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LA LETTONIE EST DE RETOUR!

Entretien avec Vaira Vike-Freiberga, Présidente de la République de Lettonie par Céline Bayou, Chargée de cours à l’INALCO, membre associée du CREE (Centre de Recherches Europes-Eurasie – INALCO)

n° 114 - Hiver 2007

Vaira Vike-Freiberga

Céline Bayou - Madame la Présidente, votre parcours est assez atypique : après avoir passé cinquante-quatre ans en exil, vous décidez de rentrer en Lettonie en 1998. Pourquoi ?

Vaira Vike-Freiberga - C'était dans la logique des choses : mes parents, qui ont quitté Riga trois jours avant l'arrivée des Soviétiques, fuyaient une occupation étrangère dont ils espéraient alors qu'elle serait temporaire. Leurs propres parents avaient eu à le faire durant la Première Guerre mondiale. En 1944, les gens pensaient que le même scénario se reproduirait et qu'à la fin des hostilités les trois pays baltes recouvreraient leur liberté. La déception fut immense. Et lorsque ces réfugiés ont vu que non seulement on permettait à l'Armée rouge de conserver les territoires qu'elle avait occupés à la fin de la guerre, mais que, en Allemagne par exemple, on lui en cédait d'autres, ils ont éprouvé un grand choc. Mes parents et moi étions réfugiés au Mecklembourg : libérée par les Britanniques, cette région a néanmoins été attribuée aux Soviétiques. Pourquoi ? Mystère et boule de gomme ! Nous avons grandi avec le souvenir de cette injustice et avec la certitude que l'Histoire devrait, tôt ou tard, la rectifier.

C. B. - Vous n'avez donc jamais douté de la restauration de l'indépendance ?

V. V.-F. - En 1968, à Montréal, on m'a invitée à prononcer une allocution à l'occasion de la célébration du 18 novembre (1). Dans ce discours, j'ai dit : « Même si la division du monde entre l'Est et l'Ouest semble figée pour toujours, même si la situation paraît totalement sans issue, il faut continuer de croire en une Lettonie libre. Un jour, le droit et la justice finiront par triompher. Un jour, l'empire soviétique s'écroulera de lui-même. Il s'écroulera de l'intérieur, j'en suis convaincue. Ce n'est qu'une question de temps ! »
Cela a pris plus de temps que je l'aurais voulu. Mais il a bel et bien fini par s'effondrer...

C. B. - Quel est le déclic qui pousse un professeur de psychologie de l'université de Montréal non seulement à rentrer dans son pays mais à en devenir présidente ?

V. V.-F. - À cette époque, je n'imaginais évidemment pas un tel destin. Pendant des années, je me suis impliquée dans des mouvements de jeunes. Des intellectuels, des artistes, des gens intéressés par la politique organisaient des cours d'été destinés à des jeunes d'origine lettone installés au Canada, mais aussi aux États-Unis, en Europe ou en Amérique latine. Il s'agissait d'implanter en eux le sens de la « lettonité », de leur inculquer quelques rudiments de linguistique et, surtout, de créer une atmosphère de stimulation intellectuelle qui rende attrayante l'idée d'appartenance à la communauté lettone.
Les premiers exilés s'étaient juré de ne jamais oublier leur patrie. Mais, les décennies passant, vous comprenez bien que les jeunes qui étaient nés et qui grandissaient dans un autre milieu avaient de plus en plus de mal à préserver ce lien. Leur reprocher d'être différents de leurs parents n'était pas la meilleure approche pour maintenir un esprit de communauté inter-générationnel et conserver intacte la culture que nous avions exportée. Mes camarades et moi-même estimions qu'il fallait nous insérer au sein de la société dans laquelle nous vivions. On me sollicitait souvent pour parler du folklore ou de l'identité lettone, ce que je faisais volontiers. Mais j'étais de ceux qui pensaient qu'il fallait également préparer l'avenir politique.
Nous partions de l'hypothèse que les trois pays baltes redeviendraient indépendants et que des élections libres y seraient organisées : quels partis allaient se présenter ? Avec quels programmes ? Qu'auraient-ils à offrir ? Un rapprochement avec l'Europe de l'Ouest ? Une union des pays baltes ? Un jour, quelqu'un m'a demandé : « Quelle sera la langue officielle si les trois pays baltes forment un gouvernement commun ? » J'étais bien coincée ! J'ai répondu qu'après tout ce temps - nous étions alors dans les années 1970 - où l'allemand n'était plus enseigné et où l'anglais n'était pas encore aussi répandu qu'aujourd'hui la seule langue connue de tous était le russe. Inutile de vous dire que ma proposition n'a pas été retenue !
Il est tout de même curieux que pas un seul des participants - même parmi les professeurs de science politique venus d'universités nord-américaines - n'ait présenté un programme d'adhésion à la Communauté européenne. Pas un ! On ne se rendait pas compte, à ce moment-là, de ce qui allait suivre.

C. B. - Vous achèverez votre second mandat en juillet prochain. Lorsque vous regardez en arrière, quelles sont les réalisations, personnelles et professionnelles, dont vous êtes le plus fière ?

V. V.-F. - Les buts qu'on se fixe changent au cours de la vie. En tant qu'être humain, ma plus grande fierté, ce sont mes enfants. Mon fils et ma fille sont les deux êtres qui comptent le plus pour moi, outre, naturellement, mon mari qui est présent à mes côtés depuis tant d'années.
Je suis aussi très fière de la contribution que j'ai apportée à la société lettone de l'exil, non seulement du fait de ces contacts directs avec les jeunes - je pense que j'en ai influencé beaucoup d'une façon positive - mais aussi parce que j'ai suscité des débats, parfois passionnés, sur l'identité, le patriotisme, la démocratie et la liberté. Certaines personnes ont pu être choquées par mes propos. Elles trouvaient que le patriotisme primait sur tout et que j'accordais trop de place à la liberté. Il y a eu des discussions houleuses entre l'ancienne génération et la mienne...
Je suis passablement fière, également, des étudiants que j'ai formés et encadrés pendant mes années de professorat. Il est arrivé qu'une jeune personne vienne me dire : « J'ai assisté à vos cours de psycholinguistique : ils m'ont tellement passionnée que j'ai décidé d'étudier l'aphasie et que je travaille désormais dans un centre de recherche spécialisé ! » C'est un peu comme si j'avais mis au monde intellectuellement des enfants, en les aidant à faire leur choix de carrière. …