Les Grands de ce monde s'expriment dans

Italie : catholicisme et modernité

Richard Heuzé - À l'heure actuelle, vous pourriez être commissaire européen à la Justice, à la Liberté et à la Sécurité. Le président de la Commission de Bruxelles, José Manuel Barroso, souhaitait vous nommer à ce poste. Mais le 5 octobre dernier, lors des auditions préliminaires à votre désignation devant le Parlement européen, vous avez tenu des propos sur les homosexuels qui ont déclenché un véritable tollé, au point de vous contraindre à renoncer à ce poste. Vous avez qualifié les critiques dont vous avez fait l'objet d'" atteinte inadmissible à la liberté de pensée et d'expression ", expliquant que vos idées personnelles ne préjugeaient en rien de votre comportement politique. Vous avez également dénoncé une campagne " habilement orchestrée " par vos détracteurs. Pourriez-vous revenir sur cet épisode ?
Rocco Buttiglione - Le philosophe français René Girard a écrit que les communautés humaines sont périodiquement traversées par des pulsions purificatrices irrésistibles. Ces pulsions les incitent à sélectionner une victime innocente et à lui attribuer toutes leurs fautes et toutes leurs scélératesses. Eh bien, ce jour-là, c'est tombé sur moi ! C'est pourquoi je ne me plaindrai pas outre mesure. Permettez-moi toutefois de rappeler l'absolue correction de mon comportement. Ce n'est pas moi qui ai introduit le concept de péché qu'on m'a reproché d'avoir évoqué à propos de l'homosexualité. Devant l'insistance de certains parlementaires qui m'interrogeaient sur mes convictions, j'ai répondu en commençant par " I may think " (je pourrais penser). C'est mon droit le plus strict de penser que l'homosexualité est un péché. Surtout, il faut bien comprendre que cette réflexion n'a aucune incidence sur mes décisions politiques, pour la bonne raison qu'en politique prévaut le principe de la non-discrimination et que l'État n'a pas le droit de mettre son nez dans des questions d'ordre privé.
R. H. - Vous êtes-vous senti isolé dans cette épreuve ?

R. B. - Absolument pas. À la suite de cet épisode, j'ai reçu des témoignages de solidarité de la part d'énormément de personnes - d'Italiens, bien sûr, mais aussi d'Espagnols, d'Allemands ou encore de Polonais. Tous ces gens avaient compris que la cabale montée contre moi était, aussi, une menace qui pesait sur la liberté de pensée de chacun. Le scandale suscité par mes propos a constitué une violation du principe libéral qui affirme : j'ai le droit de penser que tu te trompes, mais je suis prêt à donner ma vie pour que tu conserves ton droit de te tromper. Ce principe libéral m'impose de te respecter au nom de la liberté de pensée. Or pour certains, j'étais pratiquement un hérétique qu'il fallait brûler sur le bûcher ! Et s'ils n'y sont pas parvenus, ce n'est pas faute de bonne volonté. Une telle intolérance représente un danger réel pour la démocratie. Aussi ai-je répondu à la sollicitude de tous ceux qui m'avaient envoyé des messages de solidarité. Ils m'ont dit qu'il fallait se battre. Je leur ai répondu : organisons-nous. C'est ce que nous sommes en train de faire.
R. …