a rien à voir avec l'Irak ou avec l'Afghanistan. Si une telle attaque se produisait malgré tout, les dégâts seraient considérables du côté iranien. Mais ils seraient encore plus considérables pour les Américains, qui sont présents partout dans la région.
P. I. - À titre personnel, faites-vous partie de ceux qui croient à une " normalisation " relativement rapide avec les États-Unis ?
M. K. - Je fais partie de ceux qui espèrent qu'une confrontation n'aura pas lieu, tout simplement parce que nous sommes sur le chemin du progrès et du développement et qu'une telle attaque ne pourrait que retarder cette évolution. Il ne faut pas oublier que nous ressentons encore les conséquences des huit années de guerre imposées à l'Iran par Saddam Hussein ; et nous avons tellement souffert des pressions américaines qu'il faudra du temps pour rétablir la confiance. Il faudra surtout que de nombreuses conditions soient réunies pour qu'un véritable changement intervienne. Sous Bill Clinton, nous avancions dans ce sens. Même si Clinton ne pouvait pas aller aussi vite et aussi loin qu'il l'aurait souhaité. Malheureusement, avec l'arrivée des néoconservateurs à la Maison-Blanche, ce processus a non seulement été interrompu, mais la situation internationale est devenue plus dangereuse qu'auparavant : après l'occupation de l'Irak, le président Bush n'est-il pas allé jusqu'à dire que si les intérêts des États-Unis l'exigeaient, il n'hésiterait pas à utiliser l'arme nucléaire, y compris contre l'Europe ?
P. I. - À quelles conditions concrètes une telle normalisation deviendrait-elle, selon vous, possible ? Que la Maison-Blanche débloque les avoirs iraniens gelés ? Qu'elle laisse l'Iran négocier son entrée dans l'OMC ?
M. K. - Toutes ces conditions sont importantes. Mais il faut surtout que les Américains évoluent. Il faut qu'ils renoncent à leur volonté de détruire l'Iran ou même de changer le système iranien conformément à leurs préférences !
P. I. - Avez-vous le pressentiment que George Bush et votre successeur rétabliront des relations diplomatiques ?
M. K. - C'est vrai que l'on a récemment senti un changement d'attitude de la part des États-Unis. Une sorte de " frémissement ". Mais l'absence de confiance envers les Américains a, je l'ai déjà souligné, des racines très profondes. Ce léger changement perceptible au sein de l'administration américaine est-il tactique ou stratégique ? J'ai l'espoir qu'il sera le prélude à une modification radicale de la politique américaine. En tout cas, ce n'est pas le changement de présidence en Iran qui engendrera, en tant que tel, des inflexions notables.
P. I. - Akbar Hashemi Rafsandjani sera-t-il le prochain président ?
M. K. - Je ne ferai aucun commentaire et ne porterai aucun jugement qui pourrait donner à supposer que je soutiens tel candidat ou tel autre. Mais je vous rappellerai la réponse du petit-fils de l'imam Khomeiny, qu'un journaliste interrogeait récemment sur le succès des réformes : " La meilleure preuve que les réformes sont un succès, a-t-il dit, c'est qu'à quelques mois des élections personne n'est capable de …
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