Entretien avec Joseph Kabila, Président de la République démocratique du Congo depuis janvier 2001. par Colette Braeckman, Journaliste
Colette Braeckman - Monsieur le Président, vous avez prêté serment en janvier 2001, au lendemain de l'assassinat de votre père, Laurent-Désiré Kabila. Fin octobre 2006, vous avez été élu avec un peu plus de 58 % des voix, au terme d'un scrutin que les observateurs ont qualifié de transparent et démocratique, concluant que les irrégularités constatées n'avaient pas altéré le résultat final. Avez-vous le sentiment d'avoir rempli l'objectif que vous vous étiez fixé il y a six ans ?
Joseph Kabila - À l'époque, je m'étais engagé à réunifier le pays ; c'est chose faite. J'avais promis la pacification ; c'est chose faite aussi, même si de menus problèmes subsistent dans l'Est. Mais la promesse la plus importante que j'aie prononcée en devenant président en 2001 portait sur l'organisation d'élections libres et transparentes. À mes yeux, un tel scrutin devait être le socle de la nouvelle république, le point de départ du décollage du pays. Ce processus électoral vient de se terminer. La transition, ouverte en 1990, s'achève enfin. Désormais, la reconstruction et le développement vont pouvoir démarrer sur la base d'un nouveau consensus. C'est déjà un grand succès.
C. B. - Quels sont vos regrets éventuels ?
J. K. - Il n'y en a pas. Aujourd'hui, en me retournant sur les six dernières années, je peux dire : « Mission accomplie ! » Les objectifs fixés ont été atteints et j'en suis fier. Mais c'est avant tout de la population que je suis fier. Entre 1990 et aujourd'hui, elle a dû faire d'immenses sacrifices et supporter un grand nombre d'erreurs. Jamais je ne dirai que cette victoire est celle de M. Kabila ou celle de sa famille politique. C'est la victoire de tout un peuple, de toute une nation. C'est même une victoire pour le continent entier car, à la suite du Congo, l'Afrique va changer à son tour. En effet, un Congo démocratique et en pleine reconstruction pourra rayonner dans toute la région. C'est le Congo qui a gagné ces élections. Les démons qu'il a vaincus étaient nombreux : coups d'État, instabilité politique, démons de la division, de la guerre, de la partition, du sous-développement...
C. B. - À titre personnel, qu'est-ce qui fut le plus pénible pour vous durant cette transition ?
J. K. - La transition fut une épreuve et un grand défi. Le plus difficile pour moi, ce fut la souffrance de ma famille face aux attaques dont j'ai été l'objet (1). Avant d'être président, je suis avant tout un être humain ! J'ai vu la douleur de ma mère, de mes soeurs, de mes frères. Je n'ai rien contre des critiques constructives. Mais les calomnies, les mensonges, les contre-vérités, c'est plus difficile à supporter. Hélas, c'est aussi cela, la politique congolaise ! Aux insultes, j'ai décidé de répondre par... le silence. Me placer sur le même plan que mes adversaires ne fait partie ni de ma culture ni de mon éducation. Enfin, cette page est tournée. L'essentiel, dorénavant, c'est l'avenir du pays, le bonheur de notre population.
C. B. - Vous êtes-vous présenté à l'élection de votre propre gré ou parce que votre entourage vous y a poussé ?
J. K. - Même si je suis aux affaires depuis déjà dix ans - en effet, je me trouvais aux côtés de mon père dès la première guerre, qui a commencé en 1996 (2) -, avais-je un autre choix que celui de me présenter ? Ne croyez pas que j'aime le pouvoir pour le pouvoir, mais il reste tant à faire dans ce pays ! Le Congo est un véritable chantier. Il vaut bien que j'y consacre mes plus belles années. Je crois qu'il est de mon devoir de servir ma patrie. Concrètement, je veux avant tout garantir la sécurité de mes concitoyens. La population doit être protégée, elle a bien assez souffert. Trop de gens ont longtemps porté les armes. À présent, il faut que chacun dépose son fusil et se remette au travail.
C. B. - En cette année zéro de la reconstruction du Congo, quelles sont vos priorités ?
J. K. - La réalité, c'est que le Congo se trouve dans un état encore plus déplorable qu'en 1960, année de l'indépendance. J'ai identifié cinq chantiers prioritaires sur lesquels j'entends concentrer mes efforts.
D'abord, les infrastructures : routes, rails, ponts... Il faut que les régions soient reliées les unes aux autres, que les gens puissent circuler sans difficulté d'un bout à l'autre du pays.
Ensuite, la création d'emplois. Aujourd'hui, moins de 5 % des adultes travaillent de manière parfaitement légale. Les autres vivotent dans l'économie informelle ou sont au chômage. Cette création d'emplois doit passer par l'investissement (3).
Troisième chantier : l'éducation. Écoles primaires et secondaires, universités... tout est à reconstruire. Notre système éducatif doit être rebâti. Il doit encourager chez nos jeunes générations l'initiative privée, réhabiliter le sens du travail. Bref, il faut donner la priorité au concret. Durant des années, on a formé dans ce pays trop de juristes et trop peu d'agronomes, d'ingénieurs, d'artisans. Or ils sont indispensables au développement.
Quatrième chantier : l'eau et l'électricité. Pendant la campagne, j'ai sillonné le pays et j'ai pu constater que, partout, le manque d'eau et d'électricité représentait le problème numéro un.
Et puis, bien sûr, il y a le chantier de la santé. Voilà la priorité des priorités.
Pour régler tous ces problèmes, il faut commencer par instaurer la transparence la plus complète dans la gestion des affaires de l'État. Autrement dit, il est temps de remettre de l'ordre. Sous Mobutu, le pays a été dévasté, les mentalités ont été corrompues. Nous devons ressusciter le nationalisme qui animait les Congolais dans les années 1960. Sur le plan politique, les gens doivent retrouver un ordre juste... Déterminer quelle est leur place, et puis progresser.
C. B. - Sur qui allez-vous vous appuyer pour mener à bien cette tâche colossale ?
J. K. - Nous allons, d'abord, compter sur nous-mêmes. Première chose : il faut mieux mobiliser nos ressources et augmenter nos recettes. Nous …
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