Isabelle Lasserre - Après le double " non " français et néerlandais, dans quel état l'Europe se trouve-t-elle ?
Jean-Claude Juncker - L'Europe traverse une crise profonde, bien plus profonde qu'on ne le pense. Je m'en suis rendu compte dès le mois de juin lors du sommet de Bruxelles sur le budget de l'UE. J'ai alors entendu un certain nombre de premiers ministres du nord du continent m'expliquer qu'ils n'étaient plus d'accord pour mettre à disposition de l'Europe des volumes financiers destinés à accélérer le développement économique des régions du Sud ou des nouveaux pays membres. Ces propos, dont je connaissais l'existence, mais qui jusque-là étaient formulés avec gêne et retenue, étaient proférés sur le ton de la conviction. En fait, le " non " à la Constitution a fait resurgir toutes sortes d'arrière-pensées et de ressentiments dont on pensait qu'ils avaient disparu de nos grilles de lecture.
I. L. - Comment expliquez-vous ce phénomène ?
J.-C. J. - Les liens de solidarité et de partage qui faisaient la force de l'Europe sont en train de se rompre. On s'aperçoit aujourd'hui que ce qu'on croyait être l'idéal européen était moins motivé par la générosité que par l'intérêt. Si l'on s'en tient à une lecture simple, on dira que la majorité des citoyens a rejeté la Constitution européenne. Mais en réalité, dans ces deux pays - et dans d'autres, qui n'ont pas eu le courage de procéder à un référendum comme je l'ai fait au Luxembourg -, c'est un rejet de l'Europe en tant que telle qui s'est exprimé à travers le " non ".
I. L. - Les Européens ont décidé de s'accorder une pause de réflexion. Sur quelles solutions cette pause peut-elle déboucher ?
J.-C. J. - Nous avons, en effet, laissé l'avenir de l'Europe à la réflexion de chaque État membre. Ma crainte, c'est que les discours se nationalisent de façon radicale et qu'à la fin de cette période que nous voulions salvatrice nous nous trouvions aux prises avec des contradictions insurmontables. Les projets des différents pays risquent de s'entrechoquer, voire de se heurter frontalement. Ceux qui ont pris la responsabilité de l'échec de la Constitution ne savent pas vers quel port ils nous ont embarqués !
I. L. - Quels sont les scénarios possibles ? Et quel est, à vos yeux, le plus probable ?
J.-C. J. - Il y avait, dès le début, trois scénarios. Premièrement, tous les pays ratifient du premier coup : il ne faut plus y penser. Deuxièmement, une déclaration annexée au traité constitutionnel prévoit que si un ou plusieurs pays connaissent des problèmes lors du processus de ratification, c'est au Conseil européen de se saisir de la question. Troisième hypothèse : si plus de cinq États membres rejettent le texte, la Constitution est morte. J'ai l'espoir de voir se réaliser le deuxième scénario. Il reviendra alors au Conseil européen d'écouter les pays qui n'ont pas pu ratifier d'ici là avant de proposer des issues possibles.
I. L. - Faut-il continuer le processus …
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