Les Grands de ce monde s'expriment dans

Le capitalisme, médecine des pauvres ?

Henri Lepage - Vous avez reçu l'an dernier le prix Milton Friedman décerné par un jury du Cato Institute. De quoi s'agit-il ? D'un prix Nobel pour libéraux ?

Hernando de Soto - En quelque sorte. Mais il est encore trop tôt pour savoir ce que ce prix représente réellement : ce n'était que la seconde fois qu'il était attribué.
H. L. - Le Cato Institute est généralement classé très à droite. Son image est celle d'un think tank ultra-libéral - " libertarien ", comme on dit aux États-Unis pour qualifier la mouvance des libéraux les plus radicaux. Cela vous gêne-t-il ?

H. S. - Ce que vous dites est vrai. Mais j'ai été très surpris par la liste des membres du jury. Tous ne sont pas des libéraux acharnés. On y trouve, entre autres, un journaliste du comité éditorial du Washington Post - un quotidien qui n'est pas particulièrement tendre pour les idées libérales. Je n'ai pas le sentiment d'avoir été honoré uniquement par un comité de libertariens patentés. D'ailleurs, ce prix m'a valu les félicitations de nombreuses personnalités américaines qui n'ont rien à voir avec les milieux de la droite républicaine traditionnelle.
H. L. - Qui donc ?

H. S. - Madeleine Albright, le président Bill Clinton, ou encore le sénateur Dick Gephardt. Cela prouve que cette récompense est prise au sérieux, et que l'institut qui la décerne est, lui aussi, considéré comme un organisme crédible. À Washington, le Cato est désormais une maison hautement respectée.
H. L. - Quelles sont les raisons de son succès ?

H. S. - Le Cato doit sa réputation à la rigueur de ses principes intellectuels. Ce qui, malgré les liens qui le rattachent à la droite américaine, le conduit à adopter des positions très critiques envers les idées conservatrices traditionnelles. C'est là sa force.
H. L. - À lire vos ouvrages, et surtout vos articles, j'ai le sentiment que vous partagez cette méfiance vis-à-vis des courants conservateurs...

H. S. - Tout à fait, et de manière encore plus viscérale. Ne serait-ce que parce que ceux qui chez nous, en Amérique latine ou dans le tiers-monde, se disent " conservateurs " ou libéraux n'ont, le plus souvent, rien de commun avec les conservateurs ou les libéraux tels qu'on les conçoit en Europe ou aux États-Unis. Ce qu'ils désirent conserver est très différent de ce à quoi se réfèrent les conservateurs américains.
H. L. - Vous avez accordé à la chaîne de radio américaine PBS une très longue interview où vous vous montrez extrêmement sévère envers les élites politiques de votre pays, notamment celles qui s'affichent comme " libérales " et que vous accusez de trahir ce capitalisme pour la défense duquel elles prétendent militer. Pourquoi ?

H. S. - La classe politique politique péruvienne s'affuble de l'étiquette conservatrice ou libérale, mais elle n'a jamais réellement adhéré aux idées d'un Thomas Jefferson, d'un George Mason ou même d'un Benjamin Franklin. Ses héros sont encore Francisco Pizarro ou Hernando de Soto (1), les hommes …