Entretien avec Angela Merkel, Chancelière de la République fédérale d'Allemagne depuis 2005. par Markus c. Hurek , Martina Fietz et Wolfram Weimer
Politique Internationale - Depuis le 1er janvier, jour où l'Allemagne a pris, pour six mois, la présidence de l'Union européenne, vous avez pris plusieurs initiatives marquantes visant à lutter contre le réchauffement climatique (1). Quelle est votre analyse de la situation dans ce domaine ? Le climat et la nature tels que nous les connaissons sont-ils réellement voués à disparaître ?
Angela Merkel - En Allemagne, nous sommes encore relativement tranquilles : pour l'heure, nous ne sommes pas le pays qui a le plus eu à se plaindre du changement climatique. Il reste que, ces dernières années, nous avons connu une terrible tempête, d'importantes inondations, un été très chaud, et un automne et un hiver beaucoup trop doux (2). Et quand on discute avec des scientifiques, il apparaît clairement que la fréquence de tels événements augmente. La Zugspitze (3), dont le glacier est en train de fondre, en offre une saisissante illustration : les enfants nés cette année ne pourront peut-être plus admirer ce phénomène naturel quand ils seront adolescents. Autre exemple : les vedettes de sauvetage qui croisent devant l'île de Helgoland (4) sont aujourd'hui deux fois plus longues qu'auparavant. En effet, les anciens bateaux, qui mesuraient « seulement » vingt mètres de long, n'étaient plus en mesure de résister aux vagues lors des tempêtes toujours plus violentes qui balaient la mer du Nord ! Dans la région de l'Uckermark (5), qui subit en ce moment une grande sécheresse, ce sont les chênes qui sont menacés. Bref, le changement climatique est une évolution globale qui a d'immenses conséquences sur tout l'environnement. Heureusement pour nous, l'Allemagne est moins concernée que bon nombre d'États insulaires, qui seront tout simplement submergés si le niveau de la mer monte, ou que l'Afrique, dont les sécheresses sont dévastatrices. Il n'en demeure pas moins qu'il faudrait être aveugle pour ne pas réagir. C'est pourquoi, face à ces scénarios, je veux prendre des précautions à l'échelle internationale.
P. I. - Dans ces conditions, peut-on dire que, en 2007, la politique environnementale est votre priorité ? 2007 est-elle une « année verte » ?
A. M. - Tout d'abord, je travaille à ce que cette année soit pour l'Allemagne une année de succès et de croissance économique soutenue. Je souhaite, dans le même temps, faire progresser la communauté mondiale vers une meilleure protection climatique. J'accorderai une importance particulière aux questions écologiques dans le cadre international. Cette préoccupation n'est pas nouvelle chez moi : n'oubliez pas que, il y a dix ans, à Berlin, j'ai dirigé, en tant que ministre de l'Environnement, la Conférence sur la protection du climat qui avait voté les accords précédant ceux de Kyoto (6).
P. I. - Concrètement, qu'entendez-vous par « accorder une importance particulière aux questions écologiques » ?
A. M. - Je voudrais faire en sorte que l'Europe continue de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Au sommet de Bruxelles des 8-9 mars dernier, nous avons élaboré une ligne commune pour les discussions sur l'accord qui succédera au protocole de Kyoto à partir de 2012 - un accord qui devra encore mieux limiter la production des polluants. Cette position, nous la défendrons au sommet du G 8 de Heiligendamm (7), qui aura lieu en juin.
P. I. - Convaincre les États-Unis de réduire leurs émissions de polluants ne sera pas chose aisée...
A. M. - J'estime que l'UE doit montrer le chemin aux plus importantes nations industrielles de la planète, mais aussi à des États comme le Brésil, le Mexique, la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud. Tous doivent comprendre qu'il appartient à chaque pays de « s'activer » en matière de réduction des polluants. Le protocole de Kyoto arrive à expiration en 2012. Au moment de négocier un nouvel accord, on ne pourra plus se contenter de demander aux seuls pays industrialisés « classiques » de prendre l'engagement de réduire les émissions de dioxyde de carbone. Il faudra absolument impliquer les pays en voie de développement.
P. I. - Ceux-ci ne vont-ils pas faire barrage ? La Chine et l'Inde, pour ne parler que d'elles, n'ont jamais pris de grands engagements dans ce domaine et ne semblent nullement prêtes à le faire à l'avenir...
A. M. - Je voudrais imposer l'idée selon laquelle, avec de meilleures technologies et une meilleure efficacité, on peut séparer davantage la croissance économique de la consommation d'énergie. Je sais bien qu'en raison des exigences de leur gigantesque croissance des États comme la Chine ou l'Inde ne peuvent pas, dans les circonstances actuelles, réduire leurs émissions. Au contraire, même : celles-ci vont augmenter. Mais nous devons réussir à éveiller partout la conscience qu'il faudra limiter le plus possible la consommation d'énergie et l'émission des polluants, et qu'une telle réduction n'est pas contradictoire avec la prospérité économique.
P. I. - Voilà qui ressemble fort à un voeu pieux...
A. M. - Peut-être, mais il faut y travailler. Pour une raison simple : nous n'avons pas d'autre choix. Même si, en Europe, nous cessions brutalement de consommer de l'énergie, la température moyenne sur Terre continuerait d'augmenter de manière inquiétante puisque des pays comme la Chine et l'Inde, eux, continueraient de polluer. Ce réchauffement perdurera pendant des milliers d'années et il aura des conséquences imprévisibles sur tous les continents. Nous pouvons être des pionniers, mais nous ne pouvons pas, à nous seuls, résoudre le problème. Il faut donc non seulement que nous passions à une utilisation responsable de l'énergie mais, aussi, que nous y amenions les autres. Ce qui me rend optimiste, c'est qu'à Pékin et à Shanghai des mesures draconiennes contre le smog ont été prises et acceptées. J'y vois le signe d'un changement de mentalité.
P. I. - Ce changement de mentalité, l'observez-vous aussi aux États-Unis ? Jusqu'à présent, les Américains ont refusé de ratifier le protocole de Kyoto...
A. M. - Bien entendu, nous devons convaincre les Américains de prendre l'engagement de réduire leurs émissions de dioxyde de carbone. Il y a du pain sur la planche, je l'admets. Pourtant, certains indicateurs sont …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :