Les Grands de ce monde s'expriment dans

ISRAEL-PALESTINE: PLAIDOYER POUR UNE SEPARATION

par Alexandre Del Valle, essayiste et éditorialiste

Alexandre del Valle - Vous avez été nommé, en novembre 2006, vice-premier ministre dans le gouvernement d'Ehoud Olmert. Pour quelle raison avez-vous décidé de rejoindre cette équipe ?

Avigdor Lieberman - Mon objectif est d'introduire un réel changement dans la vie politique israélienne. En acceptant cette charge, je mesure les risques que je prends car mon électorat n'aime pas ce gouvernement. Mais, au final, ce sont les citoyens d'Israël qui auront le dernier mot : ils me jugeront sur mes résultats et choisiront, en toute connaissance de cause, de voter ou de ne pas voter pour mon parti.

A. d. V. - Pendant la guerre contre le Hezbollah au Liban, vous avez exprimé de vives critiques à l'encontre du gouvernement Olmert dont vous faites désormais partie. Comment avez-vous réussi à faire taire vos réticences ?

A. L. - Au lendemain de la guerre de cet été, j'ai été confronté à un dilemme : devais-je m'engager dans une épreuve de force et provoquer de nouvelles élections, ce qui aurait plongé le pays dans une période d'incertitude et d'attentisme, ou bien devais-je, au contraire, rejoindre les rangs du gouvernement ? Comme vous le savez, j'ai opté pour la seconde solution. J'estime avoir fait le bon choix pour la nation, même si je ne suis pas sûr d'en tirer un quelconque bénéfice électoral. Ma présence au sein du cabinet va permettre au pays de se ressaisir et de préparer sereinement le prochain round contre le Hezbollah. À mon avis, les hostilités ne vont pas tarder à reprendre.

A. d. V. - Pardonnez-moi d'insister, mais n'aurait-il pas été plus cohérent de rester à l'écart d'un gouvernement contre lequel, il y a quelques mois à peine, vous n'aviez pas de mots assez durs ?

A. L. - Je vous l'ai dit : si j'ai accepté de participer à ce gouvernement, c'est que j'espère peser sur ses orientations politiques. L'une des seules conditions que j'ai posées au premier ministre Ehoud Olmert était qu'il abandonne le « plan de convergence » (3) et il l'a fait.

A. d. V. - Pourquoi avez-vous créé un nouveau parti alors que le Likoud existe déjà et qu'il se réclame des mêmes idées que vous ?

A. L. - Il y avait place pour un vrai parti de droite en Israël dans la mesure où de nombreux partis défendent des positions « de droite » sur certains sujets, par exemple sur les problèmes de « restitution de territoires », mais s'en écartent en matière économique ou sociale.

A. d. V. - Qu'est-ce qui vous distingue des autres partis de droite ?

A. L. - Nous sommes pour l'économie de marché et pour les privatisations. Mais, à la différence du Likoud, nous voulons accompagner ces mutations d'une politique sociale plus humaine. Nous reprochons au Likoud et à M. Netanyahou d'avoir rompu avec les valeurs fondatrices du mouvement créé par Jabotinsky (4), ce que l'on a appelé les « cinq M » : nourriture, logement, soins médicaux, éducation et habillement (5). Ces cinq piliers constituent toujours la base de notre programme social et de lutte contre la pauvreté.
Les Occidentaux, qui s'imaginent trop souvent que les Juifs sont tous riches, doivent savoir que de nombreux Israéliens sont pauvres. Ce phénomène a été aggravé par la crise économique et les conséquences du terrorisme. On ignore aussi qu'avec l'arrivée massive, au cours des vingt dernières années, de Juifs originaires des pays de l'ex-bloc de l'Est ou d'Éthiopie, le visage d'Israël a changé. Les gouvernements israéliens doivent se sentir responsables vis-à-vis des nouveaux pauvres et des immigrants dont les conditions de vie sont parfois extrêmement précaires. Attention : nous ne disons pas la même chose que la gauche israélienne interventionniste. Nous sommes profondément attachés au libéralisme économique. Mais nous estimons que les plus fragiles doivent bénéficier de l'aide de l'État. La puissance publique a l'obligation de fournir de quoi se nourrir et un logement décent aux enfants vivant au-dessous du seuil de pauvreté. Il faut que ces jeunes soient scolarisés et qu'ils puissent grandir dans des conditions acceptables. Lorsque le secteur privé est incapable de subvenir aux besoins des plus démunis, l'État doit se substituer à lui. Ce principe vaut également pour des problèmes majeurs comme le cancer : nous ne pouvons pas laisser mourir les pauvres qui n'ont pas les moyens de se payer des traitements coûteux. Sur ce plan, Netanyahou est impitoyable. C'est ce qui nous sépare de lui.

A. d. V. - Votre parti représente-t-il, comme on le dit, le « vote russe » ? Les Israéliens d'origine russe sont-ils plus à droite que la moyenne ?

A. L. - Les Russes ne sont pas plus « à droite » que les autres Israéliens. Ils sont simplement plus exigeants et plus cohérents avec eux-mêmes. Leur priorité est la sécurité et ils votent pour ceux qui leur semblent le mieux à même de la leur garantir, quelle que soit leur couleur politique. En 1996, ils ont voté pour Bibi Netanyahou ; en 1998 pour Ehoud Barak ; puis en 2000 pour Ariel Sharon. Aujourd'hui, ils sont déçus ; ils estiment que tous ces dirigeants ont failli à leur mission qui était de protéger le peuple israélien contre les attentats et les agressions, et ils se tournent massivement vers notre parti. Leur attitude est logique et elle n'est pas liée à mes origines russes.

A. d. V. - Quelle est, selon vous, la nature du conflit qui oppose les Palestiniens du Hamas ou les Libanais pro-iraniens du Hezbollah à l'État hébreu ?

A. L. - D'après moi, ce conflit n'est que la manifestation locale d'un « choc des civilisations » global entre toutes les sociétés pluralistes non musulmanes et les terroristes islamistes anti-occidentaux. Qu'il s'agisse de Bali, Manhattan, Moscou, Beslan, Madrid ou Londres, les attentats islamistes commis à travers le monde ne concernent en rien Israël et sont totalement étrangers à la question palestinienne. C'est que le problème va bien au-delà du « conflit israélo-palestinien » stricto sensu. Aucun grand leader arabe, aucune autorité religieuse …