Ainsi s'installe ce qui constitue la crise la plus grave de l'histoire de la construction européenne. Cette crise ne fait que commencer. Elle est appelée à durer des mois ou même des années. Comme toute crise, elle promet bien des retournements et son issue est fondamentalement incertaine. L'enjeu n'est plus le projet de Traité constitutionnel, mais l'avenir même de toute la construction de l'Union. Le " navire " européen conserve des atouts, mais des coups répétés de gouvernail le font dangereusement tanguer et peuvent finir par le renverser.
Une crise annoncée
- Le déraillement constitutionnel s'inscrit dans des évolutions de fond qui prennent forme dès les années 1970. L'Europe occidentale renaît magnifiquement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec les Trente Glorieuses (1945-1975). Mais elle négocie mal le virage majeur qu'annoncent les turbulences monétaires et les chocs pétroliers des années 1970. L'Europe occidentale - et, d'abord, ses trois " colosses " continentaux (Allemagne, France et Italie) - s'installe dans une croissance molle et un chômage de plus en plus insoluble. Bien sûr, dans le sillage du choc thatchérien de la décennie 1980, certains de ses membres procèdent à des réformes importantes : c'est le cas, en particulier, du Royaume-Uni et des Pays-Bas. La Communauté européenne a de beaux sursauts : la période 1982-1985 voit la réalisation du Grand marché intérieur ; en 2002, douze pays adoptent l'euro. Mais la construction européenne souffre inexorablement de la lente dégradation de la situation économique et sociale. En 1992, le traité de Maastricht créant l'Union européenne est ratifié de justesse, notamment en France. Comment le projet de Traité constitutionnel que cette même France vient de rejeter pouvait-il être à l'abri des aléas de ce processus long et complexe qu'est la mise en place d'une Union politique ?
- Ces décennies chaotiques (1970, 1980, 1990) détériorent gravement les tissus économiques et sociaux des États membres. Le cas de l'Italie résume le drame européen. Stimulé par l'Europe, ce pays se modernise en tirant pleinement profit du talent de ses petites entreprises. Mais l'Italie ne parcourt que la moitié du chemin : le fossé entre le Nord et le Sud n'est pas résorbé ; le capitalisme italien reste concentré dans les mains de quelques grandes familles ; et la dévaluation régulière de la lire agit comme une drogue qui réinjecterait dans le circuit économique la compétitivité détruite par l'inflation. Puis, tout se durcit brutalement : le carcan de l'euro retire à Rome la capacité de dévaluer ; la concurrence, en particulier dans le domaine du textile, se mondialise ; les faiblesses de l'Italie deviennent éclatantes, symbolisées par l'effondrement de l'un des étendards de son industrie, Fiat.
- La construction européenne est un édifice inachevé, donc vulnérable. Il est vrai que de grandes choses ont été réalisées. La construction européenne peut sembler irréversible. Mais le marché unique, même s'il est stabilisé par les milliers de pages de l'acquis communautaire, continue de se heurter à de multiples limites : maintien de réseaux exclusifs de distribution (par exemple, dans …
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