Entretien avec Ariel Sharon par Uri Dan, Journaliste et écrivain israélien
Uri Dan - À l'ONU, où Israël a souvent été condamné du fait de ses opérations militaires ou des campagnes d'implantation menées sous votre autorité, on vous déroule le tapis rouge. En France, alors qu'il vous considérait jusque-là comme un " bloc de béton ", le président Jacques Chirac vous reçoit à l'Élysée avec tous les honneurs. Qu'est-ce qui, à votre avis, explique ce changement d'attitude ?
Ariel Sharon - Plusieurs facteurs ont probablement joué, mais c'est surtout ma décision de quitter la bande de Gaza et d'engager l'État d'Israël dans une voie à haut risque qui a été décisive. Peut-être ne m'a-t-on pas vraiment cru, ou a-t-on douté de ma capacité à accomplir cette démarche à cause de son extrême difficulté. Il me semble, cependant, que la France et l'ONU y ont vu une possibilité de remettre en marche le processus politique.
U. D. - À moins que ce désengagement ne soit interprété comme une faiblesse qui permettrait à l'ONU ou à certains États de manœuvrer sur le dos d'Israël au profit des Arabes, comme ce fut longtemps le cas...
A. S. - Je ne crois absolument pas que ma démarche soit interprétée comme un aveu de faiblesse. Lors de mes entretiens avec divers chefs d'État, j'ai expliqué très clairement ce que j'étais ou n'étais pas disposé à faire concernant nos relations avec les Palestiniens. Je pense qu'ils ont été sensibles au fait qu'Israël était prêt à prendre une initiative aussi douloureuse et complexe que celle-ci pour remettre le processus politique sur les rails.
U. D. - Mais que signifie le processus politique, à leurs yeux et aux vôtres ?
A. S. - Pour moi, c'est la possibilité d'atteindre une situation de pourparlers. Nous en sommes à la " pré-feuille de route " (2) et non à la feuille de route. Il n'existe aujourd'hui aucun plan de rechange, et il est impossible d'obliger Israël à en envisager un. Nous avons accepté la feuille de route, assortie de nos réserves. Si les Palestiniens font ce qui leur incombe, il sera possible de discuter du processus politique. Ce processus devrait permettre - et je le dis avec de nombreux points d'interrogation - de créer un environnement propice à la coopération, non seulement avec les Palestiniens - ce qui est déjà très difficile en soi -, mais aussi avec d'autres pays musulmans : ceux qui, bien entendu, seraient intéressés.
U. D. - Qu'avez-vous ressenti à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, où Israël et vous-même avez été tant de fois cloués au pilori ?
A. S. - En soixante-dix-sept ans d'existence, j'ai vécu toutes sortes d'expériences. Les embrassades ne me font pas sauter de joie, pas plus que les attaques ne m'abattent. Je l'ai rappelé sans ambages à tout le monde : Américains, Français, Russes, Turcs, Indiens et bien d'autres. Je leur ai toujours dit que j'étais prêt à faire des concessions douloureuses et je leur ai expliqué pourquoi elles étaient douloureuses. Je ne leur ai pas caché, non plus, que je n'avais pas l'intention de renoncer à quoi que ce soit en matière de sécurité et que je n'accepterai aucune intervention dans des décisions liées aux besoins sécuritaires d'Israël. Je l'ai répété il y a quelques semaines au ministre espagnol des Affaires étrangères Miguel Moratinos, ainsi qu'au général Omar Souliman, chef des services de renseignement égyptiens. Nous avons déployé une batterie d'artillerie et, une fois achevé le retrait de la bande de Gaza, nous réagirons de la façon la plus implacable à toute action offensive.
U. D. - Que signifie " nous avons déployé une batterie d'artillerie " ?
A. S. - C'est clair : au moindre tir contre Israël en provenance de Gaza, nos unités d'artillerie ont pour ordre de répliquer avec la plus grande fermeté. J'en ai averti les Arabes, afin qu'il n'y ait aucun secret. Je l'ai dit aux Américains et à tous les Européens de la façon la plus explicite, et j'ai la ferme intention de m'y tenir. Il est faux de dire que le désengagement est une démarche sans contrepartie pour Israël. Il n'est pas de calomnies, de violences verbales, d'insultes, d'affronts ou d'injures qui n'aient été proférés à mon encontre. Mes opposants disent que j'ai conclu un accord avec les Américains, pas avec les Arabes. C'est vrai, je fais encore davantage confiance aux Américains qu'aux Arabes ! Nous n'avons jamais obtenu autant qu'avec cet accord. Non pas que cela ait été facile. Je me suis rendu une bonne dizaine de fois aux États-Unis pour d'âpres discussions.
U. D. - Pourtant, vous ne pouvez pas construire entre Jérusalem et Maalei Adoumim (3)...
A. S. - Laissez-nous nous en occuper. La construction va bon train un peu partout et je vous affirme que nous continuerons à construire dans les grands blocs d'implantations.
U. D. - Vous avez maintes fois réaffirmé - notamment à Crawford au Texas, au côté du président Bush - votre volonté de conserver les grands blocs d'implantations qui présentent une continuité territoriale avec l'État d'Israël. Ne craignez-vous pas de vous heurter à l'administration américaine à ce sujet ?
A. S. - Non, au contraire. D'ailleurs, on continue d'y construire.
U. D. - Mais qu'en est-il des risques de tension entre Jérusalem et Washington ?
A. S. - Chaque fois que la venue en Israël d'un haut fonctionnaire américain est annoncée, les médias s'empressent de décrire à l'avance la forte pression que nous aurons à subir. Au cours de toutes ces visites, je n'ai jamais ressenti la moindre pression, ni dans les propos ni dans les démarches. Ces commentateurs ne semblent pas comprendre qu'un émissaire ne vient pas nécessairement chercher querelle. Leurs articles de mauvais augure m'ont toujours fait sourire.
U. D. - Les Américains attendaient peut-être que le désengagement fût achevé avant de recourir aux pressions...
A. S. - Pourquoi un journaliste sérieux comme vous, qui connaît bien la question et qui en parle depuis des années, accepte-t-il de participer à la sinistrose ambiante ? Aucune pression ne s'exerce sur Israël. Les …
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