Le Liban après le retrait syrien
Au Liban, tout est à revoir sur de nouvelles bases. Comme le dit le cinéaste syrien Omar Amirallaï, dans la préface à un ouvrage récent de l'universitaire franco-libanais Samir Kassir (La Démocratie de la Syrie et l'indépendance du Liban), ces deux peuples sont, du fait de la politique libanaise du pouvoir syrien, comme le " vicomte " du roman d'Italo Calvino Le Vicomte pourfendu, coupés en deux moitiés : l'une faisant le mal, l'autre le bien, mais qui finissent par se rejoindre pour l'amour d'une femme. Syriens et Libanais sont unis par la géographie, l'Histoire, les liens du sang, les affinités sociales et les intérêts. Le 2 juin, Samir Kassir a été assassiné à Beyrouth dans un attentat dont l'ensemble des Libanais attribuent spontanément la responsabilité aux " services " de leur grand voisin, en attendant les résultats d'une enquête à laquelle participent la France et les États-Unis.
Lorsque, après les accords de Taëf (1989) qui ont mis fin à la guerre intestine au Liban, Damas et Beyrouth ont scellé leurs relations par un accord, le ton était pratiquement donné par l'intitulé du texte : " Traité d'amitié, de coopération et de coordination. " On imagine aisément lequel des deux pays en était l'inspirateur, tant cette appellation à consonance soviétique rappelle les années 1970, du temps où, dans le jeu des alliances régionales, Moscou s'était trouvé des " amis " en Égypte et en Syrie. Il s'agissait alors d'accords essentiellement militaires, en vertu desquels l'URSS assurait l'armement de ses alliés et leur apportait un contrepoids, y compris politique, au soutien multiforme que les États-Unis fournissaient à Israël, ainsi qu'à l'" amitié " qui liait Washington à certains pays arabes, tels l'Arabie saoudite et la Jordanie.
En dépit de son intitulé, le traité syro-libanais, signé en 1991, couvre un champ extrêmement vaste, touchant à tous les secteurs de la vie ou presque. Outre qu'il consacrait la présence militaire syrienne au Liban - déjà vieille de quinze ans -, dont les effectifs s'élevaient à l'époque à quelque 40 000 hommes, le texte mettait en place entre les deux pays une étroite coordination sécuritaire et ouvrait la voie à des relations " privilégiées " tous azimuts. Au cours de la décennie suivante, pas moins de vingt-cinq accords bilatéraux ont été signés, dans les domaines de la politique, de l'économie, des affaires sociales, de la culture, etc.
Le retrait forcé, au printemps 2005, sous la pression de la communauté internationale et du soulèvement des Libanais, des quelque 14 000 soldats et 5 000 agents des services de renseignement syriens encore présents sur le terrain devrait mettre fin à l'ingérence de Damas dans les affaires intérieures libanaises. Celle-ci était dévolue au chef des services de renseignement de l'armée syrienne pour le Liban, en coopération avec ses homologues libanais, principalement le chef de la Sûreté générale. L'ingérence pourrait, certes, continuer à distance ou par l'intermédiaire d'agents libanais et syriens maintenus discrètement sur place, mais sa capacité de nuisance au quotidien …
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