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Union européenne : les racines de la crise

Les raisons immédiates du vote français du 29 mai 2005 ne manquent certes pas : impopularité des autorités nationales ; erreurs tactiques des partisans du " oui " ; défauts intrinsèques du traité constitutionnel. Elles ne suffisent pourtant pas à tout expliquer. Elles pourraient même masquer la gravité de la situation. Seule une analyse des ressorts plus secrets, bien plus anciens, du " non " français peuvent ouvrir des voies nouvelles : qu'est-ce qui, dans l'histoire de France, dans les rapports des Français à la démocratie, à la liberté et à l'égalité, au centralisme, explique leur singulière réaction ? Parmi les concepts chers à Tocqueville, trois d'entre eux semblent particulièrement pertinents pour nous éclairer : tout d'abord, le goût français pour les révolutions, quand l'Union européenne appelle l'esprit de compromis ; ensuite, la dialectique qui existe en France, depuis 1789, entre égalité et liberté ; enfin, l'organisation longtemps centralisée des pouvoirs publics.
Ces réflexions ne prétendent pas apporter des solutions toutes faites pour sortir l'UE de la crise. Toutefois, sans l'appréciation, à sa juste valeur, du caractère extraordinaire de la construction communautaire, sans prise de conscience de certains archaïsmes nationaux, il ne saurait y avoir de rebond. Et sans surestimer le rôle de la France en Europe, un renouvellement des réflexions et des pratiques politiques dans ce pays est indispensable pour rendre au projet communautaire vigueur et vraisemblance. Le recours à Tocqueville est donc plus une invitation à l'humilité et à la réflexion que le souci de plaquer sur le présent des solutions du passé, si brillantes soient-elles.
Révolution et compromis
L'intégration communautaire est une révolution douce. Révolutionnaire, elle l'est incontestablement par l'ampleur du chantier et les résultats obtenus : prévenir la guerre au point de banaliser la paix ; nouer entre des nations anciennes, longtemps rivales, des liens juridiques et politiques assez forts pour qu'elles acceptent de partager un Parlement élu au suffrage universel direct, une Cour suprême et une Banque centrale communes ; créer un espace économique unifié. Les moyens employés n'en furent pas moins doux. Progressant par étapes, sans rupture, la CEE puis l'UE ont été bâties à partir de compromis et de concessions mutuelles.
Tout comme les Français du XVIIIe siècle n'avaient pas vu la France changer en profondeur sous l'influence des Lumières et l'effet des réformes administratives menées par l'administration royale, leurs descendants n'ont pas mesuré les mutations opérées par la construction communautaire. Même les partisans les plus convaincus de celle-ci ont peu expliqué son extraordinaire radicalité. Les changements qu'elle impliquait en termes d'organisation publique et de pratiques politiques, d'éducation et de mentalités, ont été ignorés. Les institutions nationales sont largement restées inchangées : ainsi, en France, la Constitution de la Ve République ne sera modifiée qu'en 1992, avec l'adoption du traité de Maastricht, pour renforcer un peu les pouvoirs du Parlement national ; en RFA, c'est aussi dans les années 1990 que Bundesrat et Bundestag commencent à être associés aux procédures communautaires.
Les souverainistes ont ainsi eu le champ libre. Les contributions critiques mais …