Entretien avec Mohammed Hussein fadlallah par Alain Chevalérias, Journaliste et Badih Karhani, Journaliste libanais
Alain Chevalérias et Badih Karhani - Quel jugement portez-vous sur la présence syrienne au Liban ?
Mohammed Hussein Fadlallah - Tout pays doit pouvoir décider librement de son avenir politique, économique et social. En même temps, il ne doit pas se priver de collaborer avec les autres pays dans un esprit de respect mutuel. Voilà pourquoi nous ne parlons pas de la Syrie de manière manichéenne. Ce n'est pas tout blanc ou tout noir.
A. C. et B. K. - Vous semblez avoir des reproches à adresser à la Syrie. Quels sont-ils ?
M. H. F. - Damas a accompli une tâche positive en ramenant la paix civile dans le pays et en aidant l'armée libanaise à se réorganiser et à s'entraîner. Cependant, dès le début, nous n'avons pas approuvé les ingérences des services de sécurité dans la vie politique libanaise. Nous l'avons souvent répété aux responsables syriens : " Votre erreur est d'être entrés au Liban en jouant la carte de la sécurité et non celle des relations politiques. Le Liban ne peut être gouverné uniquement au nom de principes sécuritaires... "
A. C. et B. K. - Comment analysez-vous le retrait de l'armée syrienne du Liban ?
M. H. F. - Nous sommes favorables au départ de l'armée et des services de renseignement syriens du Liban. Mais nous souhaitons que cela se fasse sans provoquer de rupture entre nos deux pays. Nous voulons qu'un nouveau dialogue s'instaure entre États souverains et sur la base de nos intérêts vitaux. Nous ne voulons pas que le Liban devienne un moyen de pression, utilisé par la France ou les États-Unis, contre la Syrie.
A. C. et B. K. - Que voulez-vous dire par " un moyen de pression utilisé par la France ou les États-Unis " ?
M. H. F. - Nous ne pouvons pas croire que la résolution 1559 (1) soit dénuée d'arrière-pensées. Nous sommes convaincus que ses inspirateurs pensent moins aux intérêts des Libanais qu'à ceux des États-Unis et de la France en Syrie et au Liban. Je songe, en particulier, aux volets économique et politique de l'occupation américaine en Irak, auxquels la Syrie est sommée d'apporter son soutien. Or nous ne voulons pas que le Liban soit manipulé par les Américains ou les Français, pas plus que par les Syriens d'ailleurs.
A. C. et B. K. - Pourquoi, en pareil cas, la population chiite libanaise est-elle descendue dans la rue pour réclamer le maintien des troupes syriennes au Liban ?
M. H. F. - Ce n'est pas exact. D'abord, les manifestations ne regroupaient pas que des chiites. D'autres groupes appartenant à différentes communautés se sont retrouvés à leurs côtés. Il s'agissait en réalité, non pas de demander aux forces syriennes de rester au Liban, mais de les remercier, elles et leur pays, pour les aspects positifs de leur action (2).
A. C. et B. K. - Êtes-vous partisan de la poursuite du processus de Taëf (3) jusqu'à son terme ?
M. H. F. - Nous sommes pour l'application de Taëf, y compris pour la suppression du système politique confessionnel.
A. C. et B. K. - Pourquoi soutenez-vous l'annulation de ce système confessionnel ?
M. H. F. - Parce que nous croyons à la citoyenneté libanaise.
A. C. et B. K. - Sur le plan démographique, les chiites font preuve d'un plus grand dynamisme que les autres communautés. Si le système confessionnel était supprimé, ne seraient-ils pas, d'ici quelques années, appelés à diriger le pays ?
M. H. F. - Le Liban est une mosaïque de minorités. Les chiites sont à peu près aussi nombreux que les sunnites (4). Ils forment environ un quart de la population totale. N'oubliez pas non plus les chrétiens. Nous voulons qu'aucune charge officielle ne soit réservée à une communauté, quelle qu'elle soit. Nous voulons que les postes soient ouverts à tous et qu'ils soient attribués en fonction du choix des électeurs. Enfin, nous voulons que ces derniers, comme chez vous en France, soient identifiés non pas sur une base confessionnelle, mais en raison de leur appartenance nationale.
A. C. et B. K. - Voulez-vous dire que la magistrature suprême elle-même doit être déconfessionnalisée ?
M. H. F. - Nous souhaitons une déconfessionnalisation totale du système politique, y compris pour les postes les plus élevés.
A. C. et B. K. - En Occident, on ne manquera pas d'apprécier votre attachement à la démocratie. Néanmoins, compte tenu de la progression démographique des chiites à laquelle nous venons de faire allusion, comprenez-vous l'inquiétude des autres communautés libanaises ?
M. H. F. - Chez les chiites, il y a des libéraux, des nationalistes panarabes, des islamistes. Ils ne forment pas un bloc homogène. Comme les sunnites ou les maronites, ils sont divisés. Je répète qu'un chiite libéral gouvernera non pas en tant que chiite, mais comme citoyen libanais.
A. C. et B. K. - Êtes-vous en faveur du désarmement du Hezbollah (5) ?
M. H. F. - Tout dépend des circonstances. Actuellement, le Liban est toujours en état de guerre avec Israël. Or l'armée libanaise ne dispose pas des forces nécessaires pour assurer la défense du territoire. Voilà pourquoi le Hezbollah s'est constitué en armée populaire de réserve qui coordonne son action avec l'armée nationale et le gouvernement. Ce n'est donc pas une milice (6). En un mot : quand le conflit entre Israël et le Liban sera réglé, le Hezbollah n'aura plus de raison d'exister.
A. C. et B. K. - Je ne comprends pas bien l'utilité du Hezbollah contre une armée comme celle d'Israël. Pouvez-vous m'expliquer ?
M. H. F. - Israël ne cesse de violer l'espace aérien et les eaux territoriales du Liban. Parfois, même, son armée procède à des incursions terrestres (7). En raison de la ligne politique qu'elle a adoptée - le refus de l'affrontement -, l'armée libanaise ne peut pas entrer au contact des forces israéliennes (8).
A. C. et B. K. - Si les Israéliens se retiraient des hameaux de Chebaa (9), le Hezbollah accepterait-il de déposer les armes ? …
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