Les Grands de ce monde s'expriment dans

UKRAINE: CAP A L'OUEST

Entretien avec Viktor Iouchtchenko, Président de l'Ukraine depuis décembre 2004 par Adrian Karatnycky

n° 114 - Hiver 2007

Viktor Iouchtchenko

Adrian Karatnycky - Monsieur le Président, dans le monde entier, les partisans des réformes démocratiques s'inquiètent de la situation en Ukraine. La coalition gouvernementale que dirige le Parti des Régions a-t-elle l'intention de remettre en question les valeurs de la révolution orange ?

Viktor Iouchtchenko - Je veux rassurer nos amis de l'étranger. Rien ne serait plus faux que de croire que les forces qui ont conduit la révolution orange auraient, entre la fin 2004 et mars 2006, dilapidé tout le soutien dont elles jouissaient auprès de la population ! Le remplacement au gouvernement de la coalition orange par une autre coalition ne reflète en aucun cas un changement brutal des sympathies des électeurs (3). Cette alternance est simplement le résultat de diverses circonstances politiques, au premier rang desquelles la sortie du Parti socialiste du bloc orange. Les socialistes avaient plusieurs désaccords avec nous, notamment au sujet de la coopération entre l'Ukraine et l'Otan, de l'adhésion à l'Union européenne ou encore de l'instauration d'un Espace économique commun avec la Russie (4).
Le Parti des Régions et ses alliés défendent une ligne politique qui, de mon point de vue, représente une menace sérieuse à la fois pour l'unité du pays, pour la sécurité nationale et pour la mise en place d'une économie de marché compétitive. Cette ligne a été élaborée dans le climat tendu et propice à la radicalisation qui a entouré les dernières consultations électorales. Dès lors, il est logique que les cercles démocratiques d'Ukraine et d'ailleurs éprouvent quelque inquiétude en voyant ce parti arriver au gouvernement.
C'est pourquoi il était absolument nécessaire que les principales forces politiques du pays se concertent afin de se mettre d'accord sur les valeurs nationales fondamentales. Cette préoccupation a débouché sur la signature, cet été, du Pacte d'unité nationale - un document destiné à garantir que tous les partis, qu'ils se trouvent au pouvoir ou dans l'opposition, défendent les intérêts du pays. Les formations qui ont paraphé ce texte (5) ont déclaré adhérer aux priorités suivantes : le maintien de l'unité et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine ; l'entrée, à terme, dans les structures euro-atlantiques (6) ; l'élaboration d'une politique de sécurité nationale efficace ; et la résolution de nos désaccords portant sur le statut de l'ukrainien en tant qu'unique langue officielle du pays (7).
L'avenir dira si ce mécanisme a fonctionné. Une chose est sûre, en tout cas : si tous les partis remplissent les obligations prises au titre de ce Pacte, alors le pays connaîtra la stabilité.

A. K. - En septembre dernier, lors d'une visite à Bruxelles, Viktor Ianoukovitch a déclaré qu'il était improbable que l'Ukraine puisse rapidement intégrer l'Otan et que, par conséquent, il fallait geler le processus d'adhésion pour une durée indéterminée (8). Cette prise de position semble trancher avec le Pacte d'unité nationale...

V. I. - J'estime que sa déclaration reflète ses doutes au moment où il doit prendre une décision importante qui aura d'immenses répercussions sur la sécurité de notre pays. Il faut savoir que la propagande martelée pendant des décennies par les médias soviétiques a laissé des traces dans les esprits : bon nombre de mes concitoyens considèrent encore l'Union européenne et l'Otan avec suspicion. Bref, l'attitude de Viktor Ianoukovitch est un héritage du passé. Mais nous devons nous tourner vers l'avenir et non vers le passé ! J'espère donc que le premier ministre et le gouvernement sauront surmonter ces réticences quelque peu ataviques et se rangeront à l'idée que le futur de l'Ukraine passe par l'UE et l'Otan.
Par ailleurs, je pense que ce comportement s'explique autant, si ce n'est plus, par la tension née de la dernière campagne électorale que par les convictions profondes du premier ministre. Dois-je rappeler qu'il a confirmé à plusieurs reprises son approbation de l'orientation euro-atlantique du pays ? Je ne crois pas qu'il ait réellement changé d'avis. Il n'en demeure pas moins qu'un vrai débat sur la question agite le pays - aussi bien les cercles politiques que le grand public. Mais la Loi fondamentale de sécurité nationale indique clairement que l'Ukraine a pour objectif d'intégrer pleinement les structures de l'UE et de l'Alliance atlantique.

A. K. - Redoutez-vous tout de même que Viktor Ianoukovitch et ses partisans lancent une campagne visant à monter les Ukrainiens contre une adhésion à l'Otan ?

V. I. - Je vais être très clair : il n'y a aucun argument sérieux contre notre entrée dans l'Otan. Si notre génération désire laisser le pays dans le meilleur état possible à la génération suivante, elle doit maintenir le cap occidental. Le bien-être futur de l'Ukraine se trouve dans la formation d'un espace de sécurité commun avec l'Europe. Toutes les autres options, l'Ukraine les a déjà essayées par le passé. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les résultats n'ont pas été satisfaisants ! C'est pourquoi je suis confiant. Je crois fermement que les branches exécutives et législatives du pouvoir ukrainien vont finir par soutenir ce projet essentiel.

A. K. - Passons, si vous le voulez bien, aux questions économiques. L'année dernière, grâce aux réformes libérales que vous avez conduites, le taux de croissance de l'Ukraine a été largement supérieur à celui des années précédentes. Qu'en sera-t-il en 2007, maintenant que le Parti des Régions est au pouvoir ? D'après certains observateurs, ce parti souhaite revenir à plus d'étatisme ; d'autres estiment qu'il peut se montrer relativement souple sur cette question. Où est la vérité ?

V. I. - Grâce aux réformes que nous avons réalisées, le pouvoir ukrainien ne peut plus peser sur l'économie de la même manière qu'il le faisait avant la révolution orange. Il n'est plus possible de diriger le pays dans l'opacité. Ce qui ne signifie pas que nous ayons remporté la guerre contre la corruption. Hélas, il y a encore beaucoup de travail pour y parvenir. Mais il est indéniable que l'exercice du pouvoir et les décisions du gouvernent sont devenus nettement plus transparents.
Cette nouvelle donne a imprimé sa marque sur toutes les formations politiques, y compris sur …