Les Grands de ce monde s'expriment dans

Vers une troisième Intifada ?

Entretien avec Mohammed Dahlan, ministre palestinien des Affaires civiles par Patrick Saint-Paul, Correspondant du Figaro à Jérusalem

n° 107 - Printemps 2005

Mohammed Dahlan

Patrick Saint-Paul - Après l'élection de Mahmoud Abbas en janvier dernier, vous avez renoué les premiers contacts directs de haut niveau avec Israël depuis de longues années - et cela, à l'occasion d'une rencontre avec le ministre israélien de la Défense, Shaoul Mofaz. Mahmoud Abbas et Ariel Sharon se sont ensuite retrouvés à Charm el-Cheikh. Peut-on parler aujourd'hui d'une relance du dialogue avec Israël ?
Mohammed Dahlan - Il n'est pas facile de se rasseoir à une table avec les Israéliens après quatre ans et demi de combats. Il n'y a plus de confiance entre nous. Tout est à reconstruire dans nos relations. Ces années ont été catastrophiques, aussi bien pour nous que pour les Israéliens. En dépit des apparences, Israël ne s'est pas adapté à la nouvelle donne palestinienne. Le gouvernement d'Ariel Sharon ne fait pas la différence entre la période d'Arafat et celle de Mahmoud Abbas. Il gère la situation comme si Mahmoud Abbas n'existait pas, comme s'il n'y avait pas eu d'élection, comme s'il n'y avait pas de cessez-le-feu. Et rien n'a changé dans la façon dont les Israéliens administrent les territoires autonomes palestiniens. Un exemple : à Karni - le principal point de passage entre Israël et la bande de Gaza -, Israël n'autorise pas plus de trente camions de marchandises par jour à sortir, ce qui ruine notre agriculture et notre économie. En revanche, les camions israéliens ont toute latitude pour pénétrer dans la bande de Gaza afin de nous vendre leurs produits. Il n'existe pas d'échanges commerciaux entre Gaza et la Cisjordanie. Par surcroît, nos citoyens ne peuvent pas voyager librement. Si un Palestinien souhaite traverser la frontière qui sépare Gaza de l'Égypte, Israël l'en empêche ! Même lorsque notre ministre des Affaires étrangères, Nasser al-Kidwa, effectue un déplacement à l'étranger, il doit prévenir les autorités israéliennes deux jours à l'avance en fournissant la liste des personnes qui l'accompagneront. Les services de sécurité israéliens fouillent ses valises et n'hésitent pas à déballer ses vêtements et ses documents devant tous les autres passagers ! Nos droits les plus élémentaires sont bafoués tous les jours. Au niveau sécuritaire, il n'existe pas de vrais " ponts " entre les deux parties. J'ai essayé d'en construire un avec le ministre israélien de la Défense, Shaoul Mofaz. Mais c'est extrêmement difficile. Convaincre le ministre de la Défense du bien-fondé d'une mesure en faveur des Palestiniens n'est, en effet, pas suffisant. Je dois ensuite persuader le chef du Shin Beth (le service de renseignement intérieur israélien), puis le chef d'état-major et les commandants locaux... Dans de telles conditions, il est quasiment impossible de réaliser le moindre progrès.
P. S.-P. - Au sommet de Charm el-Cheikh, il a été convenu de transférer le contrôle de cinq villes de Cisjordanie à l'Autorité palestinienne. Le gouvernement israélien a choisi de commencer par Jéricho, où le calme a régné pendant l'Intifada. À première vue, ce transfert paraissait très simple à mettre en œuvre. Pourtant, il a été reporté à plusieurs reprises. Pourquoi ?
M. D. - Au départ, le gouvernement israélien a déclaré avoir l'intention de nous transférer simultanément cinq villes. C'est ce qui avait été annoncé publiquement au sommet de Charm el-Cheikh. Ensuite, les Israéliens ont réduit ce chiffre à seulement deux villes. Et, enfin, Shaoul Mofaz m'a dit : " Commençons par Jéricho " (1). C'est toujours pareil avec Israël : nous parvenons à un accord ; mais si nous voulons que cet accord soit appliqué, il faut tout renégocier point par point. C'était une humiliation pour l'Autorité palestinienne, et j'ai refusé qu'Israël se contente d'évacuer Jéricho sans démanteler les check points qui enserrent la ville. Jéricho est la ville la plus tranquille du monde. Aucune opération anti-israélienne n'est partie de Jéricho pendant la seconde Intifada. Et lors de la première Intifada, cette ville s'était déjà distinguée par le calme qui y régnait... Finalement, nous sommes parvenus à un accord. Nous avons accepté de commencer par reprendre le contrôle de Jéricho à condition que l'armée israélienne démantèle tous les barrages qui entourent la ville et permette, ainsi, aux personnes et aux marchandises de circuler librement. Nous avons signé un document, puis... les Israéliens sont de nouveau revenus en arrière et ont décidé de lever les barrages de façon progressive ! Ils exigeaient d'effectuer ce retrait en plusieurs phases... Non seulement c'est humiliant pour nous mais, en plus, c'est ridicule et contre-productif. Se moquer ainsi de l'Autorité palestinienne ne contribue pas à améliorer la sécurité. Au contraire même, car c'est une façon de miner notre crédibilité et de donner des arguments aux groupes les plus radicaux.
P. S.-P. - Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans votre travail au sein du gouvernement palestinien ?
M. D. - En tant que ministre des Affaires civiles, je suis chargé de coordonner quarante-cinq domaines avec Israël : parmi ces domaines, il y a l'eau, l'électricité, les routes, l'infrastructure, l'éducation, la santé... bref, tout ce qui concerne la vie quotidienne des Palestiniens. Mais si je veux organiser le transfert d'un seul Palestinien malade de Naplouse vers un hôpital de Jérusalem, il me faut trois heures rien que pour obtenir l'autorisation de lui faire franchir le barrage militaire israélien qui se trouve à la sortie de Naplouse. Israël ne peut pas gagner la confiance des Palestiniens en bouclant hermétiquement la Cisjordanie et Gaza et en fermant les routes. Les Israéliens confisquent les clés et partent dormir tranquillement à Tel-Aviv pendant que les habitants, ici, souffrent. Si l'on y ajoute la souffrance provoquée par la construction du mur (2), on comprend à quel point la situation est désastreuse. Le gouvernement Sharon essaie de montrer à la communauté internationale qu'il facilite la vie aux Palestiniens. Mais, en réalité, Israël continue de nous opprimer en asphyxiant notre économie, en empêchant les étudiants d'aller à l'université, en interdisant aux malades de se faire soigner dans des hôpitaux... Si Israël n'abandonne pas sa mentalité d'occupant, rien ne peut changer. Car Israël doit construire la paix avec le peuple palestinien, pas uniquement avec …