Grégory Rayko - Vous appelez de vos vœux une évolution démocratique de la Russie. Or il ne saurait y avoir de démocratie sans véritable société civile. Estimez-vous que cette société civile existe dans votre pays ? Vos concitoyens sont-ils prêts à s'engager dans les affaires publiques ?
Mikhaïl Khodorkovski - Bien sûr qu'ils sont prêts ! Je n'aime pas du tout l'idée selon laquelle les Russes seraient inaptes à la politique. Dois-je vous rappeler que ce sont précisément les citoyens russes qui ont sauvé le pays au début du XVIIe siècle, alors qu'il se trouvait sur le point de disparaître (3) ? Et n'oubliez pas ce qui s'est passé en août 1991. Quoi que l'on pense du tremblement de terre géopolitique qui s'ensuivit - le démantèlement de l'URSS -, il faut bien admettre que c'est le sursaut citoyen des Russes qui a mis en échec le putsch des conservateurs (4). Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui la société civile proprement dite est seulement en train de se former. Mais elle se développe bien plus rapidement que le Kremlin le souhaiterait. Mon cas personnel en offre un bon exemple : à l'occasion de mon procès, des centaines de personnes, jeunes et beaucoup moins jeunes, habitant aux quatre coins du pays, se sont rendues à Moscou pour m'apporter leur soutien. Pour ces gens, ce voyage, effectué à leurs propres frais, n'avait rien d'une lubie. Ils l'ont effectué car leurs convictions leur disaient que c'était la bonne chose à faire, en dépit des risques qu'ils encouraient et des menaces directes dont ils faisaient l'objet. Ces citoyens étaient persuadés que, pour l'avenir de la Russie, pour leurs propres enfants, il était nécessaire que leurs voix se fassent entendre. Et ce n'est pas tout. Savez-vous combien de lettres je reçois à mon centre de presse (5) et directement ici, en prison ? Plusieurs milliers par mois ! Et cela, alors même que ceux qui m'écrivent savent bien que leurs missives sont attentivement étudiées par les autorités et que chaque individu qui entre en relation avec ce détenu " subversif " que je suis risque fort d'être fiché. À mon sens, une société civile apparaît lorsque les citoyens commencent à exprimer leur point de vue à la première personne, lorsqu'ils se permettent de dire : " Je pense ", " Je sais ", " Je m'engage à agir ". Et c'est bel et bien ce à quoi l'on assiste.
G. R. - Selon vous, la construction de cette société civile peut-elle encore être remise en question ?
M. K. - Malheureusement, oui. Si, dans les années à venir, de véritables infrastructures permettant à cette société civile de fonctionner ne sont pas mises en place, alors nous risquons tout simplement de perdre la génération suivante. Les meilleurs cerveaux quitteront la Russie, pour la bonne raison que des personnes intelligentes, talentueuses et ambitieuses refuseront de vivre dans un pays soumis à l'arbitraire bureaucratique actuel. Aujourd'hui, le pouvoir ne pense qu'à une seule chose : comment continuer de se …
Mikhaïl Khodorkovski - Bien sûr qu'ils sont prêts ! Je n'aime pas du tout l'idée selon laquelle les Russes seraient inaptes à la politique. Dois-je vous rappeler que ce sont précisément les citoyens russes qui ont sauvé le pays au début du XVIIe siècle, alors qu'il se trouvait sur le point de disparaître (3) ? Et n'oubliez pas ce qui s'est passé en août 1991. Quoi que l'on pense du tremblement de terre géopolitique qui s'ensuivit - le démantèlement de l'URSS -, il faut bien admettre que c'est le sursaut citoyen des Russes qui a mis en échec le putsch des conservateurs (4). Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui la société civile proprement dite est seulement en train de se former. Mais elle se développe bien plus rapidement que le Kremlin le souhaiterait. Mon cas personnel en offre un bon exemple : à l'occasion de mon procès, des centaines de personnes, jeunes et beaucoup moins jeunes, habitant aux quatre coins du pays, se sont rendues à Moscou pour m'apporter leur soutien. Pour ces gens, ce voyage, effectué à leurs propres frais, n'avait rien d'une lubie. Ils l'ont effectué car leurs convictions leur disaient que c'était la bonne chose à faire, en dépit des risques qu'ils encouraient et des menaces directes dont ils faisaient l'objet. Ces citoyens étaient persuadés que, pour l'avenir de la Russie, pour leurs propres enfants, il était nécessaire que leurs voix se fassent entendre. Et ce n'est pas tout. Savez-vous combien de lettres je reçois à mon centre de presse (5) et directement ici, en prison ? Plusieurs milliers par mois ! Et cela, alors même que ceux qui m'écrivent savent bien que leurs missives sont attentivement étudiées par les autorités et que chaque individu qui entre en relation avec ce détenu " subversif " que je suis risque fort d'être fiché. À mon sens, une société civile apparaît lorsque les citoyens commencent à exprimer leur point de vue à la première personne, lorsqu'ils se permettent de dire : " Je pense ", " Je sais ", " Je m'engage à agir ". Et c'est bel et bien ce à quoi l'on assiste.
G. R. - Selon vous, la construction de cette société civile peut-elle encore être remise en question ?
M. K. - Malheureusement, oui. Si, dans les années à venir, de véritables infrastructures permettant à cette société civile de fonctionner ne sont pas mises en place, alors nous risquons tout simplement de perdre la génération suivante. Les meilleurs cerveaux quitteront la Russie, pour la bonne raison que des personnes intelligentes, talentueuses et ambitieuses refuseront de vivre dans un pays soumis à l'arbitraire bureaucratique actuel. Aujourd'hui, le pouvoir ne pense qu'à une seule chose : comment continuer de se …
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