Romain Gubert - Les " non " français et néerlandais à la Constitution européenne marquent-ils, selon vous, la fin du " rêve européen " ?
Jeremy Rifkin - Je suis évidemment déçu, mais ce n'est pas la fin de l'Europe, loin de là. J'ai passé un mois en France au moment du débat sur la Constitution. Ce qui m'a surpris, c'est que, dans les restaurants, à la sortie des usines, dans les dîners en ville comme dans les bars des quartiers populaires, on a parlé de l'Europe. Les gens se sont enfin passionnés pour ce sujet. C'est la première fois que cela arrive et, malgré le résultat final, c'est encourageant. Le peuple s'est emparé de la question européenne alors que, jusqu'à présent, seules les élites maîtrisaient le sujet. Il faut voir dans ce vote, en France et aux Pays-Bas, l'expression d'une opinion publique européenne. La première fois qu'on a pu la sentir, c'était pendant la guerre en Irak. Les gouvernements européens étaient divisés en deux camps. Mais les populations, elles, étaient unanimes : cette guerre était une folie. Cette fois-ci, même si tous n'ont pas été consultés, le " non " est une sorte d'appropriation de la question européenne par le peuple. La dynamique est lancée : désormais, lorsque l'on parlera d'Europe, chacun aura son mot à dire. Même si, bien sûr, je suis convaincu que le " non " est une grave erreur.
R. G. - Pourquoi une erreur ?
J. R. - Parce qu'au moment de déposer son bulletin dans l'urne la question à se poser était en réalité la suivante : est-ce que vous pensez que la prospérité future de votre famille repose sur les frontières étroites de votre pays ou bien sur le plus grand marché du monde qu'est celui de l'Europe ? Malheureusement, tout ce que cette Constitution européenne - un document de 256 pages - avait de positif est passé au second plan. De nombreux sociaux-démocrates européens, dont je me sens proche, prétendaient qu'il s'agissait d'une Constitution ultra-libérale. Peut-être fallait-il, en effet, que ce texte aille plus loin sur le plan social. Mais il faut lui rendre hommage. Sur de nombreux points (le droit à la vie, le droit à des congés payés, etc.), il présente des avancées considérables. Je ne prendrai qu'un exemple : si cette Constitution est finalement adoptée, les Européens pourront défendre leurs droits à l'extérieur de leurs frontières nationales, auprès d'une institution extraterritoriale. Ce n'est pas rien.
R. G. - En France, la campagne sur le référendum a été dominée par les calculs politiciens et les arguments les plus terre à terre. Où est le " rêve européen " dans tout cela ?
J. R. - Ces petites querelles sont inévitables. Les arguments que l'on échange pendant une campagne électorale sont forcément mesquins et réducteurs. Il s'agit d'une comédie qui n'est pas nécessairement jouée par de bons acteurs. Que les électeurs s'intéressent à des problèmes de politique intérieure au lieu de réfléchir à des questions plus abstraites, ce n'est guère …
Jeremy Rifkin - Je suis évidemment déçu, mais ce n'est pas la fin de l'Europe, loin de là. J'ai passé un mois en France au moment du débat sur la Constitution. Ce qui m'a surpris, c'est que, dans les restaurants, à la sortie des usines, dans les dîners en ville comme dans les bars des quartiers populaires, on a parlé de l'Europe. Les gens se sont enfin passionnés pour ce sujet. C'est la première fois que cela arrive et, malgré le résultat final, c'est encourageant. Le peuple s'est emparé de la question européenne alors que, jusqu'à présent, seules les élites maîtrisaient le sujet. Il faut voir dans ce vote, en France et aux Pays-Bas, l'expression d'une opinion publique européenne. La première fois qu'on a pu la sentir, c'était pendant la guerre en Irak. Les gouvernements européens étaient divisés en deux camps. Mais les populations, elles, étaient unanimes : cette guerre était une folie. Cette fois-ci, même si tous n'ont pas été consultés, le " non " est une sorte d'appropriation de la question européenne par le peuple. La dynamique est lancée : désormais, lorsque l'on parlera d'Europe, chacun aura son mot à dire. Même si, bien sûr, je suis convaincu que le " non " est une grave erreur.
R. G. - Pourquoi une erreur ?
J. R. - Parce qu'au moment de déposer son bulletin dans l'urne la question à se poser était en réalité la suivante : est-ce que vous pensez que la prospérité future de votre famille repose sur les frontières étroites de votre pays ou bien sur le plus grand marché du monde qu'est celui de l'Europe ? Malheureusement, tout ce que cette Constitution européenne - un document de 256 pages - avait de positif est passé au second plan. De nombreux sociaux-démocrates européens, dont je me sens proche, prétendaient qu'il s'agissait d'une Constitution ultra-libérale. Peut-être fallait-il, en effet, que ce texte aille plus loin sur le plan social. Mais il faut lui rendre hommage. Sur de nombreux points (le droit à la vie, le droit à des congés payés, etc.), il présente des avancées considérables. Je ne prendrai qu'un exemple : si cette Constitution est finalement adoptée, les Européens pourront défendre leurs droits à l'extérieur de leurs frontières nationales, auprès d'une institution extraterritoriale. Ce n'est pas rien.
R. G. - En France, la campagne sur le référendum a été dominée par les calculs politiciens et les arguments les plus terre à terre. Où est le " rêve européen " dans tout cela ?
J. R. - Ces petites querelles sont inévitables. Les arguments que l'on échange pendant une campagne électorale sont forcément mesquins et réducteurs. Il s'agit d'une comédie qui n'est pas nécessairement jouée par de bons acteurs. Que les électeurs s'intéressent à des problèmes de politique intérieure au lieu de réfléchir à des questions plus abstraites, ce n'est guère …
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