Entretien avec David Cameron, Chef du Parti conservateur britannique décembre 2005 et 2010. Premier Ministre entre Mai 2010 et Ju par Brigitte ADÈS
Brigitte Adès - Élu en décembre dernier à la tête du Parti conservateur, vous êtes - dit-on - un Tony Blair de droite, l'homme dont les qualités feront mordre la poussière aux Travaillistes lors des prochaines élections...
David Cameron - Je laisse à ceux qui m'ont élu le soin de faire des pronostics aussi personnalisés ! Mon rôle à moi consiste, simplement, à mettre en place, dans les trois prochaines années, le programme qui nous permettra de remporter la victoire.
B. A. - Sur quels domaines allez-vous concentrer votre action ?
D. C. - Nous ferons de la création de richesses et de la suppression de la pauvreté les thèmes centraux de notre programme. Les valeurs conservatrices doivent contribuer à instaurer un vrai marché libéral qui profitera au plus grand nombre. Depuis dix ans, le pays a connu une croissance soutenue ; mais, dans les régions les plus défavorisées, la pauvreté n'a pas été éliminée. Les premiers barreaux de l'échelle sociale sont cassés. Une fois au pouvoir, nous les réparerons un à un.
B. A. - Pourquoi pensez-vous que vous allez réussir là où Tony Blair a échoué ? N'avait-il pas, lui aussi, fait de la redistribution des richesses une priorité absolue de sa politique ?
D. C. - La stratégie du " welfare to work " (1) lancée par Tony Blair et son ministre des Finances, Gordon Brown, n'a pas eu les effets escomptés. Pour une raison simple : le gouvernement a abordé la question avec un esprit trop bureaucratique. Les demandeurs étaient soumis à un interminable questionnaire écrit (2) : des pages et des pages de formulaires qui devaient permettre de mieux cibler les aides et de distribuer l'argent à ceux qui en avaient le plus besoin. Résultat : des millions de nécessiteux rebutés par cette approche et craignant de ne pas être capables de s'acquitter d'une tâche aussi complexe ont jeté l'éponge. Ce qui les a privés du soutien auquel ils avaient droit. Ne vous méprenez pas : je ne doute pas un seul instant des bonnes intentions de Tony Blair et de Gordon Brown. Mais la bureaucratie fait partie intégrante de leur système de pensée.
B. A. - En quoi consiste le " conservatisme compassionnel " dont vous vous réclamez ?
D. C. - Le conservatisme compassionnel est un programme à long terme qui s'adresse aux exclus de la croissance. L'élaboration des détails de cette politique prendra des années mais les lignes générales sont déjà connues. Nous réduirons graduellement la paperasserie et les démarches administratives ; nous impliquerons la société civile et les organisations caritatives aux côtés des services publics ; nous encouragerons les initiatives solidaires de proximité. Nous devons admettre que les associations locales, les organisations à but non lucratif et les entreprises sociales (3) sont les mieux placées pour détourner un jeune de sa vie de délinquant, lui donner envie de prendre son destin en main et de devenir autonome financièrement. Parfois, pour franchir les premiers échelons de l'autonomie, l'aide de gens bien intentionnés est plus utile que l'argent. Établissons donc des zones d'action sociale sur le modèle des " zones d'entreprise " des années 1980 (4) ! Il faut, aussi, laisser les coudées franches au secteur du volontariat et veiller à ce que les autorités publiques cessent de contrôler les moindres faits et gestes des bénévoles. C'est de cette manière que nous donnerons à ces personnes remarquables les moyens d'agir efficacement.
B. A. - Quels autres défis devrez-vous relever une fois que vous serez au pouvoir ?
D. C. - D'abord, l'éducation. La Grande-Bretagne ne s'est pas donné les moyens de faire éclore les talents. L'éducation primaire et secondaire manque de rigueur. Quant aux universités, elles sont freinées, elles aussi, par une bureaucratie centralisée qui leur dicte ce qu'elles doivent enseigner, combien elles doivent dépenser... et jusqu'au profil des étudiants qu'elles doivent admettre ! Elles ont besoin de plus de ressources et de moins de directives gouvernementales. Nous ne devons pas nous contenter de reproduire Oxford et Cambridge ; il faut également associer les universités au monde du travail. Pourquoi ne pas nous inspirer du modèle américain ? Chacun sait, par exemple, que, sans les efforts de l'université de Stanford, en Californie, des compagnies comme Cisco Systems n'auraient sans doute pas vu le jour... Ensuite, les transports : nous avons les transports les plus inefficaces, les routes les plus embouteillées et les trajets les plus longs pour se rendre au travail de toute l'Europe ! La ponctualité de nos trains s'est encore dégradée depuis 1997. C'est pourquoi il est nécessaire de lancer un programme de construction de nouvelles voies d'accès et d'introduire des méthodes modernes de gestion du trafic. Ces réformes seront financées par les usagers, qui paieront en fonction de la fréquence et des heures de leur passage.
B. A. - Vous vous livrez à un véritable réquisitoire contre les méthodes centralisées du gouvernement actuel. Ce gouvernement n'a-t-il pas, néanmoins, adopté certaines mesures qui suscitent votre approbation ?
D. C. - Si. Dès leur accession au pouvoir, les Travaillistes ont pris une excellente décision en accordant son indépendance à la Banque d'Angleterre. Ce système fonctionne très bien. Malheureusement, pour le reste, la politique monétaire du gouvernement a été désastreuse. Gordon Brown s'est montré incapable de maintenir les dépenses publiques à un niveau acceptable. Il est irresponsable de les avoir augmentées de 37 % entre 1999 et 2004. Et il serait insensé de continuer. Or, selon les prévisions du gouvernement, les dépenses publiques devraient avoir augmenté de 86 % au total sur la période 1999-2009 !
B. A. - Ne fallait-il pas accroître les dépenses pour financer les améliorations des services publics ? Comment le gouvernement aurait-il dû s'y prendre ?
D. C. - Le ministre des Finances a emprunté 35 milliards de livres sterling. Or, au stade du cycle économique où nous nous trouvions, nous aurions dû être en excédent ! De plus, Gordon Brown a augmenté les impôts. Conséquence : notre impôt sur les entreprises qui, il y a cinq ans, …
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